Journeau, Vivaldi, Gershwin
Journeau au piano
Les amateurs éclairés auront découvert Maurice Journeau avec l’enregistrement de son Quatuor à cordes, paru il y quelques mois : une grande et belle œuvre, du niveau des quatuors de Ravel et Debussy. Skarbo publie aujourd’hui une trentaine de ses œuvres pour piano seul, jouées les unes par Thomas Betz, les autres par Jean Micault1.
Journeau, qui nous a quittés en 1999 à près de 101 ans, n’était pas, on le sait, un musicien professionnel ; il a composé une œuvre considérable, que jalonnent ses pièces pour piano, depuis la Valse (1921) jusqu’aux Impressions fugitives (1983). Sa musique, typiquement française, s’inscrit dans la lignée de Fauré, Debussy, Ravel, Poulenc.
C’est avant tout un mélodiste et un harmoniste ; en d’autres termes, sa musique, ni austère ni absconse mais subtile, est écrite avant tout pour le plaisir de l’auditeur, un plaisir raffiné. Ce qui n’exclut pas la recherche, essentiellement d’harmonies, de timbres et de rythmes ; mais l’innovation est toujours subordonnée, fort heureusement, au plaisir de l’écoute. On placera sans hésiter Journeau tout près de Poulenc et Roussel, au-dessus de Déodat de Séverac.
Qu’il ait fallu attendre sa disparition pour le découvrir par le disque est attribuable pour une bonne part à sa discrétion : Journeau n’était pas un homme de média.
Vivaldi : enfin du nouveau
Vous aimez Vivaldi, mais vous n’en écoutez jamais, lassé, rassasié jusqu’à l’écœurement par le rabâchage des Saisons et autres concertos, qui nous poursuit jusque dans les musiques d’attente téléphoniques. Eh bien, voici un disque qui vous réconciliera avec le Prêtre roux : six concertos “tardifs” pour violon, composés vers la fin de sa vie, et enregistrés pour la première fois, par Giuliano Carmignola au violon baroque et l’Orchestre Baroque de Venise dirigé par Andrea Marcon2.
Tout d’abord, plus rien ou presque des “ ficelles ” qui ont fait dire que Vivaldi avait composé non 555 concertos, mais 555 fois le même : Vivaldi innove, dans la forme, dans la ligne mélodique, dans l’harmonie, dans la structure rythmique. Les mouvements rapides sont plus brillants, les mouvements lents plus tendres et romantiques. Et le violon baroque de Carmignola n’est pas cet instrument souffreteux du triste baroque des académies, mais un violon chaleureux, lyrique dans les largos, brillantissime dans les allégros.
Enfin, l’orchestre est doté d’un continuo qui ne se limite pas à un clavecin, mais lui en ajoute un deuxième, un orgue, ou un luth. Tout cela pétille, non comme de l’asti spumante éventé, auquel s’apparente le Vivaldi rabâché, mais comme un champagne brut de grand millésime. Vive Venise !
Porgy and Bess en DVD
Le DVD vidéo musical – entendons un DVD où sont enregistrés à la fois le son et l’image d’un opéra ou d’un concert – n’est pas seulement un support technologique nouveau capable de redonner vie à une édition phonographique de musique classique qui ne se porte pas bien (le prix des lecteurs DVD les met désormais à la portée de tous) : c’est un progrès plus que notable en raison à la fois de la qualité du son et de celle de la vidéo, et, accessoirement, de la souplesse d’utilisation due à l’accès direct et au choix des sous-titres, etc.
Ceci est particulièrement frappant dans l’enregistrement de l’opéra Porgy and Bess de George Gershwin, réalisé en 1993 avec la production de Covent Garden reprise de celle de l’Opéra de Glyndebourne3. Porgy and Bess est l’œuvre la plus achevée de Gershwin, et aussi une œuvre-culte pour beaucoup de mélomanes ; non parce qu’elle recèle des airs qui sont devenus des standards de jazz, mais parce qu’elle suscite une émotion véritablement intense, infiniment plus que n’importe quel opéra de Wagner, Strauss, Verdi ou même Puccini, tout en étant d’une extrême originalité en matière mélodique, rythmique et harmonique.
Ce fut, on le sait, la deuxième tentative de Gershwin, après l’échec du mélodramatique Blue Monday, et le premier opéra consacré à des Noirs américains – on dit aujourd’hui Afro-Américains. C’est aussi une œuvre très fidèle à la culture des Noirs du Sud, à cent lieues du paternalisme style Oncle Tom, et concentrez votre écoute non sur les blue chips comme Summertime, It ain’t necessarilly so, ou Bess you is my woman now, mais sur les airs moins connus, les chorals, les récitatifs, le fabuleux quatuor vocal du dernier acte Where is my Bess : cet opéra est un authentique chef‑d’œuvre.
Grâce à des chanteurs qui sont de vrais acteurs, et à des décors, une mise en scène et une prise de vues remarquables, la version DVD fournit une qualité d’émotion que l’on ne saurait trouver que dans la représentation in vivo elle-même. Porgy (Willard White) est un superbe baryton, Bess (Cynthia Haymon) est très belle. Deux heures de pur bonheur.
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1. 1 CD SKARBO DSK 1011.
2. 1 CD SONY SK 89362.
3. 1 DVD vidéo EMI 4 92496 9.