La décarbonation de la mobilité, un défi multidimensionnel
La décarbonation de la mobilité nécessite une transformation radicale de la chaîne de valeur de l’industrie automobile. Deloitte accompagne aujourd’hui l’ensemble des acteurs de cet écosystème dans la mise en œuvre de leur stratégie de décarbonation. Olivier Perrin, Associé en charge du secteur Energie, Ressources et Industrie, et Jean-Michel Pinto, Associé spécialisé en Mobilité et Décarbonation, répondent à nos questions.
Pouvez-vous nous présenter Deloitte ?
Acteur mondial de premier plan dans les domaines de l’Audit, du Conseil, et du support Juridique et Fiscal, Deloitte a été précurseur sur les sujets de la transition environnementale du fait de son rôle d’auditeur extra-financier. Aujourd’hui, Deloitte accompagne les acteurs industriels du secteur de la mobilité dans leur transformation durable, en particulier sur la décarbonation de leurs activités et la conception de « business model » circulaires.
En France, Deloitte a par exemple participé à la définition de la feuille de route de décarbonation de la filière automobile à travers les travaux menés pour la PFA (Plateforme Filière Automobile).
Plus largement, Deloitte accompagne constructeurs, équipementiers, énergéticiens et associations professionnelles sur ces thématiques en Europe et dans le monde.
Le débat sur les batteries électriques ou l’hydrogène est au cœur de l’actualité, selon vous quelle solution dominera ?
La transition vers une mobilité bas carbone ne peut se résumer à un choix binaire entre pile à combustible et batterie électrique. Le choix technologique n’est que la première étape d’un processus plus large et plus complexe consistant à réduire les émissions sur l’ensemble du cycle de vie du produit de sa production à sa destruction. Ce processus constitue le véritable défi écologique et technologique à relever dans les prochaines années et va conduire à une transformation profonde des activités économiques liées à la mobilité.
Quel est l’impact de l’électrification du parc automobile sur la décarbonation ?
La technologie des batteries électriques prévaut actuellement dans le domaine des transports individuels. Le passage de la propulsion thermique à la propulsion électrique génère une réduction significative des émissions de CO2, en diminuant les émissions liées à l’utilisation du véhicule. Cette décarbonation reste néanmoins partielle.
En effet, les émissions liées à la fabrication des véhicules électriques augmentent considérablement en raison des batteries et d’une utilisation accrue d’aluminium. Pour un véhicule du segment C, cette augmentation peut atteindre 80 %. Par ailleurs, la réduction des émissions lors de l’utilisation dépend fortement du mix énergétique utilisé pour charger le véhicule.
Pour décarboner plus largement la mobilité, une approche holistique est nécessaire. Il faut repenser l’ensemble du cycle de vie des véhicules électriques, depuis la production jusqu’au désassemblage et au recyclage en passant par la modification des usages et la décarbonation de la production de l’énergie associée à leur fonctionnement.
Quels sont les enjeux de la décarbonation de la phase de production ?
La majorité des émissions de production provient de la production des matériaux tels que l’aluminium, l’acier et les plastiques, et de la fabrication de la batterie. Les émissions liées à l’assemblage des véhicules sont quant à elles relativement faibles, représentant moins de 10 % des émissions totales de production.
La décarbonation de la production passe notamment par l’utilisation d’électricité d’origine renouvelable ou nucléaire pour la production d’aluminium et l’assemblage de batteries. Il faut également rationaliser le choix des plastiques utilisés dans les véhicules – aujourd’hui plus de deux cents – en se concentrant sur les plastiques à faibles émissions. En outre, l’augmentation de la quantité de matériaux recyclés, en lien avec la phase de fin de vie des véhicules, est un levier essentiel de décarbonation.
Les travaux menés pour la PFA démontrent que si les investissements nécessaires sont menés, plus d’un tiers des émissions de production peut être supprimé dès maintenant en utilisant des technologies existantes.
Quel est le rôle de la gestion de la fin de vie des véhicules dans la décarbonation ?
L’économie circulaire est le deuxième levier de décarbonation de l’industrie automobile après le recours à une énergie décarbonée. La réutilisation optimisée de certains matériaux permet de réduire très significativement l’empreinte carbone, près de 80 % pour l’aluminium, et jusqu’à 50 % pour certains plastiques. Il est par ailleurs indispensable de recycler les batteries pour assurer la disponibilité des matériaux nécessaires à leur production.
La gestion actuelle de la fin de vie des véhicules ne permet cependant pas de tirer pleinement parti du potentiel de recyclage des matériaux, entraînant souvent un processus de downcycling (réutilisation à des niveaux de qualité inférieurs). Deux obstacles empêchent notamment la mise en place de modèles circulaires performants.
Le premier est la fragmentation actuelle de la filière, composée de nombreux acteurs n’ayant pas les capacités financières pour investir dans la nécessaire modernisation des outils de recyclage et pour créer des partenariats stratégiques sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Le second obstacle est l’insuffisante prise en compte des enjeux de recyclabilité lors de la conception des véhicules, rendant le recyclage en bout de chaîne moins efficace et plus coûteux. A cela s’ajoutent des réglementations qui n’encouragent pas suffisamment les acteurs économiques à réutiliser les matériaux.
Il faut donc repenser l’organisation de la filière pour améliorer l’efficacité des mécanismes de recyclage et récupérer des matériaux de haute qualité tout en réduisant les déchets, et ce à un coût viable. Les nouvelles réglementations européennes relatives à la fin de vie des véhicules devraient y contribuer.
Quelles évolutions voyez-vous dans l’usage des véhicules ?
Le premier défi est de maximiser l’utilisation des véhicules en favorisant l’autopartage et le covoiturage à travers des applications digitales de mise en relation mais également la création de lignes de covoiturage. Cette approche permet de réduire la quantité de véhicules à produire.
Le second défi est d’adapter autant que possible les caractéristiques des véhicules – notamment le poids et les dimensions – aux différents besoins. En effet, toute augmentation de poids accroît l’énergie nécessaire à la production et à l’usage d’un véhicule. Ainsi, l’empreinte carbone d’un SUV électrique de taille moyenne, fabriqué en Europe, est d’environ 20 tonnes, production et usage compris. En comparaison, un mini-véhicule électrique émet quatre fois moins de carbone.
Ces enjeux nous incitent à repenser la façon dont nous utilisons et concevons les véhicules. En privilégiant l’innovation dans les services et la conception, nous pouvons optimiser l’utilisation des véhicules tout en réduisant leur empreinte environnementale.
Les constructeurs automobiles se trouvent contraints de se réinventer pour faire face à ces nouvelles problématiques. À votre avis, quel positionnement devront-ils adopter ?
Cette transition reste sans précédent dans l’histoire de l’industrie automobile. Les constructeurs ne pourront la conduire seuls, mais collectivement, ils ont la capacité de façonner la transformation complète de l’écosystème nécessaire à cette nouvelle révolution de la mobilité. Pour y parvenir, il faut inventer de nouveaux modes de collaboration : établir d’une part des partenariats horizontaux, c’est-à-dire entre constructeurs, pour définir des standards communs, notamment en matière de calcul de l’empreinte carbone des composants ; forger d’autre part des partenariats verticaux sur l’ensemble des chaînes d’approvisionnement, avec les équipementiers mais aussi les fournisseurs de matériaux tels que l’acier, l’aluminium, le verre ou les polymères.
L’impact de cette transformation ira au-delà de la seule industrie automobile. Par l’importance de ses commandes, le secteur automobile est un prescripteur clé pour de nombreuses industries comme la chimie et la métallurgie. Les nouveaux standards définis s’imposeront donc progressivement aux autres secteurs clients de ces mêmes industries comme l’aéronautique, augmentant encore l’ampleur des réductions d’émissions.