Jérôme Bastianelli (90), à la recherche des bonnes clés
L’originalité du parcours de Jérôme Bastianelli tient-elle davantage à la volonté ou aux contingences ? Quoi qu’il en soit, elle aboutit à des positions sociales, enviables non seulement parce qu’elles reflètent ses goûts – musique et musicologie, lecture de Proust, écritures, bourlingue et arts premiers –, mais aussi par l’influence durable qu’elles lui ont offert.
Mathématiques, musique et littérature
Leur diversité montre une richesse tant intellectuelle que culturelle. À présent à la tête du musée du Quai Branly, il est fils unique de professeurs de mathématiques. Ils furent des parents modèles : « D’abord parce qu’ils m’ont fait aimer les mathématiques, et que cet amour a, en quelque sorte, décidé d’un large pan de ma vie.
D’autre part, mes parents concevaient l’éducation de leur fils comme un travail de serrurier : ils avaient en main un trousseau énorme et devaient trouver la clé qui ouvrirait la porte. Je veux dire par là que, durant mon enfance, ils m’ont fait faire de la natation, de l’escrime, de la danse classique, du patin à glace… et du violon. Les premières disciplines ne m’ont pas véritablement réussi (ce n’étaient pas les bonnes clés), mais la musique fut toute de suite une grande passion. »
Autre passion, la lecture : « Mes grands-parents maternels qui habitaient vers Chantilly partaient chaque année deux mois dans le Midi, à Roquebrune-Cap-Martin. De là, ils m’envoyaient des petits livres (de la Bibliothèque rose) avec le tampon de la librairie de la ville. Des histoires de pirates et d’explorateurs, notamment. »
L’École et ses binets
Comme ils habitaient le vingtième arrondissement, ses études secondaires se firent au lycée Hélène-Boucher, de 1981 à 1987. Puis, ce fut la prépa au lycée Condorcet, de 1987 à 1990.
Ayant intégré l’X, Jérôme Bastianelli fit son service national dans le train des équipages (armée de terre), d’abord à Tours pour l’École supérieure des officiers de réserve puis au 8e Régiment de commandement et de soutien, dans la citadelle d’Amiens (régiment dissous, la citadelle est devenue une université, on y a de très belles vues sur la cathédrale). « Il ne m’en reste que les bons souvenirs, j’ai oublié qu’on me refaisait (presque immédiatement) faire le test de Cooper si je n’arrivais pas à parcourir 2 800 m en 12 minutes, et bien évidemment, j’avais encore moins de chance d’y arriver à la deuxième occurrence. » À l’École, Jérôme Bastianelli choisit le golf comme sport, « parce que je n’aime pas courir. Je n’en avais jamais fait avant. J’étais meilleur pour les longs coups, avec des bois, qu’avec le putter. »
Lecture et musique comme passions, d’où les binets fréquentés, le binet livres qui permettait aux élèves d’acheter des livres neufs au tarif bibliothèque, donc avec une importante réduction, et la Diskhalle classique, qui prêtait des CD. « Une ou deux fois par an, nous allions à la Fnac Bastille en voiture, faire les « appros » et achetions pour huit ou dix mille francs de nouveaux enregistrements. C’était vertigineux, pour le mélomane que j’étais. »
Quelques voyages
Après l’École, ce fut l’École nationale de l’aviation civile, son brevet de pilote ; et son affectation en 1995 au ministère des Transports, à la tête du département technique du bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’Aviation civile. Il y rencontre sa future épouse Hélène ; ils ont trois enfants. Je subodore qu’ils ont tous le goût des voyages, que ses parents, encore eux, lui ont transmis : « Je suis parti six semaines en Bolivie, n’ayant en poche qu’un billet aller-retour sans savoir ce que j’allais y trouver. J’ai pas mal voyagé en bus, puis je me suis fait des amis et nous avons traversé dans un petit 4×4 des panoramas superbes, le désert de sel d’Uyuni, l’Altiplano andin et, à l’est, la jungle où nous avons marché quelques jours. »
Décidément… la musique !
« En tant que violoniste, mon meilleur souvenir ce fut une Fête de la Musique, à la fin des années 1980 : avec trois amis du conservatoire du XXe arrondissement, nous étions allés sous les arcades de la place des Vosges, de nuit, jouer des extraits des premiers quatuors de Mozart (sublime début du K. 80 !) ; on était heureux, la nuit était douce, l’avenir nous appartenait. »
L’écriture musicale le passionne, l’harmonie et le contrepoint en particulier, pour lesquels il a une dilection. Ce qui le conduira à collaborer comme critique musical au magazine Diapason, à participer aux dictionnaires Tout Mozart, Tout Bach et Tout Verdi pour la collection Bouquins, et à publier différents essais biographiques sur Federico Mompou (Payot, tout juste réédité), Felix Mendelssohn ou encore Piotr Ilitch Tchaïkovski (Actes Sud).
Et Proust (il préside l’Association des amis de Marcel Proust et publia chez Grasset en 2019 La vraie vie de Vinteuil) : « Ma passion proustienne naquit, à l’occasion du baccalauréat de français, en 1986. Il fallait commenter un superbe extrait d’Albertine disparue (celui qui commence par : « Que le jour est lent à mourir par ces soirs démesurés de l’été ! »).
Une belle existence, un homme accompli !