La chaleur, premier usage énergétique en France
Comprendre les usages des énergies que nous consommons est une étape clé pour conduire la transition écologique et s’ouvrir à de nouvelles options d’approvisionnement locales. En France, c’est la chaleur qui arrive en tête des usages avec près de 50 % des besoins, comme le précise Antoine Beauvois, délégué général adjoint des Nouveaux Systèmes Énergétiques, qui nous présente dans cet article les enjeux autour de la production de chaleur renouvelable et décarbonée.
Vous avez pour habitude d’aborder la question de l’énergie au regard des « usages énergétiques ». Pouvez-vous expliciter cette approche ?
Les énergies que nous achetons sont généralement de l’électricité, du gaz, du bois ou des produits pétroliers. L’énergie que nous utilisons se présente sous des formes moins bien identifiées comme la chaleur, le mouvement, le froid ou l’éclairage ; on parle alors « d’usages énergétiques ».
Dans l’industrie, 70 % de la consommation d’énergie sert à produire de la chaleur, principalement pour les fours de cuisson, les séchoirs, la production de vapeur, d’eau chaude ou d’air chaud. Dans le résidentiel-tertiaire, c’est près de 60 % et dans l’agriculture, environ 25 %. Au global, la chaleur représente donc près de 50 % des usages énergétiques en France, suivie par la force mécanique des véhicules ou des moteurs industriels (35 %) et l’électricité spécifique dans le bâtiment et l’industrie.
Cette représentation centrée sur les « usages » prend tout son sens dans une démarche de transition écologique où l’on cherche à interroger ses consommations pour consommer moins et mieux, décarboner et penser des systèmes s’intégrant dans des écosystèmes naturels. Elle est d’ailleurs la première étape pour l’analyse de cycle de vie et la conception de solutions rentrant dans une logique d’économie circulaire.
Quels sont les enjeux techniques principaux pour la chaleur renouvelable et décarbonée ?
La production de chaleur décarbonée n’est pas un défi technique en soi. En revanche, la produire au bon moment, en quantité suffisante, au bon coût, à la bonne puissance et à la bonne température l’est. Le sujet principal est donc celui de l’intégration des équipements thermiques décarbonés dans les systèmes énergétiques existants ou de la création de nouveaux systèmes énergétiques.
Les réseaux de chaleur permettent d’intégrer sur un territoire des sources renouvelables et de récupération : biomasse, géothermie, solaire thermique ou chaleur industrielle réutilisée. Les énergies thermiques forment une famille de solutions locales par excellence : là où l’électricité se stocke mal mais se transporte bien sur de longues distances, la chaleur se transporte moins bien sur de longues distances mais se stocke bien dans la durée.
Les sources thermiques renouvelables et de récupération peuvent d’autre part être intégrées directement au niveau du point de consommation. Dans un procédé industriel ou un grand bâtiment, cela implique souvent des briques de stockage et de régulation de température dont l’intégration dans le système global requiert des compétences poussées en ingénierie.
“70 % de la consommation d’énergie sert à produire de la chaleur dans l’industrie.”
Dans l’industrie, on distinguera par exemple la chaleur produite de manière centralisée (vapeur, air chaud, eau chaude) par des utilités et celle produite directement dans les fours, via des brûleurs ou des résistances électriques.
On a également l’habitude de dire que la chaleur est une forme d’énergie « dégradée » : dans un four industriel, l’énergie réellement « utile » peut ne représenter que 5 à 20 % de l’énergie totale consommée ; dans un logement, même bien isolé, une portion importante de la chaleur produite s’échappe par le toit, les murs et fenêtres ou finit évacuée par la ventilation. Dans les deux cas, on chauffe une enceinte complète alors que seule la chaleur au contact du « corps » à réchauffer sera valorisée.
De manière générale, les systèmes thermiques reposent sur l’abondance et le faible coût des énergies fossiles avec une production de chaleur en excès par rapport aux besoins. C’est vrai pour toutes formes d’énergie, mais particulièrement avec la chaleur. C’est en tout cas un vrai sujet pour la chaleur renouvelable, dont le coût complet est largement dominé par un investissement dimensionné par la puissance appelée, pour finalement un besoin moindre de chaleur réellement « utile ».
Quels travaux menez-vous au sein des Nouveaux Systèmes Énergétiques sur la chaleur ?
La vision de fond que nous portons chez les Nouveaux Systèmes Énergétiques est que nous devons intégrer la composante industrielle et de sécurisation des chaînes de valeur dans la transition énergétique. La transition énergétique nous fait passer, en France, d’une situation de dépendance aux ressources énergétiques importées (pétrole, gaz fossile…) et de relative maîtrise de la production d’équipements (véhicules thermiques, chaudières, etc.) à une situation de meilleure maîtrise des ressources (énergie solaire, géothermie, biomasse, chaleur fatale, etc.) avec un risque de dépendance sur les équipements (pompes à chaleur, panneaux photovoltaïques, batteries, etc.) si nous ne nous positionnons pas activement sur le sujet.
Le rôle des Nouveaux Systèmes Énergétiques est justement d’appuyer le développement de l’industrie de la transition énergétique et de la décarbonation en France. Par exemple, nous voyons un intérêt particulier à développer les compétences de conception et fabrication d’échangeurs thermiques. Bien qu’un échangeur soit en apparence très « simple », sa conception et sa fabrication pour des hautes performances représentent un réel savoir-faire qu’il convient de développer et d’entretenir. Dans de nombreuses applications, l’échangeur est typiquement un exemple de composant à valeur ajoutée limitée dans le coût complet du système – refroidissement des véhicules, l’électroménager domestique, l’aviation, les procédés industriels et même dans nos smartphones – mais qui reste un point névralgique du système.
Vous parliez également de l’imbrication entre les systèmes énergétiques et hydriques ?
Dans un bâtiment ou sur un site industriel, une chaufferie centralisée utilisera le vecteur eau pour transporter ses calories. Au-delà de la consommation pure, on remarque également que les performances hydriques et thermiques sont étroitement liées au sein des systèmes.
Nous avons donc décidé de soutenir les industriels dans leur projet de performance énergétique et hydrique en développant à leur intention une plateforme de mise en relation entre émetteurs de besoins ou offreurs de solutions. Ce programme d’accompagnement s’intitule Je-decarbone.fr et il se déploie prioritairement à travers une plateforme numérique qui répertorie à ce jour près de 1 000 solutions « made in Europe » et des rencontres régionales qui permettent aux industriels d’identifier, sur leur territoire, les acteurs de la transition énergétique et hydrique prêts à les épauler. Ceux qui connaissent Je-decarbone savent combien la chaleur occupe une place centrale dans ce programme, aux côtés de l’efficacité énergétique.