Joyeuses Pâques
Un peu imprudemment, un homme vient d’amener chez lui une ravissante nana de rencontre. Sa femme survenant, il la fait passer pour sa fille, descendance jusqu’alors tenue secrète afin de préserver la paix du ménage. D’affreuses complications en résultent, dans quoi l’épouse, aimante, amusée et peu dupe, se divertit à enfoncer son affolé de mari.
On subodore là un bon sujet de vaudeville, genre dramatique dont il ne faut pas médire au motif qu’il servirait mal la conscience universelle. Même s’il est indéniable qu’en effet, il ne la sert point. Ayant pour unique objet de faire rire, il donne aux spectateurs de passer une plaisante soirée. Pourvu qu’il soit bien construit, et bien interprété.
C’est le cas de Joyeuses Pâques, de Jean Poiret, qui aura été joué toute la saison au Théâtre des Variétés, avec un succès mérité, à en juger par la difficulté de louer sa place. Accompagnés d’autres bons comédiens, M. Pierre Arditi, Mmes C. Sihol et B. Schulz apportent leur talent, qui est immense, au déroulement de cette succession de situations inextricables, enchaînées dans la meilleure façon du boulevard.
La mise en scène, de Bernard Murat, n’appelle pas de commentaires, tant elle ne cherche pas le saugrenu par principe mais au contraire demeure fidèle aux traditions, justifiées, du genre. Le décor, de Nicolas Sire, non plus : on se trouve dans le salon d’un bel appartement de bourgeois cossus, comme il se doit. Tout cela, reposant à souhait, épargne au spectateur tout effort intellectuel pour comprendre de quoi il s’agit, et c’est bien ce qu’il cherche : s’amuser en se laissant porter par le rythme haletant des péripéties et les pétillantes réparties qui en découlent.
Pour faire du théâtre, et pas seulement du vaudeville d’ailleurs, il faut une situation, et des personnages. Peu importe alors la plus ou moins grande invraisemblance de la situation, pourvu que les personnages disent ce que tout un chacun dirait s’il se trouvait à leur place. L’invraisemblance peut aller jusqu’à l’irréalité poétique la plus totale, et cela donne, par exemple, Le Songe d’une nuit d’été, où une Reine des fées dit des paroles d’amour à un imbécile coiffé à son insu d’une tête d’âne par un lutin farceur.
L’invraisemblance peut aussi résulter d’une forgerie, échappatoire à une circonstance délicate, forgerie engendrant une situation pire encore, appelant de nouvelles inventions. Le maître du genre est sans doute alors Feydeau, dont Jean Poiret adopte la mécanique. Ce qui ne signifie pas qu’il le copie : il sait à coup sûr sauvegarder sa propre originalité, par de brefs instants de réelle émotion que ne connaît pas Feydeau, pur agenceur de mécano si l’on peut dire.
J’imagine qu’il doit être plaisant de jouer de telles pièces. Le public ne peut qu’y être excellent, tant il faudrait vraiment de stupidité pour ne point y rire de bon cœur.
Par moments pourtant, M. Arditi manque peut-être un peu de sobriété dans ses contorsions. Certes, il fait ainsi glousser la salle mais, de la part d’un très grand – ce qu’il est – il me semble malséant de contribuer à épaissir ainsi l’esprit du public. Il n’en a guère besoin par les temps qui courent, et je pense préférable de laisser cette nuisance collective aux petites lucarnes. Elles s’en acquittent fort bien.
Les deux partenaires féminines de M. Arditi ne se départissent au contraire jamais d’une grande délicatesse de jeu. Elles sont en outre plus qu’agréables à regarder, ce qui ne gâte rien.