La création de valeur :
Création de valeur, que de sottises sont proférées à ton sujet ! Pourtant, si on veut bien aborder le sujet sans dérive morale, philosophique, religieuse ou politique, la création de valeur est toute simple : il s’agit seulement d’une boîte à outils pour gérer une entreprise. Un système de gestion par la valeur est constitué de douze outils faciles que l’on peut répartir en cinq catégories :
- outils de gestion financière,
- outils de gestion stratégique,
- outils de communication financière,
- outils de gestion opérationnelle,
- outils de gestion des ressources humaines.
La direction générale est responsable au premier chef de l’implantation et de l’utilisation de cette boîte à outils. Mais elle n’est pas la seule. Car il s’agit d’une véritable projet d’entreprise.
Cette boîte à outils permet d’apporter une réponse satisfaisante à une question fondamentale : comment faire participer les dirigeants et employés à la richesse qu’ils contribuent à créer par leur travail et leur intelligence ?
Pour répondre à cette question, on est toutefois obligé de répondre à deux questions préalables :
- une entreprise a‑t-elle besoin de capitaux pour exister ?
- est-il légitime que les apporteurs de ces capitaux en obtiennent un rendement ?
La création de valeur se situe dans le contexte d’une réponse positive à ces deux questions : comment pourrait-il en être autrement ?
De nos jours, la complexité croissante des groupes et leur diversité rendent nécessaires d’effectuer toute sorte d’analyse économique ou d’action managériale au niveau le plus fin possible d’entités » à taille humaine » : qu’on les appelle SBU Strategic Business Unit ou Rivière de valeur comme nous aimons le faire. Cette dissociation en rivières de valeur peut se faire selon des notions de divisions, filiales, produits, marchés, pays, clients, processus, usine, atelier, machine, projet, fonction, service : la réalité de l’entreprise concernée imposera le bon choix. La création de valeur doit se décliner comme une dynamique de changement dans toutes les rivières de valeur.
Outils de gestion financière
La création de valeur débouche sur un premier outil : la mesure de la performance économique de l’entreprise par le profit économique.
Ce résultat a été défini par les pères fondateurs de l’économie dès le XVIIIe siècle. Le cabinet américain Stern Stewart a eu le génie marketing de déposer la marque EVA® pour désigner ce concept générique. Si le profit économique est positif, il y a création de valeur : l’entreprise vaut plus que ses capitaux investis. S’il est négatif, il y a destruction de valeur : l’entreprise vaut moins que ses capitaux investis. S’il est nul, il y a circulation de valeur : l’entreprise vaut » seulement » ses capitaux investis.
L’entreprise doit donc se doter des moyens pour calculer, rivière par rivière, pour chaque période considérée (mois, trimestre, semestre, année), le profit économique : son système d’information de gestion doit être adapté et paramétré en conséquence. Ses tableaux de bord financiers doivent être conçus pour donner l’information correspondante.
Outils de gestion stratégique
La finance d’entreprise nous enseigne depuis près d’un demi-siècle comment se valorisent les entreprises : l’actualisation des free cash-flows (flux de trésorerie disponibles) ; on arrive assez facilement à démontrer que ceci est strictement équivalent à l’actualisation des profits économiques. Ceci se vérifie bien dans la réalité du monde des affaires.
Les dirigeants et les employés d’une entreprise ont donc du pouvoir sur sa valorisation puisqu’ils en maîtrisent tous les éléments constitutifs. On peut donc gérer pour et par la valeur de l’entreprise. C’est une orientation de gestion tout aussi légitime que n’importe quelle autre.
L’objectif d’une stratégie dans un système de gestion par la valeur ne peut donc être autre que la croissance du profit économique. En effet, la valeur du PE d’aujourd’hui est une photo qui est le résultat des actions passées. L’important est d’améliorer le PE, quel que soit son montant actuel. La cohérence et la complémentarité des actions menées sont ainsi assurées. La création de valeur livre ainsi ses outils de gestion stratégique.
Il existe cinq manières d’améliorer le profit économique :
- baisser le coût du capital,
- augmenter l’endettement,
- renforcer ses positions, en particulier par croissance externe,
- se désengager, en particulier par cession ou restructuration,
- gérer le bilan.
Pour explorer toutes ces possibilités, il s’agit d’utiliser des variantes de l’outil de mesure de performance, variantes adaptées à chaque cas particulier : outil d’évaluation d’entreprise pour une acquisition ou une cession, outil de valorisation d’investissement, outil de mesure d’une stratégie ou d’un business plan… Ces variantes intègrent alors la dimension pluriannuelle de ces opérations. Ces outils intègrent aussi des possibilités de simulations pour analyser en particulier la sensibilité des projections effectuées à telle ou telle variation de leurs paramètres. Par là, ces outils permettent la fixation d’objectifs en termes de profit économique à atteindre à tel horizon et ainsi justifier alors tel niveau de valorisation de l’entreprise, réel ou souhaité.
En particulier, ces outils permettent une analyse dissociant bien les aspects de gestion qui touchent au compte de résultat et ceux qui touchent au bilan. Ces outils permettent donc d’analyser les moyens de parvenir aux objectifs fixés non seulement en termes de gestion traditionnelle de la marge du compte d’exploitation mais aussi en termes de gestion plus novatrice des capitaux investis. Les immobilisations et le besoin en fonds de roulement sont ainsi l’objet d’une attention nouvelle.
Ces outils permettent enfin de mesurer et analyser les écarts entre les perceptions internes de ce que devrait être la valorisation de l’entreprise et celle effectivement donnée par les acteurs concernés : actionnaires actuels ou potentiels. L’entreprise peut alors y remédier par une communication appropriée.
L’utilisation approfondie de ces outils donne une dimension nouvelle au processus de planification : son explicitation en plans d’actions stratégiques en découle en toute cohérence avec l’objectif de création de valeur.
Outils de communication financière
Les entreprises ont souvent du mal à accepter de bon cœur la nécessité dans laquelle elles se trouvent de communiquer financièrement.
Elles ont bien conscience qu’elles vivent dans un monde concurrentiel, sur leurs marchés, par rapport à leurs produits, vis-à-vis de leurs clients : à l’actif de leur bilan. Elles ont malheureusement moins conscience qu’elles vivent dans un monde tout aussi concurrentiel au passif de leur bilan, sur les marchés financiers, par rapport à leur captation de ressources financières, vis-à-vis des investisseurs.
Ces investisseurs institutionnels ou particuliers, et leur environnement : analystes financiers, presse, banques, agences de notation…, ne sont guère sensibles au marketing traditionnel. Ils ne sont sensibles qu’au marketing en termes de création de valeur.
Ils demandent que l’entreprise leur apporte des réponses claires, plus prospectives que rétrospectives, à quatre questions fondamentales qu’ils se posent à propos de leurs investissements :
- quel est le rendement sur mes capitaux investis dans l’entreprise ?
- est-il supérieur ou non au coût du capital que mérite cette entreprise compte tenu du risque qu’elle me fait courir ?
- quelle utilisation l’entreprise fait-elle des outils de création de valeur afin que je puisse être raisonnablement rassuré sur la bonne utilisation de mes capitaux investis ?
- notamment, quel est le lien existant entre les rémunérations des dirigeants et du personnel avec sa performance économique ?
Pour répondre de manière satisfaisante à ces attentes des investisseurs, les outils utilisés sont des variantes, spécialement dédiées à cette fin, du tableau de bord financier montré plus haut. Ces outils sont entièrement compatibles avec les recommandations en la matière du printemps 2001 de la Commission des opérations de Bourse.
Outils de gestion opérationnelle
Décliner la création de valeur en outils de gestion opérationnelle au sein de chaque rivière de valeur consiste à construire une représentation de celle-ci par un diagramme décrivant la génération du profit économique depuis les sources de valeur. Par exemple, un achat a des conséquences non seulement sur le compte de résultat et donc le REMIC mais aussi sur le bilan, c’est-à-dire les capitaux investis, via le crédit fournisseur et les stocks.
Autant les premières étapes de cette construction seront génériques et ne reprendront en conséquence que des éléments proches de la comptabilité traditionnelle, autant dans le cas concret d’une rivière de valeur donnée, les étapes suivantes se devront d’être complètement taillées sur mesure.
Ainsi cet outil de représentation de l’entreprise devient un véritable tableau de pilotage opérationnel : il permet de connaître l’impact de telle source de valeur sur le profit économique en analysant toutes les interactions existant avec les autres sources de valeur, il permet de décliner les objectifs stratégiques en plans d’actions opérationnels concernant telle ou telle source de valeur, il permet de fixer des priorités en fonction des résultats obtenus grâce aux actions sur différentes sources de valeur à » effort managérial » identique.
L’utilisation intensive de cet outil de pilotage en fait aussi un outil de formation du personnel à des niveaux hiérarchiques ou des fonctions où la culture de gestion ou financière est faible.
Outils de gestion des ressources humaines
Ces outils concernent principalement les rémunérations. Une rémunération globale est constituée d’un salaire fixe et d’un bonus variable lié à la performance attribuable à la personne concernée (d’où la dissociation en rivières de valeur, d’où l’analyse en termes de sources de valeur, etc.). Par performance, il va de soi que nous envisageons un indicateur exprimé en termes de profit économique : soit le PE lui-même, soit la variation du PE entre deux années (consécutives ou distantes de trois voire cinq années ou plus), soit la différence entre le PE effectivement atteint et un objectif fixé antérieurement, soit…
Les réponses apportées à douze questions principales permettent de tailler sur mesure les outils de gestion des ressources humaines faisant partie d’un système de gestion par la valeur, c’est-à-dire déterminant le montant du bonus variable. D’autres points sont aussi à résoudre, surtout si le système inclut des compléments de rémunération au-delà du bonus, tels que stock-options ou autres participations capitalistiques.
1. Quels bénéficiaires ?
2. Compatibilité avec le système salarial actuel ?
3. Forme de la participation à la performance économique ?
4. Niveau des bonus ?
5. Participation aux bénéfices et aussi aux pertes ?
6. Court terme ou long terme ?
7. Rémunérer les efforts ou les résultats ?
8. Récompenser la chance ou la gestion ?
9. Rétribution du quantitatif ou aussi du qualitatif ?
10. Performance individuelle ou collective ?
11. Date de paiement des bonus ?
12. Assiette ?
Il s’agit, dans la phase d’implantation des outils, de paramétrer une fonction liant, pour chaque personne concernée, sa performance à son bonus. Dans la phase d’utilisation, ces outils aideront la personne concernée et la DRH à effectivement calculer le montant dû et à le mettre en paiement.
Conclusion
La boîte à outils que nous venons de décrire permet d’apporter une réponse satisfaisante à la question fondamentale que nous posions en introduction parce qu’elle répond correctement aux deux questions préalables.
Implanter un système de gestion par la valeur consiste à intégrer la création de valeur dans toutes les facettes de la vie d’une entreprise. On ne peut parler de système de gestion par la valeur que lorsque tous les outils sont utilisés par toutes les fonctions à tous les niveaux hiérarchiques dans toutes les rivières de valeur. Mais l’implantation, puis l’utilisation, peut être progressive : rivière par rivière, outil par outil, fonction par fonction, niveau par niveau.
La phase d’implantation de tous les outils constituant un système de gestion par la valeur peut durer de quelques mois à quelques années selon la taille et la complexité de l’entreprise considérée. Celle-ci consistera essentiellement à former à leur utilisation les personnes concernées : on ne forme jamais assez de personnes et on ne les forme jamais suffisamment.
Tout au long de cette phase, on invoquera la fameuse citation de Keynes : I’d rather be vaguely right than precisely wrong (je préfère avoir vaguement raison que tort avec précision). Ces outils seront donc dessinés et utilisés de manière pragmatique.
Comme tout outil de gestion, la création de valeur n’est nullement prédictive et elle ne se substitue aucunement à d’autres aspects fort importants du management d’une entreprise : leadership charismatique, ambiance amicale ou innovante, gestion des connaissances, etc.
En revanche, ces outils de gestion peuvent être implantés et utilisés par toute entreprise, de toute taille, tout secteur, tout pays, qu’elle soit publique ou privée, qu’elle soit cotée ou familiale, etc. Ils permettent d’atteindre l’objectif recherché d’une valorisation supérieure grâce aux performances économiques meilleures dégagées par l’entreprise. Les prises de décisions stratégiques et opérationnelles y sont facilitées car elles deviennent plus rationnelles et s’insèrent bien dans une harmonieuse cohérence globale. La communication externe et interne en est grandement facilitée. Les rémunérations des dirigeants et employés en sont augmentées.