La création de leur propre emploi par les jeunes d’un quartier sensible
A quarante-cinq minutes à l’est de Paris se trouve le grand ensemble de Clichy-sous-Bois – Montfermeil. Construit dans les années 60, avec de hautes et longues barres de logements, ce quartier, qui abrite plus de 32 000 habitants, est aujourd’hui un lieu où se trouvent concentrés tous les maux qui stigmatisent les banlieues : dégradation, insécurité, taux de chômage, pourcentage de population d’origine étrangère, suroccupation des logements… On y a pourtant empilé tous les dispositifs des politiques de la Ville : zone d’éducation prioritaire, contrat de ville, grand projet urbain, zone franche urbaine, procédure européenne Pic Urban…
C’est dans ce contexte et avec la volonté de s’adresser aux plus démunis, à la fois sur le plan financier et sur celui de l’accès à l’information et au conseil, que l’ADIE(1) a mis en place un programme expérimental de mobilisation des jeunes autour de la création de leur propre emploi. Les jeunes de ce quartier se complaisent à se représenter privés d’avenir et il est de fait que peu d’entre eux en ont si l’on pense à cet avenir en termes d’emplois salariés. D’origine ou de nationalité étrangère, sans qualification ni expérience professionnelle reconnue, ayant eu souvent des ennuis avec la justice (deals, vols) et habitant un quartier dont le nom seul fait peur, ils ont peu d’arguments pour se faire valoir auprès des chefs d’entreprise.
Partant battus d’avance, leurs contacts avec le monde du travail sont d’autant plus négatifs qu’ils se montrent souvent très agressifs. Cependant la plupart possèdent une expérience très concrète du travail informel dans des secteurs comme la vente sur les marchés, le second œuvre de bâtiment, la réparation automobile, le négoce de pièces détachées…, toutes activités qui leur ont permis d’acquérir un sens aigu du système D, de la chine et de la négociation.
L’objectif de l’ADIE est de valoriser ces expériences afin d’en tirer une énergie positive qui serait canalisée sur le montage de projets professionnels aboutissant à des micro-entreprises.
Nous avons commencé par une sensibilisation préalable via les associations locales, par le bouche à oreille et par un important travail de rue, ce qui nous a permis de réunir un groupe de jeunes intéressés par l’idée de créer leur propre emploi.
Nous leur avons proposé un « accompagnement-formation » de longue durée ainsi que la possibilité de tester leur activité dans une structure de précréation.
À l’issue de l’accompagnement, si leur projet tient la route, ils pourront obtenir un crédit pour créer leur micro-entreprise.
Nous avons déjà financé trois projets, celui de Baptistin qui a créé un vidéoclub, celui de Moussa qui vend des tissus orientaux sur les marchés et celui d’Amed qui vend des pizzas à emporter ou à livrer. Et nous examinons celui d’Abdelghani, passionné de musique soul et funk, qui veut monter son stand de vente de disques vinyles sur les marchés aux puces et dans les foires spécialisées, celui de Mohamed qui rêve d’ouvrir une sandwicherie et celui de Benyazid qui veut vendre des pièces détachées pour automobiles.
Les démarches sont longues et pas toujours faciles, mais elles sont dynamisées par la motivation de créer son propre emploi, de devenir son maître et d’avoir à compter sur soi-même pour y parvenir. Nous visons la régularisation dans un univers où tout est informel, un monde sans TVA, sans impôt et sans charges sociales. Malgré la zone franche, les prélèvements fiscaux et sociaux restent importants pour une entreprise qui démarre dans les règles. C’est un handicap pour certains projets qu’il serait si facile de monter au noir. Et il faut bien reconnaître que l’existence d’activités informelles est un facteur de dynamisme dans des quartiers dépourvus de commerces de proximité. Ces activités procurent des ressources de base à une population dont le pouvoir d’achat est faible, où beaucoup de ménages sont en voie de paupérisation.
Ce n’est pas tant le projet en lui même et son aboutissement qui importent, que le travail effectué pour le promouvoir, en groupe ou individuellement.
Peu à peu, chacun apprend à faire des démarches, à se présenter de façon professionnelle et sans agressivité, apprend aussi à se donner des objectifs.
C’est notre défi d’arriver à gérer cette ambiguïté. Il nous faut trouver une démarche dynamisante et positive d’insertion par l’économique, sans perdre de vue les spécificités du quartier, ce qui nous conduit à agir dans deux directions :
. d’une part, essayer de faire évoluer la législation sur les micro-activités en faisant valoir aux pouvoirs publics qu’un statut serait à définir, qui incite vraiment les gens à sortir de l’aide sociale sans les assommer de charges, chaque fois que, si modeste soit leur projet, ils essaient de créer leur propre activité ;
. d’autre part, trouver des solutions innovantes comme la création d’une structure de précréation afin de permettre aux futurs créateurs de tester leur projet en grandeur réelle sans prendre tout de suite tous les risques de la création : société de facturation, mutualisation des charges, mise à disposition d’un local, d’un véhicule, de matériel…, enfin de tout ce qui permet de limiter les investissements de départ.
Les premiers résultats sont encourageants, et nous suscitons un vif intérêt chez les jeunes. Ils se mobilisent sur de la formation longue durée et le démarrage de quelques-uns a un effet boule de neige. Mais l’ADIE a grand besoin de soutien pour mener à bien cette action, il nous faudrait des dons et des apports en nature, comme par exemple des véhicules utilitaires à mettre gracieusement à la disposition des jeunes créateurs d’entreprise…
ADIE : Association pour le développement de l’initiative économique.