JO 2024 : une organisation inédite pour un ambitieux programme d’infrastructures
L’organisation des Jeux olympiques de Paris 2024 repose sur deux structures : le comité d’organisation et la société de livraison des ouvrages. Pour schématiser, la Solideo construit le théâtre pour Paris 2024 qui y installe ses décors, joue la pièce qu’il souhaite devant un public qu’il choisit. Voici tout d’abord la présentation du programme qu’il fallait réaliser, avec ses particularités.
Le Monde du 6 juin 2023 a cité P.-O. Beckers, du Comité international olympique : « Pour la première fois dans l’histoire de la préparation des Jeux olympiques, le CIO n’a pas à se préoccuper de la livraison des infrastructures. Elles sont dans les temps et magnifiquement réalisées. » Voilà un compliment qui va droit au cœur de ceux qui ont été chargés de ces infrastructures !
Une organisation en deux structures
Les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) sont en effet le plus grand événement planétaire par temps de paix. Avec 10 500 athlètes olympiques, 4 400 paralympiques, concourant respectivement dans 32 sports et 329 épreuves et 22 sports et 549 épreuves, soit l’équivalent de 48 championnats du monde tenus simultanément, 20 000 journalistes, 13 millions de billets vendus… Et plus de 4 milliards de téléspectateurs… Pour organiser les Jeux, et suivant ainsi les préconisations du CIO, la France s’est dotée de deux structures.
D’un côté, le Comité d’organisation des Jeux, Paris 2024, qui est chargé de l’événement en lui-même : l’organisation des compétitions, la diffusion des images, l’accueil des spectateurs, la relation aux sponsors, la cérémonie d’ouverture, etc. Paris 2024 est une association, présidée par Tony Estanguet et dotée d’un budget de 4,397 Md€. De l’autre, la Société de livraison des ouvrages olympiques, Solideo, qui a été chargée de construire ou rénover tous les équipements pérennes nécessaires pour Paris 2024. C’est un établissement public national, présidé par Anne Hidalgo, maire de Paris. Quelques éléments de cadrage sont nécessaires pour bien appréhender la dynamique de la construction des ouvrages olympiques.
Un programme économe
La Solideo a ainsi un programme de 70 ouvrages à construire pour un coût total des projets de 4,5 Md€. Par comparaison, c’est environ la moitié du programme de construction de Londres 2012 ou le tiers de celui de Tokyo 2020. En effet, la France, dans la candidature, a mis en avant l’existence de nombreux équipements qu’il suffisait de remettre à niveau, garantissant la sobriété matérielle et financière de cette XXXIIIe olympiade. Ainsi, alors que le Japon a construit un nouveau stade olympique pour 1,5 Md€ environ, la France réutilise le Stade de France en y apportant les modernisations nécessaires, pour un montant de 50 M€.
Une maîtrise d’ouvrage originale
La grande singularité du dossier français est l’organisation de sa maîtrise d’ouvrage. Là où les Anglais s’appuyaient sur un maître d’ouvrage unique pour l’ensemble de son programme, l’Olympic Delivery Authority, la France s’appuie sur 32 maîtres d’ouvrage différents : collectivités comme la Ville de Paris ou le département de Seine-Saint-Denis, grands gestionnaires de réseaux (RTE, DIRIF…), entreprises parapubliques ou privées (Viparis, promoteurs, Société d’économie mixte SEM, Plaine Commune Développement…) et la Solideo elle-même naturellement.
Ce principe fort repose sur une double volonté. Le maître d’ouvrage des travaux sera généralement le gestionnaire futur, ce qui limite les risques d’éléphants blancs, souvent reprochés dans les autres olympiades. Tous les acteurs du territoire, étant maîtres d’ouvrage d’un morceau du projet, sont pleinement participants à la préparation des Jeux dès leur attribution en septembre 2017. Autrement dit, aucune collectivité n’est que simple spectatrice d’une dynamique qui irrigue son territoire.
Dans ce dispositif, et outre la coordination générale des différents maîtres d’ouvrage, la Solideo devait, quoi qu’il advînt, garantir la bonne livraison de l’intégralité du programme, c’est-à-dire avec des ouvrages conformes aux besoins de Paris 2024, dans les délais fixés par lui et dans les enveloppes budgétaires allouées. La Solideo a donc été amenée à inventer un dispositif inédit de pilotage en nappe horizontale de 32 maîtres d’ouvrage publics et privés, maîtres d’ouvrage de plein exercice (et non par délégation de la Solideo) et dans le respect de leur autonomie (voir infra).
L’impératif calendaire
Le calendrier est un impératif absolu. Paris 2024 devait prendre possession des ouvrages à partir du 1er mars 2024, réserves levées, afin de pouvoir meubler les bâtiments (livrés murs nus), tester tous les équipements, décorer aux couleurs olympiques les ouvrages, les espaces extérieurs… Et Paris 2024 est bien entré dans les murs le 1er mars 2024 conformément au calendrier fixé six ans auparavant ! Quand la France est désignée en septembre 2017, la Solideo n’existe pas et le foncier nécessaire aux constructions n’est pas maîtrisé (il y a par exemple une zone d’activité de 30 entreprises et 2 500 emplois à la place du futur Village des athlètes…).
“Paris 2024 est bien entré dans les murs le 1er mars 2024 conformément au calendrier fixé six ans auparavant !”
Il a donc fallu réaliser en 75 mois ce qui habituellement prend plus de 20 ans, et ce dans le respect absolu de l’ensemble des lois en vigueur : codes de l’environnement, de l’urbanisme, de la construction, du travail, de la commande publique… Deux, et deux seulement, adaptations du droit ont été intégrées : d’une part les recours sont traités directement à la cour administrative d’appel de Paris, sans passer par le tribunal administratif, et d’autre part les permis de construire (dits « à double état ») autorisent non seulement les usages olympiques, mais également les usages futurs sans avoir besoin d’un nouvel acte.
Une ambition urbanistique
La France a une longue tradition d’excellence dans tous les domaines liés à la ville et au développement urbain. Elle possède des leaders mondiaux dans la construction, la gestion urbaine, la météorologie urbaine, des architectes renommés dans le monde entier dont trois ont reçu le prix Pritzker… Ainsi, les ouvrages olympiques, et singulièrement le Village des athlètes, le Centre aquatique olympique et l’Adidas Arena, se devaient d’être des vitrines du savoir-faire français, d’une certaine approche européenne de penser la ville, différenciante des approches déployées dans les derniers mégaévénements urbains : les Jeux de Tokyo et de Pékin, l’Exposition universelle de Dubaï, et ce alors même que le programme de construction est nettement plus réduit. Devant un événement mondial, la tentation existe de construire des prototypes extraordinaires mais non reproductibles.
La Solideo a joué différemment. Nous avons refusé toute approche holistique de l’avenir de la ville et nous avons préféré apporter, à travers les ouvrages, des réponses urbaines cohérentes et systémiques, préfiguratrices des vingt prochaines années, au regard de quelques grands enjeux transverses bien choisis. Nous avons également revendiqué une logique de valorisation de l’expertise française, d’innovation avec un objectif de passage à l’échelle d’innovations matures (TRL 7 à 8) et de diffusion des retours d’expérience. Quatre axes ont ainsi été retenus : la qualité urbaine et architecturale comme garant d’une expérience individuelle de la ville, les réponses systémiques à quatre questions environnementales clés (carbone, résilience climatique, biodiversité, économie circulaire), l’accessibilité vraiment universelle et l’exemplarité sociale des chantiers.
Les 70 ouvrages à livrer sont de nature et de complexité très variées. Quelques exemples seulement pour tenir dans les dimensions de cet article.
Le Village olympique et paralympique
Situé sur 52 hectares à Saint-Denis, à Saint-Ouen-sur-Seine et sur L’Île-Saint-Denis, il accueillera 15 000 athlètes et accompagnants pendant les Jeux olympiques et 9 000 pendant les Jeux paralympiques. Pour faire fonctionner ce site, 6 000 personnes sont nécessaires, c’est donc une petite ville de 21 000 habitants qui a été édifiée autour de la Cité du cinéma. Sa conception a été confiée aux agences Dominique Perrault pour l’urbanisme et TER pour les espaces publics. L’approche a été de partir à rebours, c’est-à-dire des besoins du territoire en héritage, après les Jeux.
Ce quartier s’inscrit intégralement dans la planification urbaine des trois communes et applique en totalité leurs règlements. Il accueillera ainsi 6 000 nouveaux habitants et 6 000 salariés après les Jeux. Cette programmation conduit à un projet de 330 000 m² de surfaces de plancher avec, en sus des bâtiments de logements et de bureaux, 13 000 m² de commerces et d’hôtellerie et un programme d’équipements publics conséquents : deux écoles, 7 hectares d’espaces verts, deux crèches…
Des conditions d’hébergement exemplaires
Sur ce fondement, Paris 2024 a exprimé ses besoins pour les Jeux : tous les athlètes doivent être logés dans des conditions équivalentes (pour garantir l’équité des compétitions), c’est-à-dire à deux dans des chambres de 12 m² minimums avec un mobilier type (les fameux lits en carton) dans des appartements type coliving. Ces logements ne doivent pas avoir de cuisine car, pour renforcer l’amitié entre les athlètes, tous prennent leurs repas dans un restaurant olympique unique logé dans la grande nef de la Cité du cinéma et capable de servir plus de 45 000 repas par jour, H24.
Les athlètes seront soignés sur place dans une polyclinique installée exprès. Ils partiront vers leurs sites d’entraînement grâce à un système privé de bus, depuis une gare routière de 51 quais bus (un départ de bus toutes les 20 secondes) et profiteront d’un réseau de voies réservées en Île-de-France pour garantir leur sécurité et leur ponctualité. Les athlètes sont logés par pays et certains comités nationaux olympiques pourront utiliser les (futurs) rez-de-chaussée commerciaux pour créer des lieux de convivialité à l’image de leurs pays, lieux ouverts pour leurs propres athlètes et tous les résidents du Village…
Un modèle économique solide
Le projet pensé par Dominique Perrault, Henri Bava (TER), ainsi que Brigitte Philippon et Jean Kalt (L’Île-Saint-Denis), ouvre le territoire vers la Seine avec de grandes pièces urbaines qui visent à recoudre les tissus de faubourgs avoisinants avec les immenses nefs industrielles de la Cité du cinéma et avec les deux rives du fleuve grâce à un nouveau pont construit pour l’occasion. La morphologie urbaine s’articule autour de 82 bâtiments (93 cages d’escalier) confiés à quatre groupements de promoteurs (Vinci Immobilier, Icade, Nexity-Eiffage Immobilier et Pichet-Legendre) et à 41 architectes différents, coordonnés entre eux et à l’échelle de l’opération. Ce projet a été réalisé avec deux ZAC (outil éprouvé dont la jurisprudence profonde rend maîtrisable les aléas juridiques) dont Solideo est l’aménageur sur le continent et la SEM Plaine Commune Développement sur L’Île-Saint-Denis.
Le modèle économique des promoteurs repose sur des achats de terrain auprès de l’aménageur, le financement bancaire des travaux, la « location » des bâtiments auprès de Paris 2024 pendant la période olympique et paralympique, puis après des travaux de réversibilité (mise en place des cuisines par exemple) la vente à des investisseurs et des particuliers conformément aux orientations du programme local de l’habitat. Paris 2024 finance naturellement les travaux de réversibilité et les éventuelles remises en état, comme tout locataire classique. Si les athlètes seront les premiers utilisateurs du Village, les premiers habitants pérennes et les premiers salariés sont attendus dès l’été 2025.
Le Centre aquatique olympique
Le Centre aquatique olympique (CAO) accueille en phase olympique les compétitions de plongeon, de water-polo et de natation artistique devant un public de 5 000 spectateurs. Construit pour la métropole du Grand Paris (maître d’ouvrage) par Bouygues, Mathis pour la charpente avec Ateliers 2/3/4/ et Verhoeven comme architectes, ce bâtiment situé devant le Stade de France est immédiatement reconnaissable par sa charpente concave en bois, la plus grande au monde, qui permet de réduire de 30 % le volume intérieur et les charges afférentes. Avec trois bassins et un franchissement piéton reliant le quartier Plaine Saulnier au Stade de France, le CAO constituera l’un des héritages olympiques majeurs.
L’Adidas Arena
L’Arena, implantée porte de la Chapelle (18e arrondissement), accueillera plusieurs épreuves olympiques (badminton et gymnastique rythmique) et paralympiques (parabadminton et parahaltérophilie) des Jeux de Paris 2024 dans une enceinte de 9 000 spectateurs. Deux gymnases pour les riverains sont également construits. Une prouesse architecturale et technique pour cet ouvrage remarquable sous maîtrise d’ouvrage directe de la Ville de Paris, conçu par les agences d’architecture SCAU et NP2F et réalisé par Bouygues.