KeeeX : « On apprend d’abord, puis on évolue et on s’adapte ! »
Laurent Henocque (X82), CEO et fondateur de KeeeX, revient sur son parcours et nous en dit plus sur sa société KeeeX. Spécialisée dans la confiance en la donnée, son entreprise a devancé un marché qui atteint aujourd’hui sa maturité. Rencontre.
Quelle a été la genèse de KeeeX ?
Après l’École Polytechnique j’ai fait une thèse en Mathématiques et Intelligence Artificielle sous la direction du Professeur Alain Colmerauer, dont le laboratoire était pionnier en la matière à l’Université d’Aix Marseille (AMU). Dans la foulée en 1989, j’ai intégré le monde de l’entreprise et notamment été directeur technique de la startup Index qui a développé une application de communication instantanée globale vendue à Goldman Sachs. En 1993, j’ai choisi de retourner vers le monde universitaire en intégrant Polytech Marseille où j’ai enseigné le génie logiciel et été chercheur en programmation par contrainte.
J’ai collaboré en 2006 à un groupe de travail du W3C, l’organisation de normalisation du web, sur un standard pour le web sémantique. Dans ce cadre visant à automatiser internet, j’ai perçu l’enjeu de la confiance universelle dans les données et ai déposé deux brevets en 2013 et 2014, aujourd’hui étendus en Europe et aux États-Unis. J’ai créé KeeeX pour exploiter cette innovation avec l’aide du CNRS et de AMU. Nous fêtons nos 10 ans !
Au cœur du positionnement de KeeeX, on retrouve les nouvelles technologies numériques. Comment votre activité a‑t-elle évolué alors que la digitalisation s’accélère ?
KeeeX est arrivée tôt sur un marché immature dans sa compréhension des enjeux de confiance dans la donnée. À l’époque, nos interlocuteurs ne voyaient pas l’intérêt d’une solution permettant de fiabiliser les données. Au fil des années, le marché a évolué vers KeeeX et son offre mais encore aujourd’hui, beaucoup considèrent que la confiance est acquise par le simple fait de mettre les données sur un portail seul garant de leur sécurité. La réalité économique ou technique est toute autre alors que nous entendons tous les jours parler d’attaques cyber ou de fuites de données, de fake news et de préjudices causés par les deep fakes et l’IA…
KeeeX a été construit autour de l’idée que la donnée doit être vérifiable par elle-même et ne pas dépendre d’une infrastructure tierce, qu’elle ait été envoyée par mail, stockée sur une clé USB… Ce procédé universel s’applique à tous les formats de fichiers de bureau ou techniques : PDF, Medias, Office, Zip, JSON… Et un fichier ainsi protégé peut être vérifié gratuitement à tout moment et n’importe où sur le vérificateur du site qui le produit ou sur le vérificateur KeeeX. Une technologie de sécurité non vérifiable est en effet inutile.
Nous avons créé nos premiers fichiers « keeexés » dès 2013, intégrés à un système de tchat collaboratif sécurisé puis proposé une solution de photographie certifiée et sécurisée par application mobile opérationnelle lors du CES Vegas en 2017. Cette application qui a évolué et s’appelle aujourd’hui Collect and Prove est utilisée par la Fondation UEFA pour l’Enfance et des sociétés d’audit/expertise pour l’assurance comme Saretec et Adenes.
“KeeeX a été construit autour de l’idée que la donnée doit être vérifiable par elle-même et ne pas dépendre d’une infrastructure tierce, qu’elle ait été envoyée par mail, stockée sur une clé USB…”
En 2017, nous avons certifié les premiers communiqués de presse pour EDF qui avait déjà compris l’intérêt de protéger leur communication avec une preuve de provenance suite à un grave incident boursier causé par la circulation de fausses publications visant le groupe Vinci. Sur ce segment des communiqués de presse, KeeeX est aujourd’hui leader en France. Nous avons deux grands clients directs, Société Générale et Enedis, et deux clients revendeurs, Augure et ePressPack, ce qui nous donne accès à près de 300 sociétés. KeeeX dématérialise et protège aussi la Propriété Intellectuelle et Industrielle, les rapports d’émission de navires pour l’Open Data européen émis par Verifavia, les documents réglementaires de navires pour la société Servaux. Voilà pour la première étape portant sur les documents isolés.
Puis, dès 2017, nous avons traité des processus industriels, dont un pilote de dématérialisation de titre transférable (l’eBL) pour CMA-CGM, et un autre de dématérialisation de maintenance d’équipements pour Thales. En 2018, KeeeX a démontré à la demande du Ministère des Transports la dématérialisation de l’intégralité de la liasse documentaire associée au transport maritime en partenariat avec VNF, la CNR, la CDC, le Grand Port Maritime de Marseille.
Fin 2019, nous avons déployé en production grand public avec application mobile la première solution de traçabilité alimentaire du champ à l’assiette pour la société Bonjour Le Bon.
« KeeeX propose ainsi sous le nom de TraaaX une solution majeure de tour de contrôle pour la transmission de titres dématérialisés. »
En 2023, après la pandémie de COVID, de nouveaux enjeux réglementaires ont offert à KeeeX de nouvelles perspectives de développement, avec notamment l’entrée en vigueur du Passeport Numérique des Produits européen (le DPP) et la généralisation du recours au QR code. Dans cette continuité, nous avons déposé un nouveau brevet capital pour le titre transférable électronique puis contribué en 2024 à la commission relative à l’adoption du MLETR (Model Law on Electronic Transferable Records) voté par l’Assemblée nationale en mai dernier, la France se dotant ainsi en pionnière d’un soutien juridique à la dématérialisation complète des Titres Transférables Électroniques pour le commerce international. KeeeX propose ainsi sous le nom de TraaaX une solution majeure de tour de contrôle pour la transmission de titres dématérialisés.
En 2024, nous nous positionnons comme un acteur clé de la lutte contre les dérives de l’IA, des fake news et des deep fakes avec notamment une solution d’email vérifiable anti phishing avec la société BlueCrest.
Globalement au cours de la dernière décennie, le marché a glissé progressivement vers les cas d’usage pouvant être adressés par nos solutions et technologies aujourd’hui déployées sous forme d’une suite logicielle interopérable comprenant applications mobiles, portails, APIs, applications backend, blockchain hybride.
Aujourd’hui, quelles sont vos ambitions pour KeeeX ?
Le volume de données créé chaque année dans le monde était de 2 milliards de Téraoctets en 2010 et sera multiplié par 100 d’ici 2025. Les capacités humaines à traiter et classer ces données sont dépassées par ce rythme exponentiel. Cette surcharge informationnelle combinée aux progrès de l’IA Générative ne permet plus de discerner le vrai du faux et en conséquence des solutions de provenance de données sont demandées dans l’ensemble de l’industrie des contenus.
Devant ce constat et forte de sa technologie, KeeeX a pour ambition de redonner à tous confiance dans les données en permettant de vérifier leur intégrité, provenance réelle et date dans un monde où cette confiance est rendue toujours plus nécessaire par l’injonction de dématérialisation pour des raisons économiques, climatiques, stratégiques…
Nous entrons dans un temps de maturité du marché et souhaitons contribuer activement à définir le standard des solutions de preuve de provenance et d’intégrité des données d’une part, et de délivrer, d’autre part, le standard d’une offre de document transférable qui réplique le papier dans ses usages les plus poussés (filigrané…) en capitalisant sur notre dernier brevet déposé en 2023. Notre offre fait de nous un acteur pionnier et majeur des technologies Zero Trust et de Data Centric Security utiles à l’industrie de pointe et à la défense.
Idéalement, notre ambition est aussi d’aider à construire un monde où personne ne triche malgré le risque que pose le numérique, qui est pourtant bénéfique à la planète. Par cohérence, la société est peut-être la seule ou première société blockchain à compenser intégralement ses émissions de GES depuis 2022.
De l’ingénierie au monde de l’entrepreneuriat, votre formation vous a‑t-elle préparé à la création d’une entreprise et sa gestion ?
En partie oui, par la capacité à incarner une interface entre la technique et les autres fonctions. Gérer une jeune entreprise innovante pose avant tout des défis humains. En effet, pour relever les enjeux techniques, juridiques, comptables ou financiers, un entrepreneur peut s’entourer d’experts et de spécialistes. Mais, sur le plan humain, le dirigeant doit soigner la qualité relationnelle déployée envers des collaborateurs très souvent plus jeunes et issus de générations aux attentes différentes. J’ai appris la pédagogie pendant mon service militaire et certains aspects du leadership à l’X. Je les ai mis en pratique à l’Université et dans mes premières expériences professionnelles suite à ma thèse. La relation avec des étudiants en thèse est, par ailleurs, très proche de celle que l’on peut développer avec une équipe d’ingénieurs brillants (certains eux-mêmes docteurs), responsables de développer l’innovation.
Enfin, je dois immensément à plusieurs camarades et amis d’études pour avoir cru en mon projet dès son lancement et encore aujourd’hui. Je dois également beaucoup aux réseaux d’entrepreneurs régionaux qui ont été d’une générosité constante. J’ai pleinement profité de la formation des accélérateurs, en pouvant citer la SATT Sud Est, Marseille Innovation, Zebox, Station F avec Thales. Ma formation a donc été essentiellement continue !
Et quels souvenirs avez-vous conservés de vos années à l’école ?
J’ai pris à cœur mon rôle de Rugbyman Khômisssaire trublion un peu excessif… Mais quelles aventures ! J’ai le souvenir d’enseignants remarquables et d’une immersion scientifique allant de la physique quantique à la biologie, avec des détours par l’architecture et la photographie.
À mon entrée à l’X, j’avais pour projet de travailler dans la biologie. Je me suis plutôt dirigé vers l’intelligence artificielle et aujourd’hui, je finis ma carrière dans un tout autre domaine. On apprend d’abord, puis on évolue et on s’adapte !
Enfin, je garde de l’école de grands amis, dont certains sont associés de KeeeX aujourd’hui, et un réseau formidable de générosité.