La crise de la filière vitivinicole
La France se considère comme le village d’irréductibles Gaulois alors qu’elle dispose de la position de Rome !
Mais la situation actuelle ne laisse pas d’inquiéter, notamment en raison de la surcapacité mondiale de production et de la réduction de la consommation nationale.
En attendant les réformes, les producteurs français vont souffrir – et, pour beaucoup, disparaître.
Depuis longtemps, la France dispose d’une position de leadership dans le monde du vin autant en volume, avec 57 millions d’hectolitres produits annuellement, qu’en qualité et en prestige, avec des icônes comme la Romanée-Conti ou Petrus se vendant à plusieurs milliers d’euros la bouteille.
Une mutation profonde
Les régions viticoles françaises
Mais la situation actuelle est inquiétante à plusieurs titres. La surcapacité mondiale de production de vin est de l’ordre de 20 %, représentant ainsi, approximativement, le volume produit en France. De plus, la consommation de vin dans notre pays, passée de 135 litres par personne et par an dans les années 1960 à 60 litres environ dans les années 2000, est en baisse constante et régulière. À l’export, l’offre française (segmentée en vin de table, vin de pays, vin délimité de qualité supérieure et appellation d’origine contrôlée) est entachée d’une image de complexité. La pléthore d’AOC, au nombre de 467, discrédite le contenu de cette mention qui n’est ni un label de qualité, ni un gage de rapport qualité-prix. L’offre française entre en concurrence avec une offre dite du « Nouveau Monde » (Californie, Amérique latine, Afrique du Sud et Océanie), où les vins savent répondre simplement aux désirs du consommateur à l’aide de marques et de produits constants gustativement.
Beaune, Clos de l’Écu.
La France a déjà perdu sa place de leader sur des marchés aussi stratégiques que, par exemple, le Royaume– Uni, où les vins français sont détrônés par les vins australiens. Les difficultés s’accumulent pour les producteurs français : à Bordeaux, près de 800 vignerons, portés à bout de bras par les banques locales, sont au bord de la faillite.
Un certain nombre d’acteurs voudraient donc voir la France faire évoluer son système réglementaire (réforme des AOC, reconnaissance des vins de cépages mais aussi réforme du rôle des SAFER et des Commissions de structure), accusé de paralyser l’entrepreneurship et la dynamique d’innovation marketing, pour voir apparaître de grands acteurs français capables de lutter à armes égales contre les producteurs anglo-saxons, en particulier australiens, qui, à quatre, maîtrisent 60 % de leur production nationale.
Champagne Krug.
Cependant, la baisse tendancielle de la consommation de vin en France peut aussi se comprendre comme une mutation profonde. D’accompagnement naturel de l’alimentation au quotidien, le vin est devenu une boisson festive consommée de façon occasionnelle dans un contexte convivial. Le marché a donc migré vers le haut de gamme, augmentant en valeur de 4,5 milliards d’euros au début des années 1990 à plus de 5 milliards aujourd’hui. De même, l’export a fortement crû depuis 2001, représentant l’équivalent en valeur de 100 avions gros-porteurs type Airbus.
Vers un système à deux vitesses ?
C’est pourquoi d’autres acteurs voient les évolutions de marché comme la conséquence logique de l’attitude paresseuse de certains producteurs qui se sont reposés sur la rente que représentait l’appellation et se sont finalement laissé rattraper par les nouveaux pays producteurs. Prêts à laisser péricliter ceux qui ne veulent pas réagir et détériorent l’image de prestige de la France, ils prônent la conservation et même le renforcement du cadre réglementaire actuel pour permettre à la France de « s’en sortir par le haut » tout en s’appuyant sur la formidable diversité des vins français avec ses régions et cépages multiples.
L’opposition entre ces deux camps est permanente. Les acteurs qui les composent ne parvenant pas à faire triompher leurs vues paralysent la réaction de la France, laissant les producteurs apporter des réponses personnelles de manière désordonnée.
La possibilité d’imaginer un système à deux vitesses est extrêmement difficile : c’est sûrement une des raisons qui ont contré la mise en place des propositions de René Renou, président de l’Institut national d’appellation d’origine, à ce sujet.
En effet, ce dernier supporte un projet conservant les AOC actuelles pour éviter tout remous mais ajoutant des « appellations d’origine contrôlée d’excellence » (lorsqu’une majorité des producteurs de l’appellation accepteraient de durcir les contraintes de production et de qualité) et des « sites et terroirs d’exception » (permettant de mettre en avant certains producteurs qualitatifs au sein d’AOC).
Pauillac, Château Lafite.
Puligny-Montrachet, Le vieux Château.
Ce modèle s’inspire des DOCG italiens, labels d’origine et de qualité en opposition aux DOC, équivalent de nos AOC. Il est cependant vrai que ce projet, qui éclaircit les niveaux de qualité des vins français, complexifie en même temps l’offre.
L’ensemble de ces grandes réformes et de cette coordination des acteurs n’étant pas près d’arriver, il semble qu’il faille attendre la « mort » de nombre de producteurs ou un réel engagement de nos politiques pour espérer une réaction coordonnée.
Les responsables politiques devraient tout de même avoir le courage d’affronter ce grand débat en pesant les problèmes du court terme comme du long terme et d’aligner tout le monde derrière un pilote, les crises viticoles du passé, comme celle de 1907 dans le Languedoc et celle de 1911 en Champagne, nous ayant démontré leur impact sur l’ordre public et sur la classe politique.
Thierry Brulé a écrit, lors de son MBA à l’Insead, un rapport de recherche intitulé : « The French wine industry : Fermenting a revolution ? ».
Il peut être contacté à l’adresse : thierry.brule@alumni.insead.edu