La compression, le maillon incontournable pour le développement de l’hydrogène
Face aux enjeux climatiques, de neutralité carbone et la nécessité de développer les nouvelles alternatives énergétiques pour la mobilité et l’industrie, l’hydrogène connaît un fort développement depuis quelques années. Dans ce cadre, la compression joue un rôle stratégique notamment au niveau du transport et du stockage de l’hydrogène. Explications de Fabrice Billard, Président de la Division Systems de Burckhardt Compression.
Aujourd’hui, l’hydrogène offre des perspectives très intéressantes pour la mobilité des voitures et des camions. Qu’en est-il concrètement et quels sont les principaux challenges et freins technologiques qui persistent ?
Si l’hydrogène est utilisé dans les secteurs de l’industrie, de l’énergie et du transport, la mobilité en est l’application principale aujourd’hui. Des voitures à hydrogène ainsi que des stations-services dédiées existent depuis déjà plusieurs années. Si la faisabilité technique des véhicules et des stations n’est plus à démontrer, nous sommes aujourd’hui confrontés à de nouveaux enjeux :
la réduction des coûts par kg d’hydrogène à la pompe par un facteur d’environ 3, pour avoir un produit aussi compétitif que le diesel ou l’essence ;
l’augmentation de la fiabilité et de la durabilité de tous les composants d’une station-service, notamment le distributeur et le compresseur ;
le changement d’échelle pour avoir des stations-services capables de délivrer plusieurs tonnes d’hydrogène par jour afin notamment d’alimenter un nombre croissant de voitures, ainsi que des camions disponibles depuis plus récemment sur le marché et qui offrent une alternative prometteuse aux camions à batterie électrique.
Plus particulièrement, le changement d’échelle nécessite des évolutions technologiques dans le domaine des compresseurs : l’enjeu est de développer des compresseurs avec des débits 10 fois plus élevés que les solutions actuelles, pour des pressions allant de 500 à 900 bars. Il s’agit d’un véritable défi, car en raison de la sensibilité des piles à combustible des véhicules, il ne faut pas polluer l’hydrogène avec les lubrifiants du compresseur. Pour lever ce frein, deux pistes technologiques se démarquent et se combinent à l’heure actuelle :
Utiliser des compresseurs à pistons de type industriel pour permettre ce changement d’échelle à un coût compétitif et avec plus de fiabilité ;
développer des systèmes d’étanchéité haute pression et sans lubrifiant en combinant technologies existantes et nouveaux matériaux.
Dans ce cadre, comment se positionne Burckhardt Compression ? Quelles solutions mettez-vous à la disposition des différentes parties prenantes pour relever ces défis ?
Nous comprimons l’hydrogène à plusieurs centaines de bars dans des applications industrielles depuis 50 ans et dans des applications de mobilité (sans lubrifiants) depuis plus de 20 ans. Nous disposons de toutes les briques technologiques et d’une gamme de produits pour accompagner le développement de l’hydrogène au service de la mobilité, mais aussi de l’industrie, de la production d’ammoniac « vert » ou de l’énergie. Nous produisons, assemblons et testons nos compresseurs dans tous les grands marchés de l’hydrogène : en Europe, en Chine, aux USA et en Corée du Sud.
Au-delà du domaine des compresseurs, nous capitalisons sur nos compétences pour concevoir des systèmes complets qui prennent en compte les contraintes et les paramètres de nos clients, ce qui permet d’optimiser les coûts d’ensemble d’un projet.
La compression est un maillon important dans la chaîne de production de l’hydrogène. À quel niveau pouvez-vous intervenir dans ce cadre ?
En amont des stations-services, on retrouve de nombreuses applications qui demandent des solutions de compression. L’hydrogène peut venir d’une usine de production et de liquéfaction d’hydrogène. Pour liquéfier cet hydrogène, il faut des compresseurs à haut débit. L’hydrogène stocké sous forme liquide génère un gaz d’évaporation, qui doit être recomprimé constamment. Si l’hydrogène est produit par des énergies renouvelables et des électrolyseurs, il faut également le comprimer pour le transporter dans des pipelines ou dans des camions. Pour le transport de l’hydrogène sur de grandes distances, celui-ci peut aussi être comprimé pour le combiner avec de l’azote pour en faire de l’ammoniac et le transporter par bateau. C’est une opération qui demande également la compression de l’hydrogène à un niveau industriel.
En résumé, l’hydrogène est très polyvalent, et nécessite une compression dans la majorité des applications. Et à notre niveau, nous intervenons sur l’ensemble de ces applications en capitalisant sur nos savoir-faire et nos produits spécifiques.
Vous vous intéressez également à la production d’ammoniac « vert » qui peut notamment être utilisé comme carburant pour les bateaux. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette dimension ?
C’est une application encore émergente, mais qui a un fort potentiel de développement. L’ammoniac est une alternative à l’hydrogène liquide pour le transport sur de longues distances. Il a l’avantage d’avoir une densité énergétique beaucoup plus élevée que l’hydrogène liquide, et de se transporter sous forme liquide à des températures beaucoup moins basses. Néanmoins, c’est un produit toxique et il nécessite donc des procédés matures et maîtrisés, comme cela est le cas pour le transport de gaz naturel liquéfié.
Dans sa chaîne de production et d’utilisation, l’ammoniac vert est produit à partir d’hydrogène issu d’énergies renouvelables, qui est comprimé pour le combiner à l’azote et former ainsi de l’ammoniac. Une fois liquide, l’ammoniac génère des gaz d’évaporation qui doivent en général être recomprimés. Cet ammoniac peut ensuite être utilisé comme tel dans des moteurs de bateaux en cours de développement, ou il peut être à nouveau séparé en hydrogène et en azote après le transport.
Cela permet notamment d’envisager de produire de l’hydrogène vert dans des pays qui ont une forte production en énergies renouvelables, comme l’Australie, le Moyen-Orient ou l’Amérique du Sud, puis de le transporter dans les centres de consommation en Europe, aux États-Unis, en Chine, en Corée du Sud ou au Japon. Plusieurs pistes sont actuellement à l’étude. Néanmoins, il est certain qu’il y aura un fort besoin en compresseurs industriels.
Quelles sont vos ambitions relatives à l’hydrogène ? Quels sont les principaux projets qui vous mobilisent actuellement ?
Depuis 18 mois, le marché s’accélère sous l’impulsion de l’enjeu climatique. Toutefois, aujourd’hui, de nombreuses questions persistent : sous quelle forme sera transporté l’hydrogène (gaz, liquide, ammoniac) ?…
En parallèle, plusieurs paramètres doivent être pris en compte : le coût, la disponibilité d’énergies renouvelables, l’existence d’infrastructures de transport, la vitesse de réduction des coûts de chaque technologie… Dans ce contexte, certains scénarios sont plus favorables que d’autres pour les fabricants de compresseurs. Nous envisageons tous les cas de figure et souhaitons apporter à nos clients toute la palette de solutions de compression requises pour le développement de la filière hydrogène.
Dans cette logique, nous travaillons sur trois projets principaux. Dans le domaine de la technologie « sans lubrifiant » pour des pressions et des volumes de plus en plus élevés, nous développons un compresseur à piston pouvant alimenter une station hydrogène « heavy duty » (pour camions). Le premier modèle a été lancé en Septembre 2021, avec 550 bars de pression. Suivra ensuite un modèle pour 900 bars.
Nous travaillons également à l’augmentation des capacités de nos compresseurs sans lubrifiants pour les usines de production-liquéfaction d’hydrogène, un segment où nous sommes leader.
Enfin, fort d’une expérience de plusieurs dizaines d’années pour le traitement des gaz d’évaporation sur les bateaux de transport de gaz de pétrole liquéfié et de gaz naturel liquide, nous évaluons des technologies et des produits pour les bateaux de transport d’hydrogène liquide et d’ammoniac.
En parallèle, nous continuons à développer nos usines et notre chaîne d’approvisionnement mondiale pour optimiser les coûts de ces solutions et contribuer ainsi au succès économique de la filière hydrogène. Notre ambition est d’apporter notre contribution au développement durable de la filière énergétique.
En bref
Burckhardt Compression est une société originaire de Suisse qui a vu le jour il y a 177 ans. Aujourd’hui, l’entreprise est un acteur mondial avec plus de 2 600 collaborateurs répartis dans 40 pays. Elle se distingue par sa capacité à offrir des solutions industrielles qui permettent d’apporter des réponses efficaces et performantes aux plus grands défis dans le domaine de la compression.