La compliance des partenaires industriels et commerciaux sur les marchés internationaux
La compliance des partenaires industriels et commerciaux sur les marchés internationaux est aujourd’hui devenue un enjeu géopolitique, concurrentiel, managérial et stratégique. L’Adit s’est saisie de cet enjeu.
L’ambition de l’Adit est de contribuer à la compliance et à la transparence dans le recours aux partenaires commerciaux. C’est désormais une exigence incontournable du commerce mondial, sans être naïf ni sur les enjeux croissants de souveraineté et de guerre économique, ni sur les moyens de réinventer les façons de faire du commerce dans le monde.
REPÈRES
L’Adit (Agence pour la diffusion de l’information technologique) est aujourd’hui le leader français du secteur de l’intelligence économique et l’une des grandes sociétés du secteur au niveau européen. Le chiffre d’affaires de l’Adit a atteint 75 millions d’euros en 2018. Créée en 1992 sous la forme d’un établissement public à caractère industriel et commercial, elle est devenue une société anonyme en 2003.
D’abord un enjeu géopolitique, avec les règles d’extraterritorialité et la guerre commerciale
Comme l’a bien documenté le rapport parlementaire du député Gauvain en 2019, ce n’est pas l’administration Trump qui a décrété le principe de l’extraterritorialité. Ce principe juridique est ancien aux USA : le FCPA date de 1977 et cette loi n’est pas le seul symbole de l’hyperpuissance américaine ; les règles extraterritoriales sont nombreuses : elles concernent aussi bien l’anticorruption que les sanctions de l’OFAC (Office of Foreign Assets Control), les règles ITAR de contrôle des exportations pour les biens à double usage (International Traffic in Arms Regulations) que la procédure d’investissement aux USA dite CFIUS. Sans oublier une des dernières déclinaisons avec le Cloud Act.
Il convient de rappeler que les mesures extraterritoriales américaines ont trois fondements principaux : la lutte contre la corruption, à la fois par moralité et pour placer les entreprises sur un pied d’égalité ; le respect des différentes réglementations américaines en matière de fraude fiscale, de concurrence, de blanchiment ou de règles comptables, etc. ; enfin la sécurité nationale.
Ce qui est nouveau, c’est que l’administration Trump se sert massivement de ce levier d’action pour amplifier sa puissance internationale. En ce sens, l’extraterritorialité, c’est la poursuite de la guerre commerciale par d’autres moyens : ces réglementations s’ajoutent aux armes habituelles du protectionnisme telles que les barrières tarifaires et techniques. Les relations entre les États-Unis et la Chine sont emblématiques du rôle attribué aux sanctions extraterritoriales : la conformité accompagne la politique de taxation commerciale pour rétablir un rapport de force. Qu’il s’agisse de ZTE, il y a un an, ou de Huawei aujourd’hui, c’est bien l’extraterritorialité américaine qui permet de s’opposer aux entreprises chinoises. Cet interventionnisme juridique est utilisé à des fins géopolitiques, concurrentielles et techniques : il sanctionne le business avec l’Iran, permet de s’immiscer officiellement dans de grandes sociétés chinoises et permet sans doute aussi de combler un éventuel retard technologique.
La victime européenne
Les entreprises européennes peuvent donc être les victimes collatérales de ces tensions sino-américaines. Elles peuvent en être victimes directement si elles commercent avec la Chine et indirectement dans le reste du monde. Sur ces sujets, elles font l’objet d’une attention particulière de l’administration américaine qui est bien organisée, donc efficace. À cause du régime renforcé de sanctions, beaucoup d’entreprises européennes regardent de très près certains dossiers à l’export. La principale conséquence pour elles a été de devoir se retirer d’Iran fin 2018 alors que ce marché a été considéré pendant deux ans comme une nouvelle frontière commerciale : la quasi-intégralité des groupes du CAC 40 et du SBF 120 ont renoncé à ce marché car leurs intérêts américains étaient bien supérieurs.
Dans ce contexte, le choix d’un partenaire doit être systématiquement analysé à l’aune des intérêts de puissance et des rapports de force géopolitiques. Choisir un partenaire de joint venture, cela suppose non seulement de trouver celui qui permettra au business de prospérer sur un nouveau marché, mais aussi désormais de se poser des questions sur la compatibilité juridique et géopolitique de ce partenaire par rapport aux grandes réglementations internationales.
“Le choix d’un partenaire
doit être systématiquement analysé
à l’aune des intérêts de puissance.”
C’est aussi une arme concurrentielle
Incontestablement, la conformité est devenue une arme concurrentielle et de guerre économique, il n’y a aucun doute sur ce sujet. La conformité est un moyen de différenciation positive pour les entreprises, qui veulent démontrer qu’elles sont plus respectueuses des réglementations que leurs concurrentes. Cela, c’est la version positive. La version plus agressive, c’est que d’éventuelles faiblesses, voire des dérives de non-conformité, notamment dans l’utilisation des intermédiaires, peuvent être instrumentalisées par des concurrents et déboucher sur un affaiblissement stratégique et d’éventuels contentieux très longs et très coûteux.
Aujourd’hui, les standards anglo-saxons qui ont été pensés, conçus et déployés il y a de nombreuses années sont pleinement à l’œuvre dans de nombreuses parties du monde. Chaque pays essaye plus ou moins de réaffirmer sa souveraineté en adoptant son propre système de conformité, avec sa propre législation, voire son propre régime de sanctions. La Chine vient par exemple de définir ce que signifie pour elle une entreprise fiable ou non fiable. Cela s’adresse aux entreprises étrangères et notamment américaines qui appliquent avec zèle les décisions des États-Unis : elles sont alors considérées comme non fiables par les autorités chinoises. En Europe, certains plaident avec force et légitimité pour adopter une approche communautaire du sujet, mais à ce stade il n’y a que des réponses nationales sans réelle coordination. C’est vrai pour l’anticorruption, mais aussi pour les régimes de sanctions qui n’ont pas exactement la même portée que les sanctions américaines.
Comment se protéger ?
Il y a à notre sens plusieurs réflexes utiles. Le premier, c’est de ne jamais oublier où se trouve le siège de sa société : même dans une entreprise très mondialisée, l’ancrage géographique est la matrice de compréhension des règles juridiques qui s’appliquent. En France, c’est aussi la garantie de pouvoir s’appuyer sur l’aide d’un État souverain si le groupe partage les mêmes règles. Ensuite, il y a une règle de bon sens : « Qui peut le plus, peut le moins ! » Si l’on sait se conformer parfaitement aux demandes des autorités extraterritoriales les plus exigeantes, par exemple le DoJ ou le SFO (Serious Fraud Office au Royaume-Uni), on se met à l’abri partout dans le monde.
C’est la raison pour laquelle, à l’Adit, nos dues diligences sur les partenaires commerciaux ou notre référentiel d’audit anticorruption intègrent non seulement le standard international ISO 37001, mais surtout les lignes directrices américaines et britanniques afin de répondre aux exigences maximales. Enfin, il ne faut pas s’interdire d’aller dans un pays même s’il est mal classé dans l’indice de Transparency International. On peut exporter partout ou presque, mais cela se prépare : est-ce possible dans mon secteur ? Quelles sont les forces concurrentielles en présence ? Quelles sont les lois et les règles locales ? Bref, il faut comprendre l’environnement de conformité au même titre que l’environnement commercial dans lequel on souhaite investir. C’est désormais une donnée d’entrée incontournable pour choisir les bons partenaires commerciaux et s’assurer que son montage contractuel ne soit pas remis en cause.
La question des tierces parties
À partir d’un cas particulier, il n’y a pas de réponse générale, mais il y a une tendance de fond. La question des tierces parties est sensible car elle est regardée de plus en plus près par les autorités judiciaires ou anticorruption, et ce partout dans le monde. Sauf secteur spécifique ou cas particulier, il n’y a pas d’interdiction absolue de recourir à des intermédiaires, mais la manière dont ils sont utilisés est de plus en plus encadrée : sélection, contractualisation, reporting, formalisation des prestations, interaction avec les personnes politiquement exposées, etc. Il faut toujours être en veille sur son environnement concurrentiel car, plus une entreprise est présente depuis longtemps sur un marché export, plus ses pratiques sont sophistiquées.
En France, la loi Sapin 2, comme les autres lois anti-corruption dans le monde, a fait de la question de la sélection des tierces parties un des huit piliers à respecter impérativement. Ce qui est frappant, en France comme ailleurs, c’est que, quelle que soit la taille de l’entreprise, il s’agit d’abord d’une question de culture, de valeurs et d’incarnation au plus haut niveau. Lorsque la conformité des partenaires commerciaux est considérée comme un élément de la stratégie, l’effectivité du programme est bien plus forte, dans un grand groupe ou dans une PME.
La compliance comme critère d’investissement
À l’Adit, nous suivons des ETI qui réalisent quelques centaines de millions d’euros de chiffre d’affaires et qui sont très sérieuses dans la mise en œuvre d’un programme de due diligence de leurs partenaires, parfois plus que certaines grandes entreprises. Pour être franc, c’est aussi une question de secteur : les entreprises des secteurs exposés à la corruption depuis longtemps, quelle que soit leur place dans la chaîne de valeur, savent qu’elles ne peuvent plus se permettre le moindre écart en matière d’intermédiaire, car leur concurrent va s’emparer du sujet.
En parallèle, on constate que tous les grands fonds internationaux ont renforcé leurs discours sur la nécessité de prendre en compte la compliance des tierces parties comme un critère d’investissement. Mais cela va au-delà : c’est maintenant une réalité. Quand un fonds annonce qu’il ne va plus investir dans des sociétés parce qu’il y a un problème de partenaire douteux, c’est une lame de fond qui conforte les évolutions pour toutes les entreprises. Aujourd’hui, il n’y a presque plus une seule opération de private equity sans revue préalable de conformité et de vigilance de tous les partenaires commerciaux.
“La culture de conformité
sera encore plus digitale, partenariale et managériale.”
Le cas Airbus
Le cas récent d’Airbus, qui a été lourdement sanctionné par plusieurs autorités judiciaires, pose la question de la fin des « tiers intermédiaires » pour les affaires commerciales, puisque cette entreprise a annoncé vouloir mettre un terme à l’utilisation de ce qui faisait historiquement la force de son réseau commercial international.
C’est enfin un enjeu managérial et stratégique
Dans notre domaine de prédilection, nous avons l’habitude de définir la conformité comme la démarche des entreprises consistant à s’assurer que l’ensemble des salariés et des dirigeants respectent les normes applicables à leur société, ainsi que les valeurs et l’éthique promues par celle-ci. C’est donc un enjeu managérial clef pour les entreprises et leurs patrons. C’est aussi un enjeu de responsabilité pénale et personnelle pour les dirigeants.
Depuis maintenant trente ans, depuis la fin de la guerre froide et l’affirmation d’une mondialisation fondée sur le modèle libéral, nous pouvons constater toujours plus de compliance, toujours plus de transparence. Presque toutes les crises qui sont survenues depuis lors ont correspondu à des prises de conscience de lacunes et au besoin d’adopter de nouvelles réglementations pour les corriger.
Instaurer une culture de la conformité
Ces lois applicables aux entreprises ont fait de ces dernières des acteurs éthiques, porteurs de valeurs d’intérêt général, bien au-delà de leur objet social. Notre conviction est que la culture de conformité sera encore plus digitale, partenariale et managériale dans les mois et années à venir. Cette culture de transparence et de conformité va être également renforcée sous l’effet conjugué d’une part des opinions publiques, toujours plus désireuses de savoir et de comprendre, et d’autre part des renforcements de souveraineté qui vont multiplier les interfaces public-privé.
Cet environnement, marqué par une complexité, une incertitude, une volatilité et une ambiguïté accrues, crée aujourd’hui un besoin encore renforcé, pour les entreprises françaises (et européennes), d’une offre de services permettant de « dérisquer » leur approche des marchés internationaux.
C’est le sens de notre projet d’Advocacy Center qui verra le jour en 2020 : il vise justement à repenser le concept de l’accompagnement des entreprises (françaises puis européennes) à l’international en structurant une offre d’influence et d’aide à l’export (en d’autres termes, de diplomatie d’affaires) qui soit compatible avec les plus hauts standards de lutte contre la corruption.