La carte de France déformée par le TGV
Les infrastructures de transport jouent un rôle fondamental dans l’aménagement du territoire. A côté des modèles économétriques fondés sur le seul » coût généralisé « , un outil permet de mesurer » l’accessibilité » des villes sur le territoire national, c’est-à-dire, au départ d’une ville, donnée, toutes les gares accessibles en un temps donné. Le TGV, particulièrement efficace sur des parcours de 2 ou 3 heures, perd de sa pertinence à partir de 5 heures. Entre 1980 et 2006, la part de la population accessible en moins de 5 heures s’est accrue de 20 % à partir de Paris, de 25 % à partir de Lyon et de 33 % à partir de Lille. Dans un avenir plus éloigné , Lille et Strasbourg pourraient voir leur accessibilité croître de plus de 40 %.
REPÈRES
Les modèles économétriques qui rendent compte de la relation entre l’offre et la demande de transport sont basés sur le concept de « coût généralisé » qui agrège le coût financier, la valeur du temps passé et perçu pour se déplacer et la pénibilité du voyage. Ces modèles expliquent bien les transferts de clientèle entre les modes de transport concurrents (modèle « prix-temps ») et l’accroissement de mobilité que suscite une offre nouvelle ou améliorée (modèle « gravitaire »).
La SNCF a mis au point des modèles économétriques pour mesurer le lien entre la qualité de son offre et le volume de voyageurs transporté. Elle s’est aussi équipée d’un outil de mesure de l’accessibilité des villes sur le territoire national.
Carte anamorphose de la France en 2007.
Dans un premier temps, cette étude a porté sur les cartes dites » anamorphoses » qui donnent une représentation du territoire intégrant les déformations de l’espace liées au fait que la vitesse de déplacement varie avec la direction adoptée et le point de départ.. Tout se passe comme si la carte de France était dessinée sur un support chiffonné de telle façon que des villes reliées par un transport très rapide se retrouvent proches à cause des plis, alors que, lorsque le transport est lent entre deux villes, la portion de carte qui les englobe est au contraire bien dépliée. Ces cartes anamorphoses font donc ressortir les zones lentes à traverser en leur donnant une surface relative plus grande que sur le terrain. La comparaison des cartes anamorphoses pour les années 2 000, sans le TGV Méditerranée et 2007 avec le TGV Méditerranée et le TGV Est européen montre clairement cet effet de rétrécissement des zones efficacement desservies. Ces cartes ont le mérite d’illustrer la déformation spatiale du territoire en fonction du temps de parcours ferroviaire. Elles ne fournissent pas une mesure quantitative des effets de l’offre. elles ne constituent pas non plus un outil » transitif « , en ce sens qu’une zone qui rétrécit à un moment donné grâce à une ligne à grande vitesse (LBV) peut très bien se dilater lorsqu’une autre LGV est ouverte, puisque la carte représente des distances relatives et non absolues.
Cartes isochrones au départ de Paris en 1980 et 2006.
En 2006, la France entière était accessible à partir de Paris en moins de sept heures trente. Il fallait parfois compter plus de dix heures en 1980.
L’isochrone de 5 heures
En termes d’accessibilité des villes, l’Est et le Sud-Est ont » rapetissé » en 2007
La carte » isochrone « , contrairement à la carte anamorphose, n’est valable que pour un seuil point du territoire, c’est à dire une seule ville dans le cas de l’outil SNCF. Il s’agit, en partant de la gare de cette ville, de trouver toutes les gares que l’on peut atteindre en un temps donné de parcours ferroviaire, direct ou non. C’est ainsi que se forment des auréoles, plus ou moins larges en fonction de la limite de temps considérée. La fabrication de cartes à partir de bases de données horaires, disponible depuis 1980, est aujourd’hui automatique. La SNCF a associé à chaque isochrone le calcul de la population correspondante. Il est ainsi possible de visualiser, pour une année A et une ville V la partie de la France accessible en T heures de train et d’y associer le pourcentage de la population du pays pouvant être atteinte dans ce délai. L’isochrone cinq heures est particulièrement intéressante. Chacun sait que le TGV est particulièrement efficace entre deux et trois heures. Au delà de trois heures, il perd progressivement sa position dominante sur le marché. A partir de cinq heures, il est dominé par l’avion. Ainsi, l’isochrone cinq heures correspond à peu près au domaine de pertinence du TGV.
Paris, Lyon et Tours
Repères
En 25 ans le trafic a progressé deux fois plus sur la relation Paris-Lille (de l’indice 100 à l’indice 335) que sur Paris-Strasbourg (de l’indice 100 à l’indice 170).
Un horizon encore virtuel : le « Grand avenir »
L’intérêt de cet assemblage d’une base de données horaires et d’un système d’information géographique ne réside pas tant dans la constitution à un moment donné de l’image de la France vue d’une ville déterminée que dans la production de la série temporelle de telles images et dans la quantification des transformations. En s’attardant sur le cas de Paris, il est possible de comparer l’isochrone 1980 (situation avant la LGV Paris-Lyon) avec l’isochrone 2 006 qui incorpore les progrès des 1 500 km de LGV exploités. Le tableau indique les augmentations respectives de l’accessibilité pour quelques grandes villes. En dehors du fait que les villes situées à la périphérie du territoire ne pourront jamais atteindre les scores de celles qui sont passées en son centre, la première conclusion est que Lyon et Tours, grosso modo placées comme Paris au centre de la France, enregistrent des gains semblables à ceux de la capitale. Lille, à la périphérie et reliée au réseau des >LGV gagne nettement plus. Strasbourg, également excentrée, ne progresse pas en raison de son éloignement du réseau TGV.
Isochrones 1980 – 2006 – Grand avenir.
Pourcentage de la population accessible en cinq heures de train et gain par rapport à 1980.
Un indicateur virtuel
Volume de trafic au départ de Paris ou à l’arrivée à Paris (base 100 en 1980).
L’outil nécessite de disposer des horaires des trains, ce qui théoriquement limite l’analyse à la période actuelle. Toutefois, à l’occasion de l’instruction des projets de LGV, la SNCF a été conduite à bâtir une sorte d’indicateur » virtuel » pour un horizon assez éloigné, qualifié de » grand avenir » (GA).. Certes, les villes périphériques restent moins accessibles que les villes du centre, mais elles touchent néanmoins trois-quarts de la population en cinq heures au maximum. Toutes les villes de province progressent plus que Paris et comblent une partie de leur handicap de situation. Le reproche souvent adressé au TGV d’accroître la centralisation française n’est donc pas fondé.
Accessibilité et trafic
L’amélioration de l’accessibilité doit normalement se traduire par une augmentation des échanges. Nous avons essayé de vérifier ce fait en examinant l’évolution des échanges entre Paris d’une part, Lille et Strasbourg d’autre part, entre 1 980 et 2 005. Effectivement, lorsque l’accessibilité s’améliore, le trafic suit. Toutefois, ces résultats ne permettent pas de comprendre pourquoi les villes en périphérie gagnent plus que les villes au centre. La décomposition du trafic TGV par axe et son évolution donne la clé. La composante la plus dynamique du trafic TGV est » l’intersecteur « . L’intersecteur regroupe l’ensemble des relations TGV qui ne touchent pas les gares situées à Paris. Il s’agit principalement de relations contournant Paris via Roissy, Marne-la-Vallée ou Massy et, accessoirement, de relations transversales telles que Strasbourg-Lyon. Le réseau LGV a effectivement permis de proposer des relations province – province très performantes qui contribuent très fortement à l’accessibilité. Ces relations connaissent un succès commercial grandissant et la progression du trafic y est en moyenne double de celle constatée sur les radiales qui partent ou arrivent à Paris, preuve que la centralisation n’est pas le moteur du TGV.
Un barreau au sud de Paris
C’est une des raisosn pour lesquelles la SNCF milite fortement pour la construction d’un barreau en ligne nouvelle au sud de Paris, desservant au passage l’aéroport d’Orly, afin de poursuivre la politique de contournement de la capitale. De plus, cela présente l’avantage d’améliorer la desserte en surface de l’Ile-de-France en délestant les gares surchargées dans Paris intra-muros.
Repères
Le trafic total emporté par les TGV représente aujourd’hui un peu moins de 25 millions de passagers, dont 15 millions pour les intersecteurs. Il devrait atteindre en 2 020 les 40 millions, dont 35 millions pour les intersecteurs (progression de 133 %). A la même époque le TGV Est européen devrait transporter plus de dix millions de passagers