Jules Verne et les sciences
Dans notre tradition populaire, Jules Verne est un précurseur génial : inventions, innovations techniques, véhicules d’exploration du monde. Et cent ans après, il suscite toujours analyses, réflexions, reconstitutions ou expositions.
Qu’en est-il exactement ? Jules Verne a‑t-il été un nouveau Léonard de Vinci ? A‑t-il été le créateur de la prospective scientifique et technique ? Quelle a été la pertinence de ses anticipations prémonitoires ? S’est-il parfois trompé, en quoi et pourquoi ?
C’est à ces questions que notre camarade Michel Clamen cherche à répondre dans son ouvrage ; il s’appuie à la fois sur une vaste culture, sur l’évolution des sciences et techniques ces derniers siècles et sur une connaissance exhaustive et approfondie des œuvres de Jules Verne et de sa façon de travailler.
Michel Clamen passe en revue méthodiquement l’ensemble des domaines techniques et scientifiques connus aujourd’hui, en comparant sans complaisance les inventions de Jules Verne d’une part au savoir de l’époque et d’autre part aux progrès acquis ces cent dernières années.
Il met en évidence que Jules Verne a été avant tout un remarquable conteur, qu’il a su mettre la science au service d’aventures extraordinaires, à l’époque où l’opinion publique s’intéressait tant à l’émergence des techniques du début de la révolution industrielle qu’aux progrès de l’exploration de la planète et de l’espace ; et il montre que Jules Verne appuie ses inventions sur le savoir du moment, grâce à un travail méticuleux de recherche documentaire, complété de discussions avec ses relations dans le milieu scientifique.
Jules Verne traduit la façon dont l’élite bourgeoise de son époque voyait les sciences et les découvertes, mais son souci n’était probablement pas la prospective systématique.
Pourtant certaines prémonitions de Jules Verne se sont révélées étonnamment justes, et ceux qui ont eu l’occasion de faire de la prospective continueront de s’étonner de voir que certaines idées de Jules Verne se sont réalisées cinquante ans plus tard (Nautilus, localisation de la base de lancement du voyage sur la Lune), alors que la validité des études prospectives dépasse rarement un horizon à vingt ou vingt-cinq ans.
Michel Clamen analyse également les limites des inventions de Jules Verne : inventions uniques, offrant des performances inconnues voire extravagantes, pour quelques exploits extraordinaires, sans trop se soucier de la réalité des problèmes pratiques de réalisation, de coûts et de logistique, ni des perspectives de développement ultérieur ou d’utilisation à une plus large échelle, en laissant passer quelques invraisemblances qui, voulues ou non, pimentent le récit.
Il montre aussi que Jules Verne s’est intéressé à quelques sciences et techniques particulières de la physique et de la chimie, mais qu’il n’a guère exploité d’autres domaines qui, depuis, révolutionnent le monde, tels le traitement et la transmission des informations, ou les nanotechnologies. Les sciences humaines, qui émergeaient dans leur diversité à la fin du XIXe siècle, sont largement absentes ; ainsi, s’agissant de mener des projets assez complexes, Michel Clamen s’étonne que Jules Verne ne se préoccupe pas du management d’affaires et d’équipes.
Au contraire, il souligne que ces projets sont l’œuvre d’inventeurs géniaux mais solitaires, souvent en conflit avec le monde scientifique et qui avaient compris que le savoir apporte le pouvoir. D’ailleurs ses études de caractères et confrontations de personnalités ajoutent à l’intérêt de ses récits.
Les analyses de Michel Clamen nous montrent que les récits de Jules Verne étaient d’abord extraordinaires et pleins d’imprévus pour accrocher le lecteur, ce que souhaitait avant tout l’éditeur Hetzel, un précurseur du marketing.
L’ouvrage de Michel Clamen, très intéressant sur le fond, est aussi très facile à lire : des chapitres courts et structurés, un style précis et enlevé, un français rigoureux, des encadrés nombreux rappelant les thèmes des ouvrages de Jules Verne, des illustrations comparatives de l’époque et d’aujourd’hui, des rappels synthétiques de l’histoire des sciences.
Après avoir lu l’ouvrage de Michel Clamen, beaucoup seront tentés de relire Jules Verne avec un autre regard.