La circularité, une force du modèle nucléaire français
Réussir la transition écologique passera par une utilisation raisonnée et optimisée de nos ressources, ce qui ne pourra se faire sans compétences industrielles fortes. Orano, qui a placé au cœur de sa raison d’être les savoir-faire de transformation des matières pour un monde économe en ressources, est déjà la cheville ouvrière du modèle français de recyclage des combustibles nucléaires usés. Le « projet industriel du siècle » permettra de poursuivre et d’optimiser ce modèle dans les décennies à venir. Le groupe apporte par ailleurs ses compétences dans le recyclage des batteries de véhicules électriques, au service de la souveraineté européenne.
De nombreuses technologies nécessaires pour décarboner nos économies font appel à des métaux dits critiques. Ils sont nécessaires pour produire de l’électricité décarbonée, comme le cuivre pour les réseaux électriques ou les terres rares dans les aimants des rotors d’éolienne. Les besoins sont également significatifs pour électrifier les mobilités et fabriquer les batteries dont les chimies les plus performantes sont très consommatrices en lithium, nickel et cobalt. La transition vers une économie bas carbone sera donc fortement consommatrice en métaux.
Selon le rapport Metals for Clean Energy publié par l’université belge KU Leuven en 2022, l’Europe aura en particulier besoin, pour atteindre la neutralité carbone en 2050, de 35 fois plus de lithium à l’horizon 2050 (près de 800 000 tonnes par an) qu’à l’heure actuelle, mais aussi de deux fois plus de nickel (400 000 tonnes en 2050) et entre trois et cinq fois plus de cobalt (60 000 tonnes en 2050).
Une double vulnérabilité pour l’Europe
Dans ce contexte, le marché européen doit faire face à plusieurs défis. D’une part, la production de ces métaux critiques sur le continent est loin de couvrir les besoins. À titre d’exemple, l’Europe produit actuellement environ 20 % de sa demande domestique en nickel, 10 % de sa demande en cobalt et seulement une quantité réduite de sa demande en lithium. C’est en particulier le cas en France où l’activité minière a quasi disparu du paysage industriel, en dépit de rares projets comme celui d’Imerys dans l’Allier pour extraire du lithium, ou bien sûr le nickel de Nouvelle-Calédonie, dont le coût de production est néanmoins plus élevé que ses concurrents indonésiens.
D’autre part, l’Europe ne dispose que de peu d’installations industrielles de raffinage ou de transformation des métaux critiques, l’Asie et en particulier la Chine ayant construit une stratégie de domination sur toutes les étapes de transformation en aval (plus de 85 % des parts de marché sur le raffinage des terres rares, près de deux tiers pour le raffinage de cobalt ou 60 % pour le raffinage du lithium).
L’exploitation de la « mine urbaine »
Avec le fort développement de la mobilité électrique (1,5 million de véhicules électriques ou hybrides rechargeables vendus en 2019 en Europe, 5,05 millions en 2023 et de l’ordre de 10 millions en 2030, en anticipation de l’interdiction de vente des véhicules thermiques à partir de 2035), le marché de la gestion des batteries usagées fait progressivement son apparition. Des volumes significatifs émergeront dès 2026 avec la production des gigafactories européennes, dont le process génère de 5 à 10 % de rebuts (voire beaucoup plus pour certaines, les premiers mois de production) ; vers la fin de la décennie, les batteries des véhicules hors d’usage prendront le relai. D’ici 2030, les projections estiment que ces deux flux pourraient représenter de l’ordre de 10 à 20 % des besoins en métaux pour les batteries.
“D’ici 2030, les projections estiment que les batteries usagées pourraient représenter de l’ordre de 10 à 20 % des besoins en métaux pour les batteries.”
Cette dynamique de marché reste vraie sur le long terme en dépit d’un démarrage moins fluide que prévu pour cette nouvelle filière industrielle européenne (décalage des gigafactories d’ACC en Allemagne et en Italie pour cause de prévisions de ventes à court terme moins fortes qu’anticipé, retards de production et problèmes de qualité pour NorthVolt, évolution des choix des constructeurs, de presque 100 % NMC, concernant les chimies de batteries NMC, nickel manganèse cobalt, plus chères mais avec plus d’autonomie à un portefeuille plus équilibré avec des batteries LFP, lithium fer phosphate, moins chères et avec moins d’autonomie, etc.).
Pour répondre aux enjeux de gestion des matières de la filière, Orano développe depuis plusieurs années un projet de recyclage des batteries électriques. En effet, les compétences en hydrométallurgie nécessaires pour exploiter cette « mine urbaine » sont proches de l’expertise développée par le Groupe dans l’exploitation des mines d’uranium. Orano s’appuie également sur son ADN d’industriel pour concevoir et opérer des installations complexes et très réglementées. Le projet se compose de deux types d’unités industrielles : d’une part d’usines de prétraitement, localisées dans les zones de collecte des batteries usagées pour en extraire la black mass, un mélange d’oxydes de métaux contenus dans les batteries, et d’autre part un centre d’hydrométallurgie, prévu à Dunkerque, pour séparer et purifier ces métaux.
Les facteurs de succès
Différents facteurs clés de succès peuvent être identifiés pour permettre au modèle d’affaires du recyclage de voir le jour.
D’abord la constitution d’un corpus réglementaire incitatif : le règlement européen de juillet 2023 introduit ainsi des objectifs de collecte des batteries usagées et fixe des proportions minimales de contenu recyclé.
Ensuite l’accès à la matière à recycler : la mise en place de réseaux de collecte pour valoriser les batteries des véhicules hors d’usage sera également déterminante pour maximiser les taux de récupération.
Aussi la présence d’une chaîne de valeur industrielle complète pour valoriser les métaux : c’est pourquoi Orano s’est associé avec le chinois XTC pour construire à Dunkerque un complexe industriel visant à fabriquer des matériaux actifs de cathode et leurs précurseurs ; il s’agit du maillon entre le recyclage (ou le raffinage des produits miniers) et les gigafactories, pour lequel l’Europe est encore largement sous-capacitaire.
Et encore la mise en place de soutiens publics dédiés (subventions, définition d’un référent unique pour les démarches réglementaires, soutien à la formation et au recrutement, etc.), qui sont indispensables pour dérisquer et accélérer la mise en œuvre de ces projets en Europe.
Enfin l’accès à une électricité décarbonée, fiable et compétitive, paramètre essentiel dans le succès opérationnel de ces usines.
L’économie circulaire est déjà au cœur de la stratégie nucléaire française
Ce modèle d’économie circulaire est d’ores et déjà à l’œuvre dans la filière nucléaire depuis plus de cinquante ans et permet de limiter l’utilisation d’uranium extrait du sous-sol. En effet, les combustibles usés possèdent encore un potentiel énergétique important après leur séjour en réacteur. Leur traitement-recyclage au sein des usines d’Orano à la Hague puis Melox permet une économie d’uranium naturel d’environ 10 % grâce à l’utilisation du plutonium dans les combustibles MOX (mélange d’oxydes). Cette économie sera portée jusqu’à 25 % en recyclant l’uranium de retraitement contenu dans le combustible usé, en plus du plutonium, ce qu’EDF a recommencé à faire en 2024 dans les réacteurs de Cruas. En l’absence de mines d’uranium sur le territoire national, ce recyclage participe au renforcement de la souveraineté énergétique française, diminue l’empreinte carbone de l’extraction minière et préserve l’environnement.
“Le recyclage participe au renforcement de la souveraineté énergétique française.”
Ce modèle présente d’autres avantages qui en font un pilier de l’acceptabilité de l’énergie nucléaire en France, comme la réduction de la radiotoxicité des déchets de haute activité par un facteur 10 ou la réduction du volume de déchets les plus actifs d’un facteur 5. Par ailleurs le procédé de vitrification permet de confiner les résidus ultimes dans une matrice sûre et stable, optimisée pour l’entreposage et le stockage géologique.
Une maîtrise industrielle exceptionnelle
La France est l’une des rares nations à disposer d’une maîtrise industrielle de l’intégralité de la chaîne de valeur du nucléaire. Hormis les États-Unis, toutes les grandes puissances nucléaires civiles, dont le Japon, le Royaume-Uni, la Chine et la Russie, ont envisagé et mis en œuvre le traitement-recyclage, mais aucun autre pays n’a cependant maîtrisé son déploiement industriel complet comme la France. Cette maîtrise industrielle a nécessité de développer et de maîtriser une excellence technologique qui peut trouver des applications dans d’autres secteurs : dans le spatial, avec la production d’isotopes pour la propulsion de satellites, ou dans le médical, avec le développement de thérapies ciblées à radioligands pour lutter contre le cancer. Le coût annuel de la gestion des combustibles usés en France est d’environ 6 €/MWh, correspondant en moyenne à environ 2,50 €/mois pour un foyer français consommant mensuellement 400 kWh.
La relance du nucléaire
Ce modèle est le fruit d’une vision politique transpartisane stable dans la durée, depuis les années 1950, avec la construction de l’usine UP1 à Marcoule par le CEA, jusqu’à la mise en fonctionnement des usines actuelles à la Hague et Melox dans les années 1990. Sa mise en place a également été rendue possible grâce à un alignement fort avec les autres acteurs de la filière nucléaire française, aux premiers rangs desquels EDF et le CEA. La relance du programme nucléaire français, avec la construction de nouveaux réacteurs qui produiront de l’électricité décarbonée jusqu’à la fin du siècle, invite à penser la suite de ce modèle.
Le 26 février 2024, lors du Conseil de politique nucléaire (CPN), le Président de la République a ainsi confirmé les grandes orientations de la politique française sur l’aval du cycle. Divers travaux vont ainsi être lancés : un programme visant à prolonger le fonctionnement des usines actuelles au-delà de 2040 ; le lancement des études pour la réalisation d’une nouvelle usine de fabrication de combustibles MOX sur le site de la Hague ; le lancement des études pour la réalisation d’une nouvelle usine de traitement des combustibles usés, également sur le site de la Hague, avec une mise en service ciblée d’ici 2045–2050.
Fermer le cycle !
Réussir ce « projet industriel du siècle » nécessitera à nouveau de faire œuvre commune au sein de la filière et des différentes parties prenantes. Bien plus que de consolider le leadership technologique mondial de la France dans le cycle du combustible, il s’agit aussi de développer de nouvelles solutions pour progresser vers la fermeture du cycle, définie comme le recyclage des combustibles permettant la complète valorisation des matières nucléaires et ne nécessitant aucun nouvel apport en uranium naturel pour produire de l’énergie nucléaire.
Une première étape consisterait en la mise en œuvre du multirecyclage dans les réacteurs de technologie actuelle, pour valoriser tous les types de combustible usé et accroître encore l’économie de ressource naturelle. En lien avec les technologies des start-up soutenues par le programme France 2030, deux axes doivent également être explorés : le développement des réacteurs à neutrons rapides (RNR) et du cycle du combustible associé, qui permet d’atteindre la fermeture du cycle en utilisant l’uranium 238 (plusieurs milliers d’années de visibilité dans les stocks stratégiques d’uranium appauvri) et la transmutation en réacteurs rapides à sels fondus des actinides mineurs (matières aujourd’hui contenues dans les résidus ultimes vitrifiés), réduisant significativement la radiotoxicité à long terme des déchets de haute activité.
Les ordres de grandeur du traitement recyclage nucléaire en France
- ~ 1 100 tonnes de combustibles usés sont déchargées annuellement du parc nucléaire français, 1 000 tonnes sont traitées tous les ans
à la Hague et 100 tonnes de combustibles MOX sont fabriquées tous les ans à Melox. - 96 % de la matière peut être réutilisée pour fabriquer de nouveaux combustibles qui fourniront à leur tour de l’électricité. Le plutonium
(1 % de la matière) est utilisé dans des combustibles MOX. L’uranium récupéré (95 % de la matière, avec une teneur en uranium 235 proche de l’uranium naturel), appelé uranium de retraitement (URT), peut être réenrichi pour fabriquer du combustible URE. - Les 4 % restants sont conditionnés dans des matrices en verre, elles-mêmes contenues dans un colis en acier, en vue de leur stockage définitif
au centre industriel de stockage géologique profond de Cigéo. Ces déchets ultimes représentent 5 grammes/an.habitant en France, soit l’équivalent du poids d’une pièce de 20 centimes d’euro.