Karine Berger (93) Tout feu, tout flamme
L’X dispense une formation polyscientifique. De plus, certains élèves arrivent à Palaiseau avec une curiosité tous azimuts. Ils y veillent à l’alimenter autant qu’à la protéger. Ce fut le cas de Karine Berger, il me paraît exemplaire.
Je ne me focaliserai pas sur sa carrière politique, d’autres l’ont décrite et analysée, caricaturée surtout. Elle ne fut ni une aberration ni une réussite – pour l’Assemblée nationale comme pour la députée des Hautes-Alpes (de 2012 à 2017). Son personnage public fut alors abondamment commenté par les médias : « La presse audiovisuelle notamment m’a offert une opportunité médiatique hors norme pour une députée. »
Les maths en héritage, l’X en objectif
Elle tient de ses parents, professeurs de mathématiques, le don des maths. Son enfance et sa scolarité à Limoges, par l’étroitesse de l’apport culturel, lui donnent une fringale pour un complément, pour une bouffée d’oxygène. Elle vit une adolescence explosive – Jeunesses communistes y compris. Elle commence à la satisfaire en prépa, à Louis-le-Grand, à 17 ans. D’où aussi une boulimie de stimulation intellectuelle.
Elle adora le film de Rappeneau, Tout feu, tout flamme (1982) ; le personnage joué par Isabelle Adjani, d’une major à l’X, l’attrait aussi du défilé du 14 Juillet lui firent élire l’École comme unique cible. Elle y accéda en 1993, pour « deux années de pur bonheur : que de choses apprises, de réflexions, de sciences… en quelques mois ».
Au nombre de ses professeurs mémorables, le Belge Jacques Neveu en mathématiques appliquées, physiquement un colosse, attentif à autrui et d’une infinie gentillesse : « La probabilité n’était pas une matière mathématique complètement affirmée, même au tournant des années 1990 ; et Neveu a – je crois – réparé l’erreur de Bourbaki en la matière… Pierre-Louis Lions aussi en mathématiques m’a beaucoup marquée ; Alain Finkielkraut, et son incroyable cours sur Les deux Cultures ; un jour je l’ai remercié de m’avoir fait lire Arendt, Renan, etc. ; et une pensée quand même forte pour Pierre-Alain Muet qui nous a fait découvrir la macroéconomie ; qui bien des années plus tard était député en même temps que je l’ai été, et un ami. »
Karine Berger est maintenant, après y avoir fait le gros de sa carrière professionnelle, secrétaire générale de l’Insee – un poste passionnant, avec de vastes responsabilités.
Mystique et esthétique
Son jardin secret ? Je mentionnerai premièrement un tableau, de ce Quattrocento florentin qu’elle affectionne, La Thébaïde, du musée des Offices à Florence. On l’attribue à Fra Angelico. « Cosimo de Médicis contemplait dans sa cellule de San Marco deux œuvres du Beato ; c’est à mes yeux l’un des grands mystères du vieux Cosimo. » Des ermites s’affairent, solitaires, à diverses tâches pieuses dans un désert égyptien imaginaire. De gros rochers nus y font le paysage.
De tels rochers font aussi partie du paysage de haute montagne. En particulier dans celui face à la Meije, que le compositeur Olivier Messiaen affectionnait tant, lorsqu’il séjournait à La Grave. En son honneur, chaque été, un orchestre symphonique s’y transporte et joue diverses compositions dont la splendide Turangalîla-Symphonie (1946−1948) ou Et exspecto resurrectionem mortuorum (1964). Karine Berger préside l’association Olivier Messiaen au pays de la Meije qui organise ces concerts en altitude.
Sa découverte de Messiaen ? « Un choc grâce à la salle Pleyel : ils avaient proposé un parcours de découverte de la musique contemporaine (disons XXe siècle…) sur une année (cela devait être autour de 2007). Les quatre soirées ont été une révélation esthétique, et dès l’été suivant je me suis rendue au festival dédié dans les Hautes-Alpes. Et j’ai noué de fortes amitiés avec tant d’interprètes ou de compositeurs depuis lors. »
Ce double intérêt, pour la peinture du XVe et pour la musique de Messiaen, témoigne de la personnalité de Karine Berger, une vigoureuse candeur, attachée à l’authenticité et à la justice ; de plain-pied avec son engagement socialiste.
Pour en savoir plus
Rapport à l’Assemblée nationale sur l’extraterritorialité de la législation américaine, n° 4082, 5 octobre 2016.
Alessandra Malquori, La Tebaide degli Uffizi. Tradizioni letterarie e figurative per l’interpretazione di un tema iconografico, I Tatti Studies in the Italian Renaissance, 2001, 9, 119–137.
Claude Samuel : Permanences d’Olivier Messiaen. Dialogues et Commentaires, Paris, Actes Sud, 1999, 484 p.