La Comédie des erreurs
La jeune troupe du minuscule théâtre André Bourvil – j’ai compté vingt-huit places – a monté ce printemps La Comédie des erreurs, de Shakespeare.
J’aime bien les petits théâtres, surtout lorsqu’ils sont hantés par de jeunes comédiens, et que ces derniers demeurent respectueux des textes. Ceux du Bourvil, sous la direction scénique de Claude Cortesi, l’étaient. Vieillissant, on aime à retrouver chez de jeunes professionnels la même vénération que l’on éprouve soi-même à l’égard du répertoire de toujours. Il n’est pas si fréquent que jeunes et vieux s’accordent sur quelque chose. De tels moments de communion entre générations doivent donc être accueillis avec ferveur, et reconnaissance pour ceux qui ont contribué à les faire naître.
Je ne ferai pas le savant en dissertant sur les sources de Shakespeare, à savoir Les Ménechmes, de Plaute, lui-même adaptateur d’une comédie grecque de Ménandre. Cela n’apporterait rien. Sachez seulement que la comédie naît d’une haute densité de quiproquos provoqués par la présence, dans une même ville de l’Antiquité, de deux paires de jumeaux, dont chacun croit son double disparu jadis en mer : deux frères de bonne bourgeoisie marchande et leurs deux esclaves.
Le thème des ressemblances se retrouve souvent au théâtre. Sans parler des multiples Amphitryons, où il ne s’agit cependant pas de gémellité mais de duplication de personnes, ce qui revient au même, scéniquement parlant, on le rencontre, entre autres, dans Les deux jumeaux vénitiens, de Goldoni et, plus récemment, dans L’Invitation au château, d’Anouilh. Dans ces pièces pourtant, la construction dramatique repose sur le fait que les jumeaux sont de tempéraments tout à fait opposés. Ce qui me paraît assez invraisemblable, génétiquement parlant. Fort heureusement, tant la cocasserie des situations, dans le premier cas, que le brio du dialogue, dans le second, balayent toute réticence.
En écrivant sa Comédie des erreurs, Shakespeare ne s’est pas même embarrassé de telles considérations. Ses personnages manquent totalement de consistance psychologique et ne sont que de pures marionnettes, hébétées par les confusions répétées s’abattant sur elles. Confusions qui ne vont pas sans contusions par coups de bâton, mais poussées à un si haut degré d’invraisemblance qu’elles en explosent de poésie comique, en pleine féerie et irréalité.
Et si Shakespeare, avec ses incessants jeux de mots, cocasses et même volontiers salaces – à quoi la langue anglaise, par ses mots très courts, aux consonances presque identiques, se prête admirablement – est fort malaisé à traduire, Claude Cortesi s’en tire bien dans son adaptation. Il parsème son texte de cent menues astuces propres à faire rire. Certes, il leur arrive d’être un tantinet vaseuses, mais après tout le public élisabéthain n’était pas fort regardant, ni très cultivé. Et les personnes de finesse, car il en comptait aussi, ne détestent pas de s’encanailler un brin, à l’occasion. De sorte que l’on peut à bon escient parler de fidélité, sinon au mot à mot du texte, du moins à son esprit.
Je serais pourtant tenté d’apporter un léger bémol au plaisir que j’ai pris. Les scènes étaient entrecoupées d’intermèdes dansants, du genre rap. Cela n’apportait rien d’autre, à mon sens, qu’une démonstration de l’étendue du métier possédé par ces comédiens, car ils dansaient fort bien.
En ce moment, les metteurs en scène se plaisent à entrelarder leurs scènes de tels intermèdes. Vous me direz que cela ne date pas d’hier, et me rétorquerez les comédies- ballet de Molière, entre autres. Certes, mais ces ballets constituaient, en quelque manière, un prolongement de l’action : il faut bien, par exemple, que les tailleurs de M. Jourdain lui enfilent son habit. Pourquoi alors ne pas le faire en musique ?
Dans le cas de La Comédie des erreurs du Bourvil, comme dans d’autres spectacles récents, ces intermèdes n’ont rien à voir avec le sujet.
De sorte qu’on peut se demander si cette mode ne serait pas une façon de contagion des pratiques propres aux usagers des petites lucarnes. Au théâtre, le spectateur ne peut pas zapper. Pour le dédommager de cette contrainte, on le fait passer d’une vision scénique à une autre, ne présentant entre elles aucun lien, ni dans l’ordre de la logique dramatique, ni dans celui du style.