Khimod : Des réacteurs modulables pour aider l’industrie à se décarboner
Créée il y a quatre ans, Khimod est une jeune société s’appuyant sur un savoir-faire déjà très abouti, développé initialement dans le cadre du projet ITER. Ses solutions permettent de produire des molécules de synthèse à partir de CO2, et trouvent une application de plus en plus reconnue dans les secteurs industriels émetteurs de gaz à effet de serre. Entretien avec Nicolas Serrie (X01), président du directoire de Khimod.
Khimod est une société récente. Comment caractériseriez-vous son développement ?
Khimod se situe aujourd’hui à un moment charnière de son existence. Le développement technologique est en grande partie derrière nous.
À présent, nous sommes en train de mettre en service un premier outil industriel et de répondre davantage à des problématiques commerciales. Nous entamons une phase d’expansion géographique et de croissance, au niveau économique et au niveau des effectifs. Nous sommes d’ailleurs en pleine campagne de recrutement et cherchons à étoffer notre équipe. Les X sont les bienvenus !
Quel est votre secteur d’activité ?
Nous sommes au cœur des enjeux de transition énergétique. Nous aidons à rendre neutre en carbone les secteurs industriels fortement émetteurs de CO2, et plus généralement de gaz à effet de serre : les cimenteries, les producteurs d’acier, le transport maritime, le transport aérien. Notre objectif est de les accompagner pour atteindre la neutralité carbone. De manière plus secondaire, Khimod a également une activité dans la chimie : nous rendons efficaces des réactions d’hydrogénation, permettant de décarboner les réactions chimiques de nos clients.
Comment fonctionne le dispositif que vous avez créé ?
Nous développons des solutions industrielles qui permettent de fabriquer des molécules de synthèse. Dans la plupart des cas, elles sont faites en combinant de l’hydrogène bas-carbone avec du CO2. Ce CO2 peut être émis par des process industriels, mais il peut également être produit de la biomasse ou capturé dans l’air. Nous obtenons en bout de chaîne du méthane ou des carburants de synthèse, comme le méthanol (qui sera demain le carburant du transport maritime) ou l’e‑kérosène. Nous produisons également de l’hydrogène à partir de déchets. Concrètement, nos solutions se présentent sous la forme de boîtes, que nous appelons des réacteurs/échangeurs de chaleur, dans lesquelles se réalisent des réactions chimiques pour la fabrication de ces molécules de synthèse.
Quels sont vos clients ?
Ce sont des industriels bien sûr, mais aussi des porteurs de projets qui par exemple utilisent le CO2 venant d’une usine, fabriquent un carburant de synthèse à partir de nos dispositifs, et le vendent à une compagnie aérienne, ou autre.
Pour fabriquer les carburants de synthèse, on parle aujourd’hui de CO2 biogénique, produit à partir de déchets agricoles. En réalité, son volume sera très vite assez limité. Au contraire, les industries émettront toujours du CO2, même si elles le font et le feront de moins en moins.
La production d’acier par exemple représente 7 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Les experts estiment que l’ensemble des mesures de décarbonation de cette production d’acier permettront de réduire d’environ 60 % les émissions associées. Il faut bien faire quelque chose des 40 % restants et réutiliser le CO2 pour le rendre vertueux est une très bonne idée pour la planète et aussi pour l’économie !
Qu’apportez-vous par rapport aux solutions déjà existantes dans ce domaine ?
Notre technologie est nouvelle. Par rapport aux dispositifs qui existent déjà, nos réacteurs permettent de réaliser des réactions chimiques de manière beaucoup plus efficace. Nous avons un très bon taux de conversion, c’est-à-dire que nous perdons très peu de molécules et d’énergie dans les réactions chimiques. Par ailleurs, nous consommons très peu de catalyseurs, qui sont en général des produits qui coûtent cher et qu’il faut changer régulièrement. Notre technologie est donc vertueuse d’un point de vue environnemental mais aussi d’un point de vue financier.
En outre, nos réacteurs sont très compacts et résistants, ce qui les rend particulièrement adaptés pour un certain nombre d’applications. Ils sont aussi modulaires : on peut les assembler, les combiner librement pour adresser différents types de projets. Nos dispositifs s’adaptent quelle que soit la taille de l’usine.
Enfin, Khimod est une entreprise française, qui fabrique ses produits en France, dans l’Essonne (91). Nous sommes heureux de contribuer au made in France et à la transition énergétique pour les activités industrielles de notre pays. Pour toutes ces raisons, Khimod propose des solutions très différentes de ce qui peut exister par ailleurs.
Pouvez-vous donner un exemple d’application dans laquelle cette modularité prend son sens ?
Aujourd’hui, le kérosène de synthèse n’est pas un produit très courant : il représente moins de 1 % du carburant des avions. Mais d’ici 2050, en Europe et aux États-Unis, il est très probable que tous les avions volent au kérosène de synthèse. Par conséquent, les porteurs de projets qui investissent de forts capitaux dans ces nouveaux carburants vont procéder par étapes. Or, la modularité de notre solution permet justement d’accompagner ces projets en fonction de leur taille et de leur développement.
Êtes-vous satisfaits de l’action publique en faveur de la transition écologique des industries ?
Il y a un vrai écosystème qui se constitue peu à peu en donnant une place aux entreprises de notre taille. L’État joue son rôle en apportant des mécanismes de soutien financier. Mais la phase actuelle a dépassé le cadre des démonstrateurs et de l’aide au développement de projet : notre croissance dépend à présent surtout de la régulation des pouvoirs publics (par exemple le taux de kérosène de synthèse dans les carburants). Nos projets de transformation des déchets en gaz verts (waste-to-fuel) attendent un geste de régulation de la part de l’État pour pouvoir vraiment avancer. Je note d’ailleurs que les actions du gouvernement des États-Unis sont pour le moment plus audacieuses que les nôtres grâce à l’Inflation Reduction Act (IRA). Cette dynamique outre-Atlantique nous ouvre de nouveaux marchés, mais elle est aussi très dangereuse pour l’industrie européenne si on n’en prend pas la mesure. Sur les carburants de synthèse par exemple il serait absurde d’un point de vue environnemental et économique d’importer ces carburants vertueux depuis l’Amérique du Nord – et pourtant cela est envisagé par certains !
À quels éléments le futur de votre développement tient-il ?
En termes de maturité de technologique, notre situation est excellente. À présent, nous cherchons à grandir et à accompagner nos clients pour des projets de plus en plus grands. Et dans cette perspective, notre avenir est en partie lié à des décisions politiques ou collectives majeures : Comment choisit-on de valoriser le CO2 émis ? Par quels moyens et procédés en fait-on autre chose ? Comment faire pour rendre neutre en carbone le transport aérien, le transport maritime ou les industries très polluantes comme les cimenteries ou les aciéries ? Est-ce que notre société est prête à mettre en œuvre les moyens nécessaires pour décarboner notre industrie ? Ce sont les questions fondamentales qui vont dessiner l’avenir de notre croissance.
Quels sont vos projets en préparation ?
Aujourd’hui la plupart des projets développés permettent de synthétiser du kérosène à partir du CO (monoxyde de carbone). Mais le CO est un gaz assez peu disponible. Au contraire, le CO2 est très abondant. Or, nous faisons actuellement aboutir une solution qui permet de faire passer du CO2 au kérosène. Très peu d’entreprises sont capables de le faire aujourd’hui !