La chapelle de la Marne à Dormans.
Pour ce vitrail où figure la devise de notre École “ Pour la patrie, les sciences, la gloire ”, un grand merci pour leurs réponses aux quatre “ candidats ”. Malheureusement pour eux, ce vitrail n’est pas dans la chapelle de Passy en Haute- Savoie, François Martin (46), ni dans les anciens grands bureaux des mines de Lens, Jean Gunther (53), et pas plus dans l’ancienne école du Génie de Mézières, Pierre Naslin (39), peut-être inspiré par l’article de mars 2000, idem Anne Galix veuve (69). Mais une mention très honorable doit être décernée à Olivier Dupont de Dinechin, S. J., (56), qui a poussé fort loin l’analyse de la question et dont la contribution, avec sa permission, a été largement utilisée dans la présente réponse.
Aucun camarade n’a décrypté la dernière phrase, qui pouvait d’autant plus être considérée comme un véritable trousseau de clefs qu’elle était abracadabrante : “… que chacun cherche… en rêvant (mais sans caucheMAR NEbuleux) ou en DORMANT ! ” Mais oui, bien sûr, vous venez tous enfin de trouver ! Il s’agit effectivement de la chapelle de la MARNE à DORMANS !
Ce sanctuaire commémore les deux batailles de la Marne : la première, du 6 au 13 septembre 1914, sur une rocade Meaux – Sézanne – Bar-le-Duc (les taxis, les marais de Saint-Gond), gagnée par Joffre (1849), et la seconde, du 15 juillet au 7 août 1918, avec un front Villers-Cotterêts – Château-Thierry – Épernay, remportée par Foch (1851), victoires qui valurent aux deux généralissimes la dignité de Maréchal de France.
C’est Foch qui dès avril 1919 en choisit lui-même l’emplacement, central par rapport aux deux batailles, sur la rive gauche de cette calme rivière, dans l’immense parc d’un château du XVIe siècle, à Dormans, face aux coteaux vinicoles de Vincelles, Chassins et Tréloup où retentit le 10 octobre 1575 le furieux combat entre ligueurs et protestants lors duquel Henri de Lorraine, duc de Guise, devint “ le balafré ”. La première pierre en fut posée en juillet 1920, mais les travaux s’étirèrent jusqu’en 1931. La chapelle est d’inspiration néogothique (version “ arts déco ”) sur un plan en forme de croix. La structure en “ciment armé” est entièrement habillée de pierres de taille. Le clocher, à plan carré, trapu comme tout l’édifice, est recouvert d’ardoises et se termine par une fine flèche.
La verrière représente sainte Barbe, vierge et martyre dans la tradition chrétienne, dont la légende est populaire : son père l’aurait fait enfermer pour mettre sa beauté à l’abri ; ensuite, furieux qu’elle se soit convertie à la foi chrétienne dans sa prison, il la livra au gouverneur, puis de geôlier devint bourreau en l’exécutant lui-même, mais aussitôt il meurt foudroyé par le feu tombé du ciel. Toutefois, son existence historique étant mal attestée, l’Église catholique l’a retirée de son calendrier, ce qui n’empêche pas ses nombreux protégés des corporations énumérées ci-après de continuer à célébrer sa fête, autrement dit à faire la fête, le 4 décembre. De nos jours “ Barbe ” n’est plus guère donné comme prénom féminin, mais sa variante importée “ Barbara ” a un certain succès.
Le vitrail dont il s’agit a été offert par l’évêché de Strasbourg, avec probablement une forte contribution de cette Madame de Cabanes dont le nom figure en bas du cadre, sans doute fille, veuve, mère ou soeur d’un ou plusieurs combattants “ Morts pour la France ”.
Toutefois, s’il comporte soixante et un “Cabanes” le site “ www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr ”, qui recense tous les “M.p.F.” de 1914–1918, ne mentionne aucun “ de Cabanes ” ou “ Decabanes ”, et pas plus l’annuaire des deux cents promotions de 1794 à 1993 publié lors du Bicentenaire de l’École en 1994.
En raison de la légende qui l’accompagne, sainte Barbe est traditionnellement la patronne de ceux qui ont à affronter le feu et à manier l’explosif : artilleurs, sapeurs, sapeurs-pompiers, artificiers, mineurs, carriers… Artillerie et génie, les “ armes savantes ”, étaient alors les deux principales armes dans lesquelles les polytechniciens servaient comme officiers d’active ou de réserve, et “ l’École d’application de l’artillerie et du génie ” leur fut commune de 1802 à 1912, à Metz, puis à Fontainebleau après la défaite de 1870. D’ailleurs, comme par hasard, Joffre était sapeur et Foch artilleur.
Il n’est donc pas surprenant que le maître-verrier Lorin, de Chartres, ait associé notre devise à sainte Barbe. Sur le vitrail elle tient dans ses bras un canon de l’Ancien Régime (dont la fleur de lys correspond peutêtre à une inclination monarchiste de la donatrice) pour évoquer l’artillerie, et ses pieds reposent sur le “ pot en tête ” (casque) et la cuirasse symboles du génie.
En plus des attributs guerriers, la sainte tient dans la main droite la palme du martyre, sa tête est voilée de blanc signe de virginité et elle est vêtue d’une robe rouge ainsi que d’un manteau jaune… très probablement encore, par ces deux couleurs, une allusion à notre École. Par contraste avec ces austères allégories religieuses et militaires, les cheveux de l’héroïne sont court taillés “ à la garçonne ”, très “ années folles ”. Dans le cadre se discernent quatre croix de guerre (étoile à quatre branches), six légions d’honneur (cinq branches) et deux médailles militaires (rondes), mais les mêmes décorations figurent également dans les cadres, identiques, des vitraux dédiés aux sept autres “ saints militaires ” du sanctuaire, groupés en deux panneaux de quatre (saint Georges pour la cavalerie, saint Maurice pour l’infanterie, saint Victor pour l’état-major, saint Martin pour l’intendance, saint Sulpice pour l’aumônerie, saint Christophe pour l’aviation et saint Luc pour la Croix-Rouge).
Pour aller plus loin dans l’analyse et l’histoire de ce vitrail, il faudrait maintenant pouvoir se reporter aux archives de la construction et de la consécration de la chapelle… alors, peut-être à suivre !