La Cerisaie
Le 25 avril 1988, la Comédie-Française inscrivait à son répertoire La Cerisaie. On ne peut guère que le regretter.
La Cerisaie est sans doute une des pièces de Tchekhov les plus difficiles à jouer, tant le tragique et le risible, en l’occurrence le désarroi des familles ruinées, s’y mêlent. En tout cas, cette difficulté dépasse d’évidence les capacités de la Comédie-Française dans son état actuel.
Le metteur en scène, Alain Françon, a cru s’en sortir en faisant preuve d’originalité et peut-être d’innovation pour la rue de Richelieu : il nous donne d’assister au spectacle d’un coït prolongé, qui d’ailleurs n’est pas dans le texte.
Je n’ai personnellement rien contre le coït, à quoi je dois la vie et que j’ai pratiqué pour ma part à de nombreuses reprises. Si ses préparatifs peuvent n’être pas dépourvus de légèreté et d’élégance, l’acte final, tout riche d’extase qu’il soit pour les partenaires, n’en reste pas moins pour les tiers d’une vision tant soit peu malgracieuse.
Si encore il n’y avait que cela, mais pas du tout.
Mme Catherine Ferran, d’ordinaire si apte à émouvoir, parvient à changer la propriétaire de La Cerisaie en une femme indifférente et froide, revenue de tout. On veut espérer que c’est contre son gré, et seulement pour satisfaire aux exigences du metteur en scène.
On a le sentiment que son décorateur, Jacques Gabel, et lui se sont creusé la cervelle pour trouver quelque chose qui ne ressemble pas à ce que leurs prédécesseurs avaient conçu en montant La Cerisaie. Ils y sont parvenus : cela ne ressemble à rien.
L’atmosphère tchekhovienne, faite de thé qui froidit dans une argenterie désuète, de fauteuils patinés par les générations, disparaît dans ce décor privé de charme. L’armoire par exemple, devant quoi le frère et la sœur, ruinés à force de légèreté et de bêtise, s’émeuvent au point de l’embrasser, n’est là qu’une manière de buffet de cuisine dont on se demande ce qu’il fait dans le salon de cette propriété de famille.
Voici peu, je vous ai parlé dans ces colonnes des pitoyables Fourberies de Scapin montées sur cette même scène. Molière pourtant est tellement coriace qu’il trouve moyen de passer quand même. Tchekhov, plus fragile, pareil à un jardin retournant à l’abandon, n’y résiste pas.
La fiche dit que le spectacle est enregistré et diffusé par France Culture. La vision du décor est alors au moins épargnée aux auditeurs, mais on se demande cependant de quelle culture il s’agit.