Journeau, Vivaldi, Gershwin

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°572 Février 2002Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Journeau au piano

Les ama­teurs éclai­rés auront décou­vert Mau­rice Jour­neau avec l’enregistrement de son Qua­tuor à cordes, paru il y quelques mois : une grande et belle œuvre, du niveau des qua­tuors de Ravel et Debus­sy. Skar­bo publie aujourd’hui une tren­taine de ses œuvres pour pia­no seul, jouées les unes par Tho­mas Betz, les autres par Jean Micault1.

Jour­neau, qui nous a quit­tés en 1999 à près de 101 ans, n’était pas, on le sait, un musi­cien pro­fes­sion­nel ; il a com­po­sé une œuvre consi­dé­rable, que jalonnent ses pièces pour pia­no, depuis la Valse (1921) jusqu’aux Impres­sions fugi­tives (1983). Sa musique, typi­que­ment fran­çaise, s’inscrit dans la lignée de Fau­ré, Debus­sy, Ravel, Poulenc.

C’est avant tout un mélo­diste et un har­mo­niste ; en d’autres termes, sa musique, ni aus­tère ni abs­conse mais sub­tile, est écrite avant tout pour le plai­sir de l’auditeur, un plai­sir raf­fi­né. Ce qui n’exclut pas la recherche, essen­tiel­le­ment d’harmonies, de timbres et de rythmes ; mais l’innovation est tou­jours subor­don­née, fort heu­reu­se­ment, au plai­sir de l’écoute. On pla­ce­ra sans hési­ter Jour­neau tout près de Pou­lenc et Rous­sel, au-des­sus de Déodat de Séverac.

Qu’il ait fal­lu attendre sa dis­pa­ri­tion pour le décou­vrir par le disque est attri­buable pour une bonne part à sa dis­cré­tion : Jour­neau n’était pas un homme de média.

Vivaldi : enfin du nouveau

Vous aimez Vival­di, mais vous n’en écou­tez jamais, las­sé, ras­sa­sié jusqu’à l’écœurement par le rabâ­chage des Sai­sons et autres concer­tos, qui nous pour­suit jusque dans les musiques d’attente télé­pho­niques. Eh bien, voi­ci un disque qui vous récon­ci­lie­ra avec le Prêtre roux : six concer­tos “tar­difs” pour vio­lon, com­po­sés vers la fin de sa vie, et enre­gis­trés pour la pre­mière fois, par Giu­lia­no Car­mi­gno­la au vio­lon baroque et l’Orchestre Baroque de Venise diri­gé par Andrea Mar­con2.

Tout d’abord, plus rien ou presque des “ ficelles ” qui ont fait dire que Vival­di avait com­po­sé non 555 concer­tos, mais 555 fois le même : Vival­di innove, dans la forme, dans la ligne mélo­dique, dans l’harmonie, dans la struc­ture ryth­mique. Les mou­ve­ments rapides sont plus brillants, les mou­ve­ments lents plus tendres et roman­tiques. Et le vio­lon baroque de Car­mi­gno­la n’est pas cet ins­tru­ment souf­fre­teux du triste baroque des aca­dé­mies, mais un vio­lon cha­leu­reux, lyrique dans les lar­gos, brillan­tis­sime dans les allégros.

Enfin, l’orchestre est doté d’un conti­nuo qui ne se limite pas à un cla­ve­cin, mais lui en ajoute un deuxième, un orgue, ou un luth. Tout cela pétille, non comme de l’asti spu­mante éven­té, auquel s’apparente le Vival­di rabâ­ché, mais comme un cham­pagne brut de grand mil­lé­sime. Vive Venise !

Porgy and Bess en DVD

Le DVD vidéo musi­cal – enten­dons un DVD où sont enre­gis­trés à la fois le son et l’image d’un opé­ra ou d’un concert – n’est pas seule­ment un sup­port tech­no­lo­gique nou­veau capable de redon­ner vie à une édi­tion pho­no­gra­phique de musique clas­sique qui ne se porte pas bien (le prix des lec­teurs DVD les met désor­mais à la por­tée de tous) : c’est un pro­grès plus que notable en rai­son à la fois de la qua­li­té du son et de celle de la vidéo, et, acces­soi­re­ment, de la sou­plesse d’utilisation due à l’accès direct et au choix des sous-titres, etc.

Ceci est par­ti­cu­liè­re­ment frap­pant dans l’enregistrement de l’opéra Por­gy and Bess de George Ger­sh­win, réa­li­sé en 1993 avec la pro­duc­tion de Covent Gar­den reprise de celle de l’Opéra de Glyn­de­bourne3. Por­gy and Bess est l’œuvre la plus ache­vée de Ger­sh­win, et aus­si une œuvre-culte pour beau­coup de mélo­manes ; non parce qu’elle recèle des airs qui sont deve­nus des stan­dards de jazz, mais parce qu’elle sus­cite une émo­tion véri­ta­ble­ment intense, infi­ni­ment plus que n’importe quel opé­ra de Wag­ner, Strauss, Ver­di ou même Puc­ci­ni, tout en étant d’une extrême ori­gi­na­li­té en matière mélo­dique, ryth­mique et harmonique.

Ce fut, on le sait, la deuxième ten­ta­tive de Ger­sh­win, après l’échec du mélo­dra­ma­tique Blue Mon­day, et le pre­mier opé­ra consa­cré à des Noirs amé­ri­cains – on dit aujourd’hui Afro-Amé­ri­cains. C’est aus­si une œuvre très fidèle à la culture des Noirs du Sud, à cent lieues du pater­na­lisme style Oncle Tom, et concen­trez votre écoute non sur les blue chips comme Sum­mer­time, It ain’t neces­sa­rilly so, ou Bess you is my woman now, mais sur les airs moins connus, les cho­rals, les réci­ta­tifs, le fabu­leux qua­tuor vocal du der­nier acte Where is my Bess : cet opé­ra est un authen­tique chef‑d’œuvre.

Grâce à des chan­teurs qui sont de vrais acteurs, et à des décors, une mise en scène et une prise de vues remar­quables, la ver­sion DVD four­nit une qua­li­té d’émotion que l’on ne sau­rait trou­ver que dans la repré­sen­ta­tion in vivo elle-même. Por­gy (Willard White) est un superbe bary­ton, Bess (Cyn­thia Hay­mon) est très belle. Deux heures de pur bonheur.

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1. 1 CD SKARBO DSK 1011.
2. 1 CD SONY SK 89362.
3. 1 DVD vidéo EMI 4 92496 9.

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