La carrière rigoriste de Nicolas Berthot, polytechnicien de l’an III
À ceux qui s’intéressent à l’histoire politique de la France au cours de la première moitié du XIXe siècle Paul Barbier (42) propose une étude parfaitement documentée, présentée dans le bulletin n° 27 de la Société des Amis de la Bibliothèque de l’École polytechnique. Le protagoniste en est Nicolas Berthot né en 1776, polytechnicien de l’an III, recteur de l’académie de Dijon pendant plus de trente ans, de la Seconde Restauration en 1815 jusqu’à la révolution de 1848, et décédé en 1849.
Homme de convictions politiques et religieuses inflexibles, regrettant le temps où “ le roi et l’église faisaient régner l’ordre et l’harmonie dans le pays ”, il veille avec une vigilance de tous les instants à mettre les professeurs et leurs élèves à l’abri d’une contagion des idées libérales et matérialistes. Et cependant son souci majeur est la défense de l’Université, une et indivisible, dont le monopole doit s’imposer à tous, y compris aux ordres religieux.
L’intransigeance de Berthot l’entraînera dans deux conflits interminables, pour des enjeux qui nous paraissent dérisoires, sans commune mesure avec l’énergie dépensée dans les procédures juridiques qui vont opposer l’Université à la ville, et à l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon.
Dans le premier cas, il s’agit de la dévolution du bâtiment de l’ancien collège royal : appartient-il à la ville en application des textes de 1793 qui stipulaient la confiscation des biens ecclésiastiques, ou à l’Université en raison des textes de 1808 ordonnant le transfert à cette institution des biens des anciens collèges et des anciennes académies ? Après treize ans d’échanges d’arguments devant les tribunaux, la querelle se réglera par une transaction. Dans le second cas, c’est la propriété des collections et du mobilier de l’ancienne académie qui va provoquer une bataille juridique dans laquelle la machine administrative engagera ses meilleurs talents (y compris ceux du ministre de l’Instruction publique), et qui ne se conclura par une transaction qu’en 1846 !
Dans les combats de toutes sortes que va mener Berthot, le plus souvent il n’hésitera pas à recourir à des arguments de mauvaise foi. Pourtant il manifestera durant sa vie entière une qualité qui lui vaut l’indulgence de Paul Barbier : un dévouement total et désintéressé à la cause d’une diffusion aussi large que possible des savoirs. Dans cet esprit, il crée et défend avec obstination une école normale d’instituteurs à Dijon, un modèle qui prépare l’effort que la France va développer par la suite en faveur de l’instruction publique.
À l’exception d’une année passée à Paris pour rétablir la discipline au lycée Louis-le-Grand, la carrière de Berthot se déroule à Dijon. Et pourtant elle ne manque pas de péripéties car les attitudes du héros, sans nuances, l’entraînent dans des polémiques permanentes. La presse locale ne l’épargne guère !
La présentation de Paul Barbier, très animée, ouvre nombre de fenêtres sur la vie politique provinciale et nationale, et sur le fonctionnement des lourdes machines de la justice et de l’administration au cours de la première moitié du siècle. Elle apporte un éclairage original sur les prémices des controverses idéologiques qui vont agiter les structures de l’enseignement en France pendant de longues années. Le choix des citations et références qui complètent l’étude lui confère un intérêt supplémentaire. Ajoutons que l’écriture de l’auteur, où affleure en permanence un humour subtil comme les parfums du terroir bourguignon, fait de la lecture de ce texte un vrai divertissement !