La biodiversité et les enjeux de sa conservation
Biodiversité : le terme, apparu sous la plume de quelques chercheurs au milieu des années quatre-vingt, a connu depuis lors une brillante carrière médiatique. Le concept paraît simple mais n’en demeure pas moins mal compris du grand public. Il est vrai que le domaine de recherche qu’il recouvre est encore, pour les scientifiques, une fabuleuse terra incognita.
Selon la Convention sur la diversité biologique adoptée à Rio en 1992, la biodiversité désigne la variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie. Elle est fonction à la fois du temps (évolution) et de l’espace (distribution géographique). Elle englobe :
- la diversité spécifique : nombre et diversité des espèces rencontrées dans une zone déterminée d’une région, où une espèce est généralement un groupe d’organismes qui peuvent se croiser ou dont les membres se ressemblent le plus (cas des organismes qui se reproduisent par des moyens non sexuels, par exemple les virus, qui constituent une part significative de la biodiversité de la planète) ;
- la diversité génétique : diversité des gènes des différents végétaux, animaux et micro-organismes qui habitent la terre. La variété des caractéristiques permet aux espèces d’évoluer progressivement et de survivre dans des environnements qui se modifient. En particulier, la diminution par sélection de variétés de la diversité génétique des plantes cultivées et des animaux domestiques constitue un risque certain ;
- la diversité écosystémique : nombre et abondance des habitats, des communautés biotiques et des processus écologiques sur la Terre.
Les différences culturelles reflétant les modes de vie, les traditions et les stratégies humaines dans différents milieux contribuent au maintien de la biodiversité.
Nombre d’espèces et différences géographiques
Beaucoup d’espèces sont inconnues (non décrites).
Actuellement la majorité des experts s’accordent pour ramener l’estimation globale d’une centaine à une quinzaine de millions. On trouvera dans la figure 1 l’une de ces estimations. La proportion d’espèces inconnues est particulièrement importante pour les insectes, surtout les coléoptères, et encore plus les virus et bactéries.
La biodiversité présente de grandes différences géographiques. Dans les écosystèmes terrestres, la diversité tend à croître lorsque l’on va des pôles aux tropiques et les forêts tropicales constituent des systèmes exceptionnellement divers. L’évolution de l’étendue et de la qualité du patrimoine forestier mondial est donc particulièrement inquiétante et spectaculaire de ce point de vue. Cependant, les pertes provoquées dans des écosystèmes moins divers, notamment par l’évolution de l’agriculture et de l’élevage, peuvent s’avérer tout aussi dangereuses. Ce serait une erreur grave de croire qu’il suffirait de réduire les pertes dans les forêts tropicales pour maîtriser une évolution beaucoup plus globale, généralement irréversible.
Pour définir des priorités en matière de conservation, l’une des approches possibles est d’identifier des » points névralgiques de biodiversité » (hotspots), où des concentrations exceptionnelles d’espèces endémiques sont soumises à d’exceptionnelles pertes d’habitat. Selon un article récent dans le journal Nature (février 2000), 44 % des plantes vasculaires et 35 % de toutes les espèces de quatre groupes de vertébrés se trouvent dans vingt-cinq points névralgiques (figure 2) couvrant seulement 1,4 % de la surface émergée du globe.
Figure 1 — Nombre (millions) des espèces décrites avec estimation du nombre des espèces existantes non décrites. D’après Hammond (1992).
Importance de la biodiversité
Pourquoi la biodiversité est-elle importante ? Les êtres vivants évoluent pour s’adapter aux variations des conditions écologiques ; cette adaptation est d’autant plus facile que la nature dispose d’une grande variété génétique et écosystémique ; la biodiversité constitue en quelque sorte la matière première de l’évolution. À plus court terme et en se bornant aux intérêts de notre espèce :
- elle contribue à la fourniture d’aliments, de matériaux de construction, de matières premières, de médicaments ;
- elle procure la base des améliorations des végétaux et des animaux domestiques ;
- elle maintient les fonctions des écosystèmes, y compris les processus d’évolution ;
- elle emmagasine et recycle des nutriments indispensables à la vie, par exemple le carbone, l’azote et l’oxygène ;
- elle absorbe et décompose les polluants, y compris les déchets organiques, les pesticides et fixe les métaux lourds.
Valeur économique
On a essayé de chiffrer l’importance économique de la biodiversité : d’une évaluation globale de 33,3 milliards de milliards (1018) de dollars US 1994.
Par biomes | 33,3 | Par services rendus par les écosystèmes | 33,3 |
Milieux marins | Régulation composition atmosphère | 1,3 | |
Océans | 8,4 | Atténuation des variations de l’environnement | 1,8 |
Zones côtières | 12,6 21,0 | Contrôle de l’eau | 1,1 |
Milieux terrestres | Ressource en eau | 1,7 | |
Forêts | 4,7 | Recyclage des nutriments | 17,1 |
Prairies et alpages | 0,9 | Traitement des déchets | 2,3 |
Zones humides | 4,9 | Production alimentaire | 1,4 |
Lacs et rivières | 1,7 | Contribution à l’agriculture | 3,0 |
Terres agricoles | 0,1 12,3 | Autres (contrôle de l’érosion, formation des sols) | 3,6 |
Valeur moyenne mondiale des services écosystémiques. D’après Costanza et al. (1997). |
On a également cherché à évaluer les services rendus dans des cas particuliers par le coût des dispositions de remplacement. Par exemple, pour l’alimentation de la ville de New York à partir des monts de Castkill on a chiffré le coût correspondant à la diminution de l’efficacité des processus de purification de l’eau par les micro-organismes du sol et par la filtration et la sédimentation à travers le sol, compromise par les déversements d’eaux polluées et par l’emploi de fertilisants et de pesticides (d’après Chichlinisky et Heal, 1998) : l’investissement pour les nouvelles installations de filtration s’élèveraient à 6–8 milliers de milliards (1012) de dollars US avec des frais d’entretien annuels de 300 000 $ ; la restauration du bassin versant, moins coûteuse, nécessiterait un investissement de 1−1,5 milliers de milliards.
Les tentatives d’évaluation illustrent la valeur considérable, généralement très sous-évaluée, des services rendus par les processus naturels des écosystèmes. Une évaluation au cas par cas permet d’en tenir compte, même si un chiffrage systématique n’est pas indispensable.
On estime que plus de 90 % des espèces ont disparu depuis l’apparition de la vie et la biodiversité globale a beaucoup varié au cours des temps. Actuellement, dans une période relativement stable, c’est l’activité humaine qui est la cause de la diminution du nombre d’espèces sur notre planète à un rythme beaucoup plus rapide que celui des créations du fait de l’évolution. Les impacts humains importants datent de plusieurs milliers d’années.
Par exemple, il y a huit mille ans, la végétation méditerranéenne était déjà très modifiée par l’homme ; il y quatre mille ans, une déforestation massive commençait en Chine. Mais ces impacts n’ont pris une ampleur inquiétante qu’au XXe siècle, surtout dans les régions tropicales. Si ce phénomène de transformation des écosystèmes est généralement admis, les généralisations de constats inévitablement partiels donnent des résultats assez incertains. Des évaluations de taux d’extinction d’espèces sont souvent publiées, mais ces chiffres sont loin de correspondre à des certitudes.
L’Union mondiale pour la nature (UICN) a suggéré en 1990 les évaluations suivantes du taux annuel d’extinction : 1 espèce par an en 1600, 4 par an en 1900, 24 par an en 1975, 1 000 par an en 1985, et 15 000 par an en 2010. Sur le plan des transformations des écosystèmes et de ses effets sur la biodiversité, le mode de gestion actuel des forêts tropicales est particulièrement défavorable, comme le suggère une comparaison de la gestion d’une partie importante de la forêt tropicale avec la gestion d’une entreprise industrielle performante.
Figure 2 – Vingt-cinq “ points névralgiques de la biodiversité ” (hotspots), où des concentrations exceptionnelles d’espèces endémiques sont soumises à d’exceptionnelles pertes d’habitat. D’après Myers et al. (2000).
Que fait-on pour minimiser la perte de biodiversité ?
Une conservation du patrimoine génétique de certaines espèces ou variétés est assurée » ex situ » par des banques de matériels de reproduction et par des cultures ou élevages de lignées pures protégées des risques de pollutions génétiques. Une conservation » in situ » peut être obtenue par l’institution de zones protégées. Mais, une approche de la conservation espèce par espèce est évidemment limitée en pratique par des contraintes de temps et d’argent et surtout parce que la majorité d’entre elles sont encore inconnues et qu’il n’est pas possible de déterminer celles qui présentent le plus d’importance pour le fonctionnement des écosystèmes.
Il est évidemment nécessaire de mieux tenir compte de ce risque dans les modalités de mise en valeur sans se limiter aux zones les plus sensibles car le problème est planétaire. Beaucoup de progrès sont possibles mais il faut bien voir que certaines pertes sont inéluctables étant donné la forte croissance de la population, la pauvreté de la majorité et les pressions économiques, notamment dans les pays en développement.
Une approche écosystémique présente plusieurs avantages par rapport à une approche spécifique en permettant aux communautés naturelles de continuer à évoluer et en conservant un plus grand nombre d’espèces, notamment celles qui sont mal connues ou inconnues. On a donc institué des » zones protégées « , dont le nombre et la surface totale ont beaucoup augmenté depuis une trentaine d’années.
La superficie totale des zones protégées est de l’ordre de 5 % des terres émergées et peu de zones marines sont protégées. Ces programmes de conservation se limitent à des territoires encore » naturels » alors qu’une bonne part de la biodiversité se rencontre en fait dans des zones semi-naturelles et rurales constituées de champs, de forêts, de haies, de lisières et de friches à différents stades du processus de succession, et consiste aussi en plantes cultivées et animaux domestiques ; la plupart de ces zones ne représentent que des fragments d’écosystèmes naturels et ne sont pas assez vastes pour fonctionner en s’autorégulant de la même façon.
L’insuffisance de ces réseaux tient à un concept traditionnel de conservation de la nature » dans un bocal « , incompatible avec l’exploitation, durable ou non, des ressources par l’être humain.
Figure 3 – Schéma de zonage et cas de la Réserve de biosphère de la Guadeloupe. Elle se compose de deux unités : la forêt tropicale humide du Parc national de la Guadeloupe et la zone maritime de la Réserve naturelle du Grand Cul-de-Sac Marin qui comprend des mangroves, des petites îles et des récifs coralliens. Les aires de transition abritent un grand nombre de petites villes et de villages dotés de multiples installations touristiques. Des régimes de gestion différents sont appliqués à chaque zone et à chaque type d’écosystème.
Les populations locales, que l’objectif de sanctuaire peut conduire à déplacer, sont exclues de la gestion confiée à des organisations dans lesquelles elles sont peu ou pas représentées, ce qui ne les incite pas à respecter la réglementation, génère des conflits sociaux et contribue à une surexploitation des terres environnantes.
Les zones protégées deviennent en fait des îlots vulnérables aux changements climatiques excluant les possibilités de migrations indispensables à l’adaptation.
Cette conception évolue ; la Convention de l’Unesco de 1972 sur le » patrimoine mondial « , puis la négociation de la Convention sur la diversité biologique (Rio 1992) ont conduit à mettre en avant son utilisation durable en associant protection et développement.
Les réserves de biosphère
Le programme sur l’Homme et la biosphère (MAB, d’après son titre en anglais) de l’Unesco a offert une alternative aux concepts traditionnels en suscitant la création de » réserves de biosphère « . Les réserves sont destinées à remplir les trois fonctions suivantes :
- conservation : contribuer à la conservation des paysages, des écosystèmes, des espèces et de la variabilité génétique,
- développement : encourager un développement économique durable sur les plans écologique et socioculturel,
- appui logistique : pour la recherche, la surveillance continue, la formation et l’éducation en matière de conservation et de développement durable aux niveaux local, régional et mondial.
Pour remplir leurs fonctions complémentaires de conservation et d’utilisation des ressources naturelles, les réserves de biosphère sont constituées de trois zones interdépendantes : une aire centrale, une zone tampon et une aire de transition (figure 3, en haut).
Dans la réalité, ce zonage est appliqué de façon très diverse en fonction des conditions géographiques, des contextes socioculturels, des mesures de protection réglementaires et des contraintes locales. Cette souplesse laisse une grande marge de créativité, ce qui représente l’un des points les plus forts du concept (figure 3, en bas, cas de la Guadeloupe).
La population est étroitement associée à la conception et à la mise en œuvre d’un programme intégré de gestion des terres et de l’eau pour répondre aux besoins humains tout en préservant la biodiversité.
Les recherches et le suivi permanent, organisés en réseau mondial, portent à la fois sur les écosystèmes et sur les approches permettant à la population d’utiliser au mieux les ressources locales et de compenser les contraintes imposées par l’objectif de protection.
Les études menées dans ce réseau de réserve doivent permettre de définir les options possibles.
Il existe actuellement 391 sites répartis dans 94 pays, dont 8 en France métropolitaine et 2 dans les DOM-TOM.
Les réserves de biosphère sont de véritables laboratoires pour la recherche expérimentale – surtout dans la zone tampon – destinée par exemple à la mise au point de méthodes de gestion visant à accroître qualitativement la production tout en assurant, dans toute la mesure du possible, le maintien des processus naturels et de la biodiversité. La stratégie de la masse critique (figure 4) est un exemple d’une stratégie intégrée de développement, capable de tirer de meilleurs profits que ceux prévus par les formes écologiquement non viables d’aménagement.
Le but est de travailler vers une solution où toutes les parties concernées s’en sortent véritablement gagnantes.
Conclusion
Pour autant, il serait dangereux de vouloir la mettre sous cloche. La biodiversité est un système dynamique qui englobe les êtres humains.
Si la diversité biologique est l’essence même de la vie, elle couvre de multiples perspectives et dimensions. Elle s’étend des gènes à la biosphère, en passant par les espèces et les écosystèmes, et elle revêt une importance capitale pour l’avenir de notre planète. Les écosystèmes assurent tout un éventail de services environnementaux qui rendent notre planète vivable. La biodiversité limite l’insécurité alimentaire et constitue un formidable réservoir de gènes pour les biotechnologies, notamment dans les domaines agricole et médical.
Pour la conserver de façon durable, il faut entretenir un réseau mondial de réserves naturelles en associant les populations locales à leur gestion. Les réserves de biosphère représentent un tel réseau, en recherchant des moyens pour un développement en harmonie avec la conservation de la biodiversité, en inscrivant leurs actions dans le long terme et en misant sur la recherche et la formation.
Figure 4 – D’après Muul (1993).
Informations complémentaires :
Unesco
Division des sciences écologiques
1, rue Miollis, 75732 Paris cedex 15.