La Contribution sociale sur la valeur ajoutée se heurte à des difficultés pratiques
La Contribution sociale sur la valeur ajoutée (CSVA), parfois baptisée abusivement « TVA sociale », a été appliquée partiellement par le gouvernement allemand. En France, le gouvernement met en place une version un peu différente dans le contexte de son « pacte de compétitivité ».
REPÈRES
La Contribution sociale sur la valeur ajoutée (CSVA) ne se présente pas comme une nouvelle forme de taxation. Il s’agit de traiter l’ensemble des cotisations sociales de la même façon que la TVA, c’est-à-dire d’opérer un calcul sur le chiffre d’affaires de l’entreprise, avec déductibilité des achats de biens intermédiaires et des investissements productifs (calcul effectué, par conséquent, sur une valeur ajoutée nette des investissements productifs de l’année). De plus, il faut assurer une neutralité parfaite vis-à-vis de l’étranger, puisque les produits importés supporteraient un prélèvement équivalent aux produits fabriqués en France, tandis que le montant de la CSVA serait, comme pour la TVA, déduit des produits exportés.
Deux avantages essentiels
Le principe de la CSVA paraît très séduisant car il présente deux avantages essentiels. On remplace un système complexe de cotisations multiples, qui sépare fictivement les cotisations des employeurs et les cotisations des salariés et qui distingue sept types de cotisations (maladie, vieillesse, veuvage, familles, FNAL, CSG, CRDS) et trois types différents d’assiette, rien que pour l’Urssaf, sans compter les régimes multiples d’assurances complémentaires Arcco et Agirc, Assedic, Apec et diverses taxes.
Simplifier un système inextricable qui, à lui seul, freine l’embauche
Ce système résulte d’une série de strates successives, décidées de façon concertée avec les partenaires sociaux, de même que la multiplication des formes de contrat de travail.
Quel chef d’entreprise ne rêverait pas de simplifier ce système inextricable qui, à lui seul, freine l’embauche ? Actuellement, si les assiettes des cotisations sociales varient, elles sont toutes mesurées sur les salaires, ce qui pénalise les industries de main-d’oeuvre.
Or, la CSVA permet d’améliorer la compétitivité de l’économie tout en maintenant la protection sociale. C’est dans ce but que l’Allemagne l’a partiellement utilisée.
Une hausse des produits importés
L’application concrète de la CSVA se heurte à de nombreuses difficultés pratiques, que ce soit au niveau de l’économie nationale ou au niveau international. Les cotisations sociales représentent, à elles seules, la moitié des prélèvements obligatoires. Il est vrai qu’une partie de certaines cotisations, comme la CSG, n’est pas assise sur les salaires, et donc que cette partie subsisterait.
Il est plus facile d’augmenter certains prix que de baisser les autres
Il n’en demeure pas moins qu’un basculement de toutes les autres cotisations sociales vers la CSVA impliquerait des taux supérieurs, sur chaque produit, à ceux de la TVA. Globalement, ce basculement n’aurait aucun effet inflationniste sur les produits fabriqués en France. En revanche, il impliquerait fatalement une hausse des prix des produits importés.
Ce basculement impliquerait aussi une modification des prix relatifs des produits. Si l’on appliquait, de façon simple, des taux de CSVA proportionnels au taux de TVA (coefficient supérieur à 1 en cas de basculement intégral), cette modification serait difficile à gérer, car il est plus facile d’augmenter certains prix que de baisser les autres.
Un risque de fraude aux frontières
La TVA se heurte déjà à la difficulté d’appliquer des taux élevés pour le secteur des services, où la matière imposable est plus facile à frauder que pour les marchandises. La difficulté serait aggravée avec la CSVA. Au niveau international, cette mesure serait appliquée logiquement envers tous les pays étrangers.
Pour les pays extérieurs à l’Union européenne, cela effacerait une partie des disparités, mais sans suffire à corriger toutes les distorsions provenant de ceux à monnaie sous-évaluée.
Pour les partenaires de l’Union européenne, il est théoriquement possible d’augmenter des taux que l’on présenterait pour eux comme une extension de la TVA, mais on risquerait d’avoir des fraudes importantes aux frontières de la France.
Une baisse de pouvoir d’achat
Sortir de l’euro ?
Le dispositif paraît dérisoire pour redresser à court terme la compétitivité de l’industrie française. Celle-ci a besoin très rapidement d’une baisse de coût salarial de l’ordre de 20% par rapport à l’Allemagne et aux pays émergents, c’est-à-dire au moins trois fois plus élevée que ce que pourrait produire en 2016 le dispositif prévu. La France ne peut pas, sans graves dommages, sortir du marché commun.
En revanche, elle pourrait quitter la zone euro, dont la moitié des pays de l’Union européenne ne font pas partie.
Un autre inconvénient de la « version française » (voir détails en encadré) concerne les modalités de hausse de la TVA. Une franche hausse de son taux principal aurait eu l’avantage de favoriser le commerce extérieur, concernant principalement l’industrie, tout en ne pénalisant que faiblement le pouvoir d’achat.
Si les entreprises jouent le jeu en baissant leurs prix hors taxes, une telle hausse ne frappe que les produits importés. En revanche, la hausse de 7% à 10% va s’appliquer essentiellement à des produits locaux (restauration et travaux du logement), créant par conséquent une baisse notable du pouvoir d’achat, tout en favorisant le travail au noir.
Un objectif à cinq ans
À l’évidence, il n’est pas concevable d’appliquer brutalement et pleinement une mesure aussi révolutionnaire que la CSVA. Elle ne peut être affichée que comme un objectif à atteindre, dont la mise en oeuvre se ferait graduellement sur une durée de cinq ans. Cet étalement dans le temps permettrait de résoudre les principales difficultés : amortir les effets inflationnistes induits et convaincre nos partenaires d’appliquer le même système que nous.
La France a réussi à exporter, dans le monde entier, le système de TVA inventé par Maurice Lauré ; une France redressée est bien capable de faire de même avec la CSVA. Il faudrait les convaincre également de rendre à chaque pays de l’Union européenne sa liberté de manoeuvre, en appliquant des taux plus bas de TVA et CSVA sur les services, quitte à être plus contraignant pour les taux d’accises (alcool, tabac et essence).
La version française actuelle
À l’heure actuelle, le gouvernement met en place un « pacte de compétitivité ». Au lieu d’appliquer vraiment la CSVA, il a inventé un mécanisme complexe de crédit d’impôt, calculé sur la masse salariale jusqu’à 2,5 fois le montant du SMIC, dont le coût n’apparaîtra qu’en 2014 pour 10 milliards d’euros, avant d’atteindre 20 milliards en 2016. La contrepartie, repoussée elle aussi à partir de 2014, se trouve pour moitié dans des hausses modulées de taux de TVA (de 19,6% à 20% et de 7% à 10%, allant de pair avec une baisse du taux réduit de 5,5% à 5%), ainsi que dans une fiscalité écologique.
Ce crédit d’impôt va s’appliquer à tous les secteurs d’activité. Or, c’est essentiellement l’industrie qui a vu ses marges baisser, de 35% à 21% dans la dernière décennie, contrairement aux autres secteurs dont les marges se sont maintenues. L’industrie française a été prise en étau par la concurrence internationale avec la montée de l’euro, coïncidant avec le maintien des 35 heures et des hausses de salaires. Un coût salarial excessif par rapport à l’étranger a ainsi étranglé ses marges tout en dégradant ses positions extérieures.