La data au service de la performance environnementale des logements collectifs
Nos bâtiments collectifs existants ou neufs s’équipent inexorablement de compteurs et capteurs connectés. Tous les fluides et toutes les énergies peuvent être aujourd’hui mesurés en temps quasi réel à un pas de temps horaire et pour un coût modique. C’est une aide très puissante pour connaître de manière fiable le point d’origine et vérifier si la trajectoire de réduction des consommations est bien atteinte, lorsque la copropriété ou le bailleur social a décidé d’engager des actions de réduction des consommations.
La France compte 17 millions de logements collectifs, dont environ 5 millions de logements sociaux et 12 millions de logements en copropriété. Ce sont plus de 40 millions de Français qui y sont logés. Or l’IoT (Internet of Things) s’est développé en quinze ans de façon massive dans ces logements pour mesurer les consommations de fluides et d’énergie. En effet, dans plus de 50 % des logements français, l’eau froide, l’eau chaude et le chauffage sont des fluides collectifs qui sont produits et fournis en pied d’immeuble avec une chaufferie collective, ou via un compteur général d’eau du service public de l’eau qui fournit l’ensemble du bâtiment.
Un fort taux d’équipement
Une très grande majorité de ces logements s’est donc équipée, au niveau de chaque occupant, de sous-compteurs télérelevés (smart meters) d’eau froide, d’eau chaude et de chauffage collectif. Ces équipements sont fournis par des sociétés de service spécialisées, qui ont transformé le métier du sous-comptage en un métier de fournisseur de data, garanties et sécurisées.
Ces sociétés, dont j’ai l’honneur de diriger l’une d’entre elles, Ocea Smart Building, assurent la fourniture et la pose des équipements (compteurs et passerelles de télérelève), leur maintenance sous forme de garantie totale pendant dix ans, la télérelève quotidienne des données de consommation et la publication des données sur des plateformes web. Ainsi les bailleurs sociaux ou les copropriétés payent un service annuel de service de fourniture de la donnée en ayant une garantie totale de bon fonctionnement sur dix ans. Cette durée est généralement celle de la durée de vie des batteries intégrées dans les compteurs.
Ce sont environ 30 millions de compteurs d’eau froide, d’eau chaude et de chauffage collectif qui sont aujourd’hui installés dans les immeubles français. Ces compteurs communiquent en radio sur une fréquence généralement de 868 MHz (dite UHF), soit sous le protocole LoRa (long range), soit sous le protocole WMbus (wireless meter bus). C’est de la radio moyenne portée, avec des passerelles réceptrices positionnées sur le toit des immeubles ou dans les gaines techniques. Le prix du service complet, qui est lissé sur la durée des dix ans, est généralement de quelques euros par mois.
Pourquoi un tel engouement ?
La première motivation des locataires et copropriétaires est de pouvoir payer ses charges d’eau ou de chauffage collectif au réel de sa consommation et non pas au tantième. En effet, le Code de la construction et de l’habitation permet, dès lors que les logements sont équipés de sous-compteurs, de répartir les charges communes de chauffage et d’eau non plus selon la règle des tantièmes, c’est-à-dire peu ou prou selon la surface de l’appartement, mais au réel des consommations.
Nombreux sont les locataires ou copropriétaires à avoir eu le sentiment de charges qui restent perpétuellement au même niveau, voire sont en hausse année après année, alors même qu’ils consomment moins d’eau ou moins de chauffage. En effet, avec la règle des tantièmes, l’effort individuel est dilué dans la masse de l’immeuble. C’est bien le principe de responsabilité personnelle qui est ainsi mis en œuvre à travers le comptage individuel. Le paiement au mètre cube de sa consommation d’eau, ou au kilowattheure de sa consommation de chauffage collectif, incite naturellement à la maîtrise, car chaque effort de réduction se répercute directement dans la facture et devient visible pour l’occupant.
Que mesure-t-on ?
Au-delà de la consommation annuelle, quelles données le smart metering permet-il exactement de collecter ? En réalité chaque jour ce sont plusieurs données qui sont remontées : débits minimum et maximum d’eau observés sur la journée, débit horaire, température du fluide, retour de fluide, niveau de la batterie du compteur…
Les plateformes logicielles permettent ensuite de pousser ces informations au plus près du consommateur pour l’informer sur ses comportements et l’alerter sur les éventuels écarts. Ainsi un débit minimum nocturne d’eau qui ne reviendrait jamais à zéro est le signe d’un écoulement permanent, même minime. Il s’agit très souvent d’une fuite qualifiée « d’invisible » : fuite sur la chasse d’eau des toilettes, fuite sur le tuyau du jardin qui s’infiltre en terre, fuite dans la cave qui s’infiltre dans la terre battue, ou pire fuite de la canalisation insérée dans les cloisons dont on découvrira qu’elles sont gorgées d’humidité plusieurs mois plus tard.
Les outils logiciels d’analyse et de publication des données permettent de détecter ces phénomènes et de notifier une alerte à l’occupant.
Mesurer pour agir
L’Ademe (Agence gouvernementale de la transition écologique) a réalisé en 2018 une étude pour mesurer l’impact de l’individualisation des frais de chauffage collectif, via des sous-compteurs, avant et après leur installation. L’étude a porté sur 4 000 logements étudiés pendant six ans. Le résultat est probant : c’est en moyenne 15 % à 18 % d’économie par immeuble qui est constatée. On observe même une baisse significative la première année, avec un petit effet rebond la deuxième année, qui généralement disparaît l’année suivante.
Ces exemples sont l’illustration que les données de consommation sont le point de départ de toute action d’économie sur le bâtiment. Sans mesure, pas de point de départ, pas de point d’arrivée, pas d’objectivité qui permette de quantifier et de récompenser l’effort réalisé. L’amélioration de la performance énergétique d’un immeuble passe en réalité par trois leviers qui peuvent être actionnés en parallèle, mais dont les coûts, la portée et le retour sur investissement sont très différents. Tous les trois utilisent les données de l’IoT de l’immeuble pour dimensionner et justifier l’investissement, voire le piloter puis suivre son impact réel.
Agir sur le comportement
C’est tout l’exposé de mes paragraphes précédents. Mesurer pour connaître sa consommation, être alerté de tout écart et aligner sa facture sur sa consommation au réel. Le principe de connaissance et de responsabilité est pleinement mis en œuvre. Le gain moyen observé sur les consommations d’eau et de chauffage est en moyenne de 15 %, soit environ 60 € sur une facture d’eau moyenne de 400 € et 180 € sur une facture de chauffage moyenne de 1 200 € par an. L’économie moyenne constatée est ainsi de 240 € pour un dispositif de comptage qui coûte environ 70 € par an. Le retour sur investissement est extrêmement rapide et largement inférieur à un an.
Agir sur la chaufferie et son exploitation
Pour aller au-delà des 15 % d’économie, il va falloir investir un peu plus. Dans l’ordre croissant des dépenses viennent ensuite la rénovation de la chaudière (collective ou individuelle) et l’amélioration de son pilotage. Investir dans une chaufferie biomasse, une pompe à chaleur en géothermie, un chauffage électrique performant ou du chauffage solaire, pour ne citer que les énergies les plus décarbonées, nécessite de financer de nouvelles installations.
On peut alors espérer une économie de 10 % à 60 % en kilowattheures. Le temps de retour sur investissement est généralement de cinq à dix ans. Il tend à se raccourcir avec l’augmentation du prix du gaz, du fuel ou de l’électricité. Désormais tous ces nouveaux équipements sont connectés à de la data environnementale : sondes de températures intérieure et extérieure, sonde d’hygrométrie, mesure de la température des boucles d’eau chaude, mesure de la consommation d’énergie calorifique à chaque étage. Ces data permettent de mettre en place des boucles rétroactives de pilotage des installations de chauffage et de faire de l’analyse a posteriori de leur efficacité.
Les chaufferies sont désormais connectées et donc pilotables à distance. Encore faut-il avoir un bon exploitant… La data couplée à des outils logiciels, certains diront de l’IA là où je préférerais dire du machine learning, doit permettre à terme d’automatiser le pilotage des installations. Nous progressons, mais le parc français reste encore largement à équiper.
Agir sur l’enveloppe du bâtiment
Viennent enfin l’isolation du toit, des murs et l’amélioration de la performance des ouvrants (portes et fenêtres sur l’extérieur). C’est ce qui coûte le plus cher. Le retour sur investissement est de dix à vingt ans. Cette action doit être menée, mais sera très souvent liée à l’obligation de ravalement des façades ou à la réfection de la toiture et de son étanchéité.
L’isolation du bâtiment, en particulier la suppression des ponts thermiques, peut amener à une économie d’énergie substantielle qui peut aller de 30 % à 70 %. Cette action nécessite peu de données, si ce n’est pour le dimensionnement des travaux. Suivre les données de consommation de chaque logement et de l’immeuble au global permet toutefois de vérifier que la promesse d’économie faite est bien réalisée, entre l’avant et l’après travaux. Les données permettent ainsi d’objectiver le gain et de rationaliser le coût des travaux versus le gain sur la facture annuelle d’énergie.
Les compteurs de gaz et d’électricité
Il faut ajouter à tout cela les compteurs connectés de gaz, Gazpar, et d’électricité, Linky, de GRDF et d’Enedis. GRDF termine en 2023 l’équipement de son parc qui compte 11 millions de compteurs. Enedis a pour sa part déployé plus de 36 millions de compteurs connectés.
“C’est bien le facteur humain qui permettra de réduire durablement l’empreinte environnementale du logement.”
Ces compteurs permettent à tous les consommateurs de suivre leur consommation à un pas de temps horaire. Nous ne sommes plus alors dans le suivi des consommations d’un bien collectif à l’immeuble, comme le chauffage collectif, mais bien dans le suivi des consommations individuelles de chacun des occupants qui a pu souscrire un contrat d’abonnement de gaz ou d’électricité auprès du fournisseur de son choix.
Les applications de type « Ma Conso » désormais accessibles sur toutes les plateformes des fournisseurs énergétiques ont largement progressé et permettent à chacun de suivre et de comprendre sa consommation quotidienne et d’adapter ses comportements ou la programmation de ses équipements.
La responsabilité individuelle
Ces données sont un formidable levier d’accès à la connaissance individuelle de la consommation de chaque logement et permettent ainsi de responsabiliser chacun d’entre nous quant à son empreinte énergétique et écologique. Car, au-delà de la technique et de travaux qui permettront d’améliorer la performance intrinsèque du bâtiment, c’est bien le facteur humain, et l’usage que nous faisons de notre logement, qui permettra d’en réduire durablement l’empreinte environnementale.