L'érythropoïétine. © CELLECTIS

La bioproduction » fine « , activité stratégique

Dossier : Les biotechnologies, industries majeures du XXIe siècleMagazine N°642 Février 2009
Par Marc-Olivier BÉVIERRE (X85)
Par Marc LE BOZEC

La bio­pro­duc­tion » fine » est une spé­cia­li­té dont le déve­lop­pe­ment s’est accé­lé­ré récem­ment avec l’ap­pa­ri­tion de nou­veaux médi­ca­ments issus des bio­tech­no­lo­gies, et le mar­ché pour ces pro­duits, qui se monte actuel­le­ment à 70 Mds $, est et res­te­ra pro­ba­ble­ment domi­né par des acteurs de grande taille (labo­ra­toires phar­ma­ceu­tiques). Avec ces nou­veaux médi­ca­ments, l’ac­ti­vi­té de pro­duc­tion devient stra­té­gique, car elle ne peut plus être dis­so­ciée du pro­duit final. Il est donc à pré­voir que les grands labo­ra­toires gar­de­ront cette acti­vi­té en interne à long terme, contrai­re­ment à la pro­duc­tion des petites molé­cules chi­miques, qui est de plus en plus externalisée.

La bio­pro­duc­tion » fine » est l’in­dus­trie des com­po­sés bio­lo­giques com­plexes, pro­duits en petites quan­ti­tés, entrant dans la fabri­ca­tion de médi­ca­ments issus des bio­tech­no­lo­gies. Elle est essen­tiel­le­ment com­po­sée de deux grandes classes de pro­duits : les pro­téines recom­bi­nantes (éry­thro­poïé­tines ou EPO, hor­mones) ; les anti­corps mono­clo­naux, classe plus récente et en fort développement.

Tiré par une demande crois­sante pour ce type de pro­duits, le mar­ché de la bio­pro­duc­tion fine est en crois­sance forte et régu­lière (10 à 15 % par an) : il repré­sente en chiffre d’af­faires 50 mil­liards de US dol­lars pour les pro­téines recom­bi­nantes et 15 à 20 mil­liards pour les anti­corps monoclonaux.

Deux procédés dominent le marché

Les pro­cé­dés uti­li­sés pour pro­duire ces sub­stances sont de deux types :

  • les pro­cé­dés néces­si­tant des trans­for­ma­tions com­plexes (pour les experts, des gly­co­sy­la­tions ou des modi­fi­ca­tions post-tra­duc­tion­nelles) uti­lisent des lignées de cel­lules de mam­mi­fères1. Ces pro­cé­dés à très haute valeur ajou­tée repré­sentent actuel­le­ment 80 % du chiffre d’affaires ;
  • les pro­cé­dés plus clas­siques, qui uti­lisent des bac­té­ries2, sont connus depuis plus long­temps mais n’ont pas les pos­si­bi­li­tés des méthodes pré­cé­dentes. Ils repré­sentent envi­ron 20 % du chiffre d’affaires.

Les acteurs de ce mar­ché sont pour une très grande par­tie les grands labo­ra­toires phar­ma­ceu­tiques et bio­phar­ma­ceu­tiques tels Genen­tech, Amgen, Gen­zyme, Wyeth, Boeh­rin­ger Ingel­heim, Roche, Novar­tis, GSK. Ces entre­prises repré­sentent à elles seules 85 % du marché.

Le reste du mar­ché est occu­pé par des Contract Manu­fac­tu­ring Orga­ni­za­tions (CMOs), dont Lon­za et DSM sont les prin­ci­paux représentants.

Une méga­nu­cléase.

Un maillon stra­té­gique de la chaîne de valeur
Contrai­re­ment à ce qui se passe avec les molé­cules chi­miques clas­siques, pour les­quelles la fabri­ca­tion n’est en géné­ral pas stra­té­gique, les bio­mé­di­ca­ments, eux, sont entiè­re­ment déter­mi­nés par le pro­cé­dé de pro­duc­tion lui-même.
Cela a deux consé­quences importantes :
  • les bio­mé­di­ca­ments sont très dif­fi­ci­le­ment copiables par des géné­ri­queurs, et les coûts de déve­lop­pe­ment et d’en­re­gis­tre­ment pour eux sont consi­dé­ra­ble­ment plus élevés ;
  • l’ac­ti­vi­té de pro­duc­tion devient un maillon stra­té­gique pour le labo­ra­toire inven­teur et la sous-trai­tance de cette acti­vi­té – contrai­re­ment aux petites molé­cules chi­miques – est peu pro­bable, même à long terme.

Un avenir lié à la forte demande en nouveaux médicaments

L’a­ve­nir de la bio­pro­duc­tion est très pro­met­teur : une pro­por­tion de plus en plus grande des médi­ca­ments de demain sera issue de ces pro­cé­dés. De nou­velles classes viennent encore ren­for­cer la demande : les ARN inter­fé­rents, dont le mode d’ac­tion tout à fait nou­veau en fait une classe très étu­diée en ce moment, et les méga­nu­cléases, déve­lop­pées par Cel­lec­tis, pour ne citer que ces deux exemples.

L’é­tape de puri­fi­ca­tion repré­sente l’es­sen­tiel du coût de production

Concer­nant l’a­mé­lio­ra­tion des pro­cé­dés eux-mêmes, le champ est encore très ouvert, car de nom­breux pro­grès res­tent à faire. L’é­tape de puri­fi­ca­tion du pro­duit final, notam­ment, qui suit celle de la syn­thèse pro­pre­ment dite, pose de nom­breux pro­blèmes tech­niques et repré­sente l’es­sen­tiel du coût de pro­duc­tion. De nou­velles tech­no­lo­gies émergent, mais ce domaine reste encore lar­ge­ment empi­rique, et aux mains de quelques » experts « , au savoir-faire encore peu for­ma­li­sé et donc dif­fi­cile à transmettre.

Mais l’a­ve­nir de la bio­pro­duc­tion est d’au­tant plus pro­met­teur que, non seule­ment la demande va for­te­ment aug­men­ter dans les années sui­vantes, mais aus­si parce que, contrai­re­ment à la pro­duc­tion chi­mique clas­sique, elle devient un élé­ment clé de la chaîne de valeur des futurs médicaments.

La mon­tée en puis­sance des molé­cules bio­lo­giques com­plexes est un tour­nant impor­tant dans l’his­toire de la pro­duc­tion phar­ma­ceu­tique, car elle remet l’ac­ti­vi­té de pro­duc­tion au cœur de la valeur ajou­tée du médi­ca­ment. Elle pose éga­le­ment un cer­tain nombre de défis tech­no­lo­giques majeurs, dont la réso­lu­tion n’est pas évi­dente et va néces­si­ter des efforts de recherche au moins aus­si impor­tants que ceux qui seront néces­saires pour décou­vrir de nou­velles sub­stances actives.

1. La prin­ci­pale ligne de cel­lule uti­li­sée est la CHO (Chi­nese Ham­ster Ova­rian Cell), pro­duite par le hamster.
2. Essen­tiel­le­ment E. coli.

Pour en savoir plus

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