Jean-Sébastien Bach : Six Suites pour violoncelle seul
Voici un des premiers disques que j’ai achetés en disque compact pour la diskhale (binet médiathèque de l’X) classique, il y a quarante ans lorsque j’en étais un des responsables à Palaiseau, et qu’il a fallu passer de la discothèque des élèves en peu de temps au CD qui venait de naître. Ce disque était un ovni dans un monde traditionnel où les références étaient bien établies, par des violoncellistes mûrs, voire âgés (Casals avait attendu 60 ans, Tortelier, Fournier…).
Même Rostropovitch n’avait pas encore osé en 1984 confier aux micros sa vision de cet ensemble magistral que sont les six Suites pour violoncelle seul de Bach. Et le jeune Mischa Maisky dynamita avec son premier disque le paysage par son approche hyperexpressive, presque sensuelle, son jeu solaire, avec un vibrato incandescent. Ce disque, sans aucune concession au mouvement baroqueux qui émergeait alors (Harnoncourt, William Christie…), suscita quelques froncements de sourcils (Maisky avait déclaré que Bach était le plus grand romantique !), mais fut en moyenne acclamé aussi bien en Europe (Grand Prix du disque) qu’au Japon.
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Alors que les débats sur le respect de la partition et des indications du compositeur faisaient rage, il a choisi délibérément de donner dans cet enregistrement une approche subjective et nous présente donc ici Bach sous un jour romantique : « La musique est ma religion, Bach est ma Bible », disait-il à l’époque.
Composées autour de 1720, les Suites de Bach pour violoncelle seul sont un ensemble d’œuvres sans équivalent dans l’histoire de la musique. Chacune des Suites est une succession de pièces ou le compositeur puis l’artiste doivent à la fois faire ressentir la danse, percevoir le contrepoint et développer l’harmonie sans accompa-gnement. Sans accompagnement donc, l’interprète doit donc réaliser sur un instrument à une voix à la fois la mélodie et l’harmonie. Bach prend le prétexte d’une suite de danses (gavotte, sarabande, menuet, gigue, allemande, courante…) pour écrire une des musiques les plus pures et les plus complexes jamais composées.
J’ignorais à l’époque que l’interprétation était immortalisée en image. Image qui apporte beaucoup. Filmé dans une belle salle d’une villa palladienne d’Italie, Maisky révolutionne mais ne renverse pas la table ; il est en smoking, alors qu’il portera par la suite des tenues, disons, plus show-off. La caméra s’attarde sur l’archet, la main gauche et le visage, ce qui donne le temps d’étudier et d’apprécier ses mouvements et ses expressions. L’archet se déplace d’une manière presque joyeuse, ce qui est absolument magnifique à regarder. Le recueillement de l’artiste également est saisissant, par exemple transparaissant dans l’élégance du prélude de la Seconde suite.
Le son du DVD est très bon, le violoncelle chaud de Maisky est très bien rendu, avec une ampleur, une rondeur, une générosité dans tous les registres. Le film permet de voir nettement que Maisky applique aux crins de son archet une tension très supérieure à ce qui se fait d’habitude, ce qui oblige à appuyer l’archet sur les cordes particulièrement fort, c’est cet appui « musclé » qui donne une puissance sans égale au son. Bien sûr, il faut un bras droit de tennisman et un entraînement considérable, mais le résultat est assez stupéfiant de puissance. Maisky a vraiment un son unique.
Maisky a réenregistré ces Suites quinze ans plus tard, considérant que son enregistre-ment de 1984 était caricatural par rapport à son style de la fin des années 90. Ce n’est pas notre avis, la seconde version est plus maniérée et moins naturelle.
Mischa Maisky, violoncelle, 1984
Deux DVD Deutsche Grammophon