La coopération, enjeu sociétal planétaire
La coopération internationale en matière de météorologie est à la fois indispensable et bénéfique. C’est pourquoi la France s’y est toujours largement investie – tant au niveau mondial qu’au niveau européen – et entend rester un des moteurs de la coopération.
Quiconque a regardé les animations d’images satellitaires l’a constaté : les nuages et tempêtes ne s’arrêtent pas aux frontières. En pratique, aucun pays ne peut faire de prévision météorologique pour le lendemain, sans disposer d’observations sur les pays voisins. Au-delà de 5 à 6 jours il est même indispensable de couvrir l’ensemble de la planète ! Ce besoin de coopération à l’échelle globale est si essentiel que, dès le milieu du dix-neuvième siècle et la création des premiers services météorologiques nationaux, les initiatives se multiplient pour faciliter la coopération entre ceux-ci et pour permettre l’échange rapide des observations, rendu possible par l’invention du télégraphe. C’est ainsi que l’OMI (Organisation météorologique internationale) fut fondée en 1873 pour faciliter la collecte et l’échange, en temps réel, d’observations standardisées et d’informations relatives au temps par-delà les frontières nationales. L’OMI se transforme en 1950 en Organisation météorologique mondiale (OMM), et devient une institution intergouvernementale du système des Nations unies, spécialisée dans la météorologie et le climat, l’hydrologie et les sciences géophysiques connexes. Avec ses 146 ans d’existence, il s’agit de la 2e plus ancienne organisation internationale. Elle regroupe actuellement 192 membres et son rôle a été décisif pour contribuer à faire de la météorologie la discipline scientifique où la coopération est la plus établie et la plus universelle.
REPÈRES
C’est en 1873, lors du congrès météorologique international de Vienne, que fut décidée la création d’une organisation météorologique internationale.
La France était absente mais en 1878, elle a pu se joindre au processus de mise sur pied de l’organisation, dont la création a été officialisée en 1879.
Dix ans plus tard, en 1889, les premiers tableaux météorologiques inter-nationaux furent publiés.
De multiples réalisations
Parmi les multiples illustrations, on peut citer la Veille météorologique mondiale, lancée en pleine guerre froide (1963), qui a permis de renforcer l’échange entre tous les pays membres, quels que soient leurs choix politiques, de leurs observations météorologiques en temps réel, y compris celles issues de satellites. On peut citer encore le Programme de recherche atmosphérique global (GARP) de 1967 à 1982 coorganisé par l’OMM et l’ICSU (Conseil international des unions scientifiques), qui reste à ce jour peut-être la plus grande expérience de coopération scientifique internationale. L’OMM a également joué un rôle majeur dans la détection de la destruction de la couche d’ozone et dans le développement des mécanismes internationaux pour assurer sa protection. Depuis 1976, elle a été à la pointe de l’action pour alerter sur l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, et plus généralement sur les changements climatiques, entre autres à travers l’organisation des trois Conférences mondiales sur le climat, le développement du Programme mondial de recherche sur le climat et la création en 1988 du GIEC (avec le programme des Nations unies pour l’environnement). Par ailleurs, depuis sa création, l’OMM a soutenu le développement d’applications de la météorologie à quantité de domaines : aviation, activités marines, agriculture, énergie, prévention des catastrophes naturelles, tourisme, santé, gestion des ressources en eau… (la liste est presque sans limites), contribuant ainsi à renforcer la sécurité des populations, le bien-être économique et la protection de l’environnement. Les bénéfices socio-économiques des investissements en météorologie sont considérables, quels que soient les pays (voir l’encadré en fin d’article), et tous les pays, même les plus grands, retirent de la coopération internationale beaucoup plus que leur contribution.
1975 : naissance d’une organisation au niveau européen
Cela est vrai à l’échelle globale, mais qu’en est-il à l’échelle régionale et européenne ? Comme suite à la Seconde Guerre mondiale, l’idée de construction européenne a germé et s’est étendue à de nombreux domaines, incluant la météorologie. Cette discipline est alors en plein essor, grâce notamment à l’émergence des calculateurs et de ce que l’on appelle la prévision numérique du temps. Dans les années 70, avec l’explosion de la puissance des supercalculateurs, l’accroissement des données d’observation de la Terre, y compris satellitaires, tant en quantité et en qualité et une meilleure compréhension scientifique des mécanismes régissant l’évolution de l’atmosphère et ses interactions avec les autres composantes du système planétaire (océans, cryosphère, systèmes terrestres…), les centres météorologiques arrivent à prévoir le temps à typiquement 2 à 3 jours à l’avance. C’est alors que les Européens se prennent à rêver d’une prévision à « moyenne échéance » ou « moyen terme », c’est-à-dire au-delà de 3 jours, et s’étendant pourquoi pas jusqu’à 10 jours ! L’idée du Centre européen de prévision météorologique à moyen terme (CEPMMT ou ECMWF en anglais) est née. Le CEPMMT est une organisation intergouvernementale établie en 1975 avec pour mission de faire avancer la recherche météorologique afin d’améliorer la prévision numérique du temps. Le CEPMMT est soutenu par 22 États membres et 12 États coopérants, principalement européens, répartis de l’Islande à la Turquie et de la Finlande au Maroc. La recherche en prévision numérique du temps est à la pointe de sa discipline, ce qui permet au CEPMMT de produire quotidiennement les meilleures prévisions météorologiques à l’échelle globale, jusqu’à 15 jours d’échéance.
“Le modèle européen est loin devant les modèles nationaux, selon les statistiques compilées dans le cadre de l’OMM”
Des résultats probants
Le modèle européen est loin devant les modèles nationaux, selon les statistiques compilées dans le cadre de l’Organisation météorologique mondiale. Meilleur que les prévisions du Japon, de l’Australie, du Canada, de la Chine et des États-Unis, au grand dam de ces pays qui nous envient cet éclatant succès européen. Et les progrès continuent au rythme d’environ un jour de prévisibilité par décennie, ce qui veut dire que la qualité d’une prévision à 7 jours aujourd’hui est semblable à la qualité d’une prévision à 3 jours il y a quarante ans. Il est indéniable que les avancées de la prévision numérique, dans la seconde moitié du XXe siècle et le début du XXIe, représentent l’un des plus grands succès scientifiques, toutes disciplines confondues, bien que ces avancées aient été relativement discrètes car régulières et progressives. La clé de ce succès réside dans la mise en commun de ressources (supercalculateurs puissants), l’échange de données météorologiques, et le rassemblement dans un même lieu et œuvrant pour un même but de scientifiques brillants venant de tous les pays européens. La collaboration scientifique au CEPMMT s’étend au-delà des services météorologiques de ses États membres, avec des échanges fructueux dans toute la communauté scientifique en Europe et au-delà. On peut noter que l’une des avancées majeures permettant de mieux utiliser les données satellitaires est issue d’une collaboration étroite avec des professeurs et ingénieurs ayant été initiés au contrôle optimal par Jacques-Louis Lions. Une méthode dite variationnelle a ainsi été développée, avec un tel succès qu’elle a été ensuite reprise par les principaux centres de prévision numérique de par le monde.
Copernicus ou « La Terre vue par l’Europe »
Outre le développement des modèles météorologiques et la fourniture de données de prévisions aux États membres, le CEPMMT s’est récemment vu octroyer la responsabilité de deux services Copernicus par l’Union européenne. Copernicus, ou « La Terre vue par l’Europe », propose un regard sur notre planète et son environnement dans l’intérêt de tous les citoyens européens. Les deux services dont le CEPMMT a la responsabilité sont le Copernicus Climate Change Service et le Copernicus Atmosphere Monitoring Service. Le CEPMMT est également le centre produisant les prévisions de crues et de feux aux échelles européennes et mondiales dans le cadre du Copernicus Emergency Management Service. Pourquoi ces nouvelles activités dans un centre de prévision numérique ? Tout simplement parce que les outils sont très similaires et fortement connectés : l’atmosphère n’agit pas en isolation, elle interagit avec la totalité du système Terre (océan, terres émergées, composition chimique…). De même, les besoins en traitement d’observations, notamment satellitaires, et l’expertise qui en découle, sont semblables.
D’où l’extension logique de la collaboration européenne de la météo à ces applications connexes.
Défis à venir
Quels sont les défis à venir en prévision du temps ? La progression vers un système Terre à l’échelle kilométrique présente de forts enjeux en matière de puissance de calcul et d’adaptation de nos codes de calcul aux supercalculateurs du futur. Il s’agit là d’un défi technologique majeur, qui requiert une coopération étroite entre les scientifiques experts de la modélisation en prévision numérique, les informaticiens et les compagnies proposant de nouvelles architectures informatiques. Le CEPMMT est localisé à Reading, en Grande-Bretagne, mais a récemment décidé de déplacer son centre de calcul à Bologne, en Italie, où le technopôle en cours de création a une envergure telle qu’il permettra d’abriter les calculateurs à venir.
Des liens à renforcer face aux défis du développement durable
En conclusion, la météorologie est indéniablement l’un des domaines où la collaboration à toutes les échelles (du global au régional) est la plus existentielle. Les moyens technologiques, humains et donc financiers sont tels que même les plus grands pays européens n’auraient pu atteindre leur niveau actuel de leadership mondial sans ces choix stratégiques de coopération étroite. La France a joué un rôle important dans cette entreprise, avec de nombreux Français ou Françaises issus de ses organismes de recherche et de son service météorologique, tels que les auteurs de cet article ayant œuvré dans des organisations internationales. La France a toujours joué un rôle moteur et affirmé un soutien clé aux organisations concernées. Mais il ne s’agit que d’une étape. En ce début du XXIe siècle, dans un monde marqué à la fois par une globalisation omniprésente, mais aussi par des tentations nationalistes et des replis sur des priorités à court terme, un certain nombre de défis requerront une contribution accrue de la communauté météorologique. En particulier il ne pourra y avoir de développement durable sans prise en compte de la lutte contre les changements climatiques d’origine anthropique. Cela passera par une coopération encore plus étroite entre pays, mais aussi entre des disciplines jusque-là relativement cloisonnées.
CEPMMT : Centre européen de prévision météorologique à moyen terme
OMM : Organisation météorologique mondiale
Les bénéfices socio-économiques des services météorologiques
par Michel Jarraud
Dans le monde moderne, la plupart des secteurs socio-économiques sont de plus en plus sensibles aux phénomènes météorologiques, hydrologiques ou climatiques. Cette tendance est exacerbée par les changements climatiques d’origine humaine, ainsi que par l’évolution démographique. L’utilisation d’informations appropriées pour la prise de décisions à tous les niveaux, des gouvernements aux entreprises et aux individus, permet de sauver de nombreuses vies lors de phénomènes extrêmes et de générer des bénéfices considérables ou d’éviter des coûts inutiles, contribuant ainsi à un développement plus durable.
Un certain nombre d’études ont essayé de quantifier ces bénéfices et une conférence mondiale sur le sujet a été organisée en 2007 à Madrid par l’OMM. Les rapports entre les investissements dans les services météorologiques et les bénéfices obtenus oscillent dans une fourchette de 1⁄5 à 1⁄15 voire plus, et cela est vrai tant dans les pays en développement que dans les pays les plus développés. De tels rapports sont spectaculaires et inhabituels.
Des résultats spectaculaires
Récemment, un certain nombre de services météorologiques nationaux, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en France, en Australie, aux États-Unis, ainsi que le CEPMMT ont fait réaliser des études pour évaluer les bénéfices à attendre, pour l’ensemble des usagers, d’investissements dans une puissance accrue de leurs superordinateurs. Les résultats sont encore plus spectaculaires avec des rapports bénéfices/investissements dépassant fréquemment 10 et voire 50 ! Il est d’ailleurs intéressant de noter que, dans les études les plus récentes, ces rapports sont sensiblement plus élevés que dans les études plus anciennes. Cela reflète probablement le fait que ces nouvelles analyses prennent en compte des secteurs qui n’avaient pas été inclus auparavant, mais aussi la sensibilité croissante des économies modernes aux aléas météorologiques ou climatiques, à leur variabilité et à leurs extrêmes. Parmi les secteurs où ces bénéfices sont les plus importants, on peut mentionner la prévention des catastrophes naturelles d’origine hydrologique ou météorologique, l’énergie, les transports (en particulier aérien et maritime), la santé, la gestion de l’eau, l’agriculture et la sécurité alimentaire, le tourisme, le commerce, la construction… La météorologie apportera ainsi une contribution majeure aux objectifs du développement durable, comme ceux ci-dessus, mais aussi à ceux liés aux océans, aux écosystèmes, à l’éducation…