Kinshasa, ma ville… état des lieux et perspectives
Rétrospective historique
Rétrospective historique
L’expansion urbaine de Kinshasa est à situer dans le cadre mondial d’une croissance de la population sans précédent. En 1800, la population du monde n’atteignait pas encore 1 milliard d’hommes. Les 2 milliards ont été franchis en 1925 et les 3 milliards en 1963. Le rythme s’intensifia alors et nous avons passé les 4 milliards en 1976, les 5 milliards en 1987 et les 6 milliards le 12 octobre 1999. L’Europe qui avait constitué près du quart de la population mondiale jusque 1940 est tombée à 16 % en 1980 et à 12 % aujourd’hui. L’Afrique compte déjà 800 millions d’hommes et elle est le continent dont l’expansion est la plus forte.
Année | Population |
1920 1940 1945 1950 1960 1966 1975 1986 2000 |
25 000 50 000 100 000 200 000 400 000 800 000 1 600 000 3 000 000 6 000 000 |
L’expansion démographique de Kinshasa s’inscrit dans ce contexte. La population de la ville a pratiquement doublé huit fois depuis 1920, selon le tableau ci-contre. Cet accroissement est tel qu’il y a aujourd’hui en vie à Kinshasa plus de personnes qu’on y en a enterrées depuis le XVIe siècle et sans doute depuis l’Antiquité.
Les chiffres présentés sont assez solides. L’Institut national de la statistique a notamment réalisé des enquêtes sociodémographiques de bonne qualité en 1955, 1967 et 1975, ainsi qu’un recensement scientifique de la population en 19841.
De tels travaux n’établissent pas seulement des chiffres de population, mais des taux de croissance qui démontrent leur cohérence et qui permettent de les extrapoler. Le maintien d’un rythme rapide d’expansion, de l’ordre de 5 % par an, est en outre attesté par l’extension de la superficie bâtie, qui ressort des photos aériennes et des images enregistrées par satellites.
Qui construit la ville ?
Sur le plan administratif, la ville a été organisée en 11 communes en 1957, pour les premières consultations électorales. Les deux communes de Matete et de Ndjili y ont été intégrées en 1959, puis celle de Lemba en 1966. L’organisation actuelle en 24 communes date de 1968, lorsque la ville absorba le secteur des Batékés et la chefferie Bankana, qui relevaient auparavant du territoire de Kasangulu.
Mais la ville de Kinshasa a davantage été construite par sa population que par ses dirigeants. La plupart des quartiers lotis depuis 1960 l’ont été sans intervention des autorités supérieures et ce sont souvent les habitants qui assurent eux-mêmes les travaux nécessaires de protection de l’environnement et de lutte contre les érosions. L’autorité urbaine a, par contre, eu le mérite de concevoir à très grandes dimensions le réseau primaire de la ville. La circulation à longue distance est ainsi plus aisée que les liaisons entre quartiers ne se situant pas sur les grands axes. Cela se traduit dans le paysage par les emprises très larges des voies qui forment un réseau de grand maillage performant : le boulevard Lumumba a originellement été tracé avec une emprise de 170 mètres.
C’est sur le même modèle qu’ont été conçus l’autoroute de la Nsele et l’aménagement de l’avenue Kasa-Vubu de Bandalungwa à Kintambo. Sur le plan sociopsychologique, cette forte priorité donnée au réseau primaire entraîne une assez grande unité de l’opinion publique et une diffusion extrêmement rapide des informations à Kinshasa.
Le rôle de la population dans le fonctionnement de la ville est tout aussi grand que dans sa construction. Bien des services publics ne sont assurés que par le dévouement et le savoir-faire de nombreux agents, souvent sans ressources administratives et même impayés. Les transports en commun sont, eux, essentiellement organisés par des privés sous la forme de camionnettes aménagées en taxi-bus.
Vue de deux zones d’extension à des époques différentes de leur remplissage. © VILLES EN DÉVELOPPEMENT (ISTED)
Un dynamisme vraiment humain
Cette rapide analyse montre que Kinshasa n’est pas seulement une ville en croissance démographique rapide, mais un lieu de profonde transformation culturelle.
La population s’y forme à de nouveaux modes de gestion collective. Elle est assez consciente que le bien commun est l’ensemble des conditions qui permettent aux personnes d’atteindre mieux et plus facilement leur plein épanouissement. Les Kinois savent se mobiliser pour des actions communes de promotion de ce bien commun.
Kinshasa, ville de gaîté et d’indépendance d’esprit, lieu de transformation culturelle. © VILLES EN DÉVELOPPEMENT (ISTED)
Malgré les déficiences, la ville de Kinshasa a largement bénéficié des conquêtes sociales du xxe siècle : le relèvement du niveau de compréhension des problèmes de la vie, lié à la généralisation de l’enseignement, une maîtrise assez large des problèmes de santé, un sens éveillé des droits de l’homme, le développement d’un tissu social assez dense d’associations diverses, parfois très larges, et l’acceptation du pluralisme culturel.
Mais simultanément, de nombreux Kinois ont découvert que l’appareil de l’État peut être utilisé comme un instrument de prédation.
Il n’est pas rare que des gestionnaires ou des détenteurs d’une parcelle d’autorité en abusent pour extorquer des redevances indues et plus encore pour mettre à charge de l’institution qu’ils devraient promouvoir des engagements ou des services injustifiés. Si cette pratique est largement » admise « , sa dénonciation fréquente jusque dans les médias par des caricatures, des sketches et des groupes de discussion indique qu’elle n’est pas légitimée. Un vrai nationalisme s’enracine profondément dans la ville de Kinshasa et explique sa réaction face à une tentative de domination extérieure.
L’importance des grands réseaux que nous venons de souligner ne caractérise pas seulement la ville, mais la vie de ses habitants. Kinshasa est une ville en mouvement. Si on peut dénombrer 25 000 à 50 000 véhicules par jour sur les grands axes, c’est que plusieurs millions de personnes s’y déplacent tous les jours au rythme de l’enseignement, des bureaux, des affaires et des événements de la vie sociale. Et l’extension de la ville ne cesse d’allonger les réseaux sociaux.
Kinshasa était la capitale vers laquelle convergeaient les produits du réseau fluvial bien avant le xixe siècle, mais la colonisation en a étendu l’autorité jusqu’aux grands lacs à l’Est, jusqu’à la crête de partage des bassins du Congo et du Zambèze au Sud-Est et jusqu’au Kwango plus à l’Ouest. Capitale politique, Kinshasa est aussi devenue capitale culturelle, qui fait danser à son rythme non seulement la République démocratique du Congo mais une bonne part de l’Afrique et de nombreux milieux de jeunes.
Au niveau de la transformation culturelle, le changement le plus profond est peut-être celui de la notion de communauté. En beaucoup de domaines, l’individu y a acquis une autonomie que les milieux moins urbanisés ne connaissent pas. Le fait est associé à une nouvelle dimension de l’appartenance sociale et à une nouvelle conception de l’autorité sociale.
Pour le Kinois comme pour l’homme de la tradition, la terre appartient fondamentalement à la communauté, mais la communauté est devenue la nation. L’autorité publique est aussi transformée : elle est hiérarchisée et son degré supérieur n’est plus local ni ethnique, mais national. Cet élargissement des horizons et des ambitions s’inscrit en outre dans une perception de plus en plus éveillée des dimensions internationales des problèmes de la ville. Kinshasa n’a pas seulement grandi au niveau démographique et à celui des réseaux sociaux. On y pense aussi de plus en plus grand.
La conclusion est que, malgré la pauvreté et les délabrements plus souvent soulignés, Kinshasa est une grande ville en pleine expansion. Si son avenir dépend aussi de l’évolution mondiale, elle vit surtout par la force de ses habitants et par le dévouement exemplaire d’un certain nombre de ses agents, aux yeux desquels elle est une ville d’espérance.
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1. Congo belge, AIMO, Enquêtes démographiques, fascicule n° 1, Cité Indigène de Léopoldville (mai-juillet 1955), Léopoldville, septembre 1957 ; fascicule n° 2, Territoire suburbain de Léopoldville (août 1955, Matete et Ndjili inclus), Léopoldville, octobre 1957. Institut national de la statistique, Étude sociodémographique de Kinshasa 1967, Rapport général, Kinshasa, 1969. J. HOUYOUX et KINAVWUIDI Niwembo, Kinshasa 1975, Kinshasa-Bruxelles, 1975. Institut national de la statistique, Recensement scientifique de la population, juillet 1984, Caractéristiques démographiques, vol. 1 Zaïre/Kinshasa, Kinshasa. Pour l’extrapolation, S. NGONDO a Pitshandenge, B. TAMBASHE Oleko et L. de SAINT MOULIN, Perspectives démographiques du Zaïre 1984–1999 et Population d’âge électoral en 1993 et 1994, Kinshasa, 1992.
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Je suis content de quelques
Je suis content de quelques informations démografiques de mon Pays données par le Professeur Père Léon de Saint Moulin ce n’est pas mal du tout c’est bon mais pas très vrai.