La conduite du système éducatif : Suffit-il d’établir un palmarès des établissements scolaires pour améliorer leurs résultats ?
L’évaluation des établissements scolaires est, par rapport à ce qui se pratique dans nombre de pays comparables, une préoccupation relativement récente en France chez les responsables du système éducatif. C’est pourtant l’appréciation – fondée ou non – du fonctionnement et des résultats des établissements que fréquentent leurs enfants qui détermine l’opinion que les « usagers » se font de l’École. La demande est donc forte à ce sujet et elle est moins le fait de « consommateurs d’école » que d’usagers d’un service public qui en connaissent les enjeux.
Depuis maintenant plus de dix ans, le ministère de l’Éducation nationale publie régulièrement des indicateurs de performance des lycées tant publics que privés1. La presse, le public, les parents d’élèves désignent souvent ces indicateurs sous le nom de « palmarès des lycées ». Mais s’agit-il vraiment d’un palmarès, et un palmarès – c’est-à-dire un classement – est-il le mieux à même d’inciter les lycées à améliorer leur fonctionnement et leurs résultats ?
Les effets pervers d’un palmarès
Pour établir un classement, il faut un critère unique et l’on sait que la presse s’est employée très tôt à satisfaire la demande sociale en publiant des « palmarès » directement inspirés de la logique du ranking des league tables anglo-saxonnes. Ils étaient établis en fonction du seul taux de réussite de leurs élèves au baccalauréat et ont immédiatement fait l’objet de deux critiques fortes de la part des enseignants et des responsables d’établissement :
• s’intéresser au seul taux de réussite à l’examen final, c’est accepter de juger un établissement uniquement sur le « dernier obstacle » de la course que constitue la scolarité dans un lycée. C’est négliger le fait qu’un lycée peut sélectionner ses élèves pour ne conserver « en fin de course » que ceux dont il juge qu’ils vont réussir le baccalauréat ;
• s’intéresser au seul taux effectif de réussite au baccalauréat, c’est ignorer l’action propre du lycée, ce qu’il a « ajouté » au niveau initial des élèves qu’il a accueillis. En d’autres termes, si un lycée a un bon taux de réussite au baccalauréat, est-ce dû au fait qu’il a reçu (voire sélectionné) de bons élèves, dotés de bonnes méthodes de travail, qui ont pu obtenir le baccalauréat sans effort particulier de sa part, ou bien, est-ce dû à ce qu’il a su, tout au long d’une scolarité, développer chez des élèves peut-être moins bien dotés au départ les connaissances et les compétences qui ont permis leur succès ?
Un tel classement n’incite guère à l’amélioration, puisque ce sont finalement les établissements qui sont en mesure d’attirer ou de sélectionner les meilleurs élèves à l’entrée ou en cours de scolarité qui ont toutes les chances d’en prendre la tête. Il est, de ce fait, en contradiction avec le principe de sectorisation en vigueur dans notre service public d’éducation où l’établissement fréquenté dépend, en principe, du domicile2.
Apprécier la « valeur ajoutée » d’un établissement selon plusieurs critères
Les indicateurs de résultats publiés par le Ministère combinent deux principes qui visent à répondre directement aux deux critiques faites à ces palmarès, d’une part, en proposant de porter plusieurs regards sur la performance d’un lycée et, d’autre part, en s’efforçant d’apprécier la « valeur ajoutée » de ce lycée.
Trois indicateurs sont publiés.
BAC GÉNÉRAL ET TECHNOLOGIQUE (SESSION 2004) |
|||||
Taux de réussite nationaux selon l’âge et l’origine sociale des élèves des établissements publics (France métropolitaine + DOM) |
|||||
Age au 31.12.2004 | |||||
18 ans ou - | 19 ans | 20 ans ou + | Total | ||
Origine sociale des élèves |
Très favorisée | 92,2 | 77,8 | 70,1 | 86,5 |
Favorisée | 87,8 | 74,5 | 68,1 | 81,1 | |
Moyenne | 86,2 | 73,5 | 67,1 | 79,2 | |
Défavorisée | 82,8 | 70,3 | 63,4 | 74,5 | |
TOTAL | 87,6 | 73,6 | 66,3 | 80,1 |
En effet, la diversité de fait des établissements et de leurs politiques – diversité qui n’est pas illégitime, loin de là, dans le cadre d’un service public national – implique que la performance d’un établissement puisse être mise en valeur selon plusieurs points de vue. En d’autres termes, il y a, pour un établissement, plusieurs façons d’être performant.
• Le taux de réussite au baccalauréat est l’un de ces indicateurs, mais on sait qu’il est insuffisant pour rendre compte de l’efficacité d’ensemble d’un lycée, c’est pourquoi les deux autres s’intéressent à l’ensemble de la scolarité dans le lycée :
Baccalauréat général et technologique (session 2004) Taux de réussite nationaux selon l’âge et l’origine sociale des élèves des établissements publics
(France métropolitaine + DOM)
Âge au 31.12.2004 Origine sociale
des élèves 18 ans ou – 19 ans 20 ans ou + Total Très favorisée 92.2 77.8 70.1 86.5 Favorisée 87.8 74.5 68.1 81.1 Moyenne 86.2 73.5 67.1 79.2 Défavorisée 82.8 70.3 63.4 74.5 TOTAL 87.6 73.6 66.3 80.1
• Le taux d’accès au baccalauréat évalue, pour un élève entrant dans un lycée, la probabilité qu’il obtienne le baccalauréat à l’issue d’une scolarité entièrement effectuée dans celui-ci, quel que soit le nombre d’années nécessaire.
• La proportion de bacheliers parmi les sortants est la proportion de bacheliers parmi les élèves qui quittent le lycée quels qu’en soient les raisons et le moment.
Un lycée qui élimine des élèves ou qui rechigne au redoublement aura, pour ces deux indicateurs, une valeur plus faible qu’un lycée qui laisse plusieurs chances à ses élèves.
On donne pour chacun de ces indicateurs une appréciation relative de la « valeur ajoutée » de l’établissement, c’est-à-dire de son efficacité propre, compte tenu des caractéristiques des élèves qu’il accueille.
Pour ce faire, on s’efforce d’éliminer des facteurs de réussite indépendants de l’action du lycée, en considérant le fait que la réussite et l’accès au baccalauréat des élèves sont, en moyenne, sensiblement différents selon leur origine socioprofessionnelle et surtout selon leur âge.
Alors que le taux de réussite moyen est de 80,1 %, ce taux diffère de près de 30 points selon que les élèves sont « à l’heure » ou en avance (18 ans ou moins) et issus d’une catégorie sociale très favorisée du point de vue de la réussite scolaire (essentiellement cadres supérieurs et enseignants) ou qu’ils ont redoublé au moins deux fois (20 ans et plus) et proviennent d’une catégorie sociale très défavorisée (ouvriers et inactifs pour l’essentiel). Les premiers réussissent en moyenne à 92,2 %, les seconds à 63,4 % seulement.
Pour se prononcer équitablement sur le fait de savoir si un lycée est performant, il faut comparer son taux de réussite au baccalauréat, non pas au taux moyen « toutes catégories confondues » (80,1 %), mais au taux moyen des catégories d’élèves qu’il accueille effectivement.
C’est à partir de ce raisonnement, que l’on calcule, pour chaque lycée, un taux de réussite « attendu », qui serait celui de ses élèves si chacun d’entre eux connaissait le même succès au baccalauréat que celui que connaissent, en moyenne, les candidats de mêmes âge et origine socioprofessionnelle. L’écart entre le taux effectif de réussite du lycée et son taux attendu donne une appréciation relative de sa « valeur ajoutée ». S’il est positif, on a tout lieu de penser que le lycée a apporté aux élèves qu’il a accueillis plus que ce que ceux-ci auraient reçu s’ils avaient fréquenté un établissement moyen, ce qui est l’indice d’une bonne efficacité relative. Si l’écart est négatif, on aura la présomption inverse.
On tient ce raisonnement pour les autres indicateurs.
Une appréciation de la valeur ajoutée à améliorer
Tels qu’ils sont ainsi établis, ces indicateurs ne peuvent être parfaits, puisque le calcul de la « valeur ajoutée » ne repose pas sur un indice direct du niveau scolaire des élèves à l’entrée au lycée (tel que les notes obtenues aux épreuves terminales du brevet des collèges), ce que confirme une étude récente sur les lycées de l’académie de Bordeaux3 : on observe que, dans cette académie, des établissements comparables du point de vue de l’âge et de l’origine socioprofessionnelle de leur public scolarisent en fait des élèves dont le niveau scolaire peut être très différent, ce qui modifie la mesure de la « valeur ajoutée ». Cette étude a conforté le projet de la DEP, qui dispose seulement depuis peu des résultats détaillés des élèves au brevet, de travailler à une amélioration de ces indicateurs4.
Le but essentiel : améliorer les résultats des établissements
Lycée Henri IV, Paris
Mais il n’en demeure pas moins que la publication d’indicateurs, même imparfaits, a eu le mérite de faire pièce aux « palmarès » qui assimilaient taux de réussite au baccalauréat et performance des établissements. Le « message » que l’on s’est ainsi efforcé de faire passer est que seule l’analyse combinée de plusieurs indicateurs de « valeur ajoutée » est à même de donner une image de la réalité complexe que constituent les résultats d’un établissement et d’établir un constat de ses points forts et de ses points faibles. On invite ainsi les lycées à prendre appui sur les premiers pour améliorer les seconds.
En effet, le but n’est pas de classer les établissements, mais de les inciter à engager une démarche effective d’évaluation de leur environnement, de leurs ressources, de leur fonctionnement et de leurs résultats, en vue d’établir des hypothèses et des plans d’action pour améliorer ceux-ci. Les indicateurs de résultats sont donc accompagnés, à leur attention, d’autres indicateurs qui rendent compte des caractéristiques des élèves qu’ils accueillent et de leur environnement, de l’utilisation qu’ils font de leurs ressources et de leurs moyens, ainsi que de leur fonctionnement.
Des progrès restent encore à faire à ce sujet, comme le soulignait le Haut Conseil de l’évaluation de l’école en janvier 2002 : si « de nombreux travaux ont été développés [dans ce domaine] une démarche d’évaluation mieux coordonnée et plus globale doit être renforcée. » Il en situait les enjeux en soulignant que « pour accroître l’efficacité d’ensemble du système éducatif et lui assurer un fonctionnement plus équitable, il faut se donner les moyens de rendre équivalente – et la meilleure – possible la qualité du service offert par chaque lycée, c’est-à-dire de faire en sorte que tous fassent progresser tous leurs élèves, et ceci quels que soient le contexte, le niveau d’entrée et les caractéristiques de leurs élèves et les formations qu’ils offrent.« 5
Un simple palmarès, établi sur un critère unique, ne peut y suffire ; il risque même d’aller à l’encontre des objectifs d’efficacité et d’équité de notre système éducatif.
______________________________________
1. Les indicateurs de résultats des lycées d’enseignement général et technologique et des lycées professionnels, élaborés par la Direction de l’évaluation et de la prospective sont disponibles sur le site : http://indicateurs.education.gouv.fr/
2. Pour apprécier la réalité de ce principe, on pourra se reporter à deux notes d’information récentes (décembre 2005) de la Direction de l’évaluation et de la prospective (DEP) du ministère de l’Éducation nationale :
n° 05–35, Ségrégation ou mixité : la répartition des élèves dans les collèges et les lycées, par Isabelle Maetz, et
n° 05–36, Une approche de la sélectivité et de l’attractivité des lycées généraux et technologiques à l’entrée en seconde, par Claudie Pascal,disponibles sur : http://www.education.gouv.fr/stateval/ni/listni2005.html
3. Voir à ce sujet Les indicateurs de performance des lycées, une analyse critique, par Georges Felouzis, dans la revue de la DEP, Éducation et formations, numéro 70, décembre 2004.
4. Voir la discussion qui suit l’article précité.
5. L’évaluation des lycées, avis n° 4 du Haut Conseil de l’évaluation de l’école, disponible sur http://cisad.adc.education.fr/hcee/documents/avis04.pdf