La digue de sable
Il est devenu rarissime qu’un livre de 500 pages m’intéresse au point que j’en achève la lecture en deux jours, pratiquement d’une seule traite. C’est ce qui m’est arrivé avec La digue de sable (le lecteur découvrira au chapitre XIII le sens de ce titre).
En effet, une fois plongé dans le récit, on ne le quitte plus. Certes, au début, on se perd un peu parmi les nombreux personnages qui entrent en scène à toute vitesse. Car l’auteur, avec ses phrases courtes et son sens du trait, voire de la truculence ne s’attarde guère. Puis les dates, les relations entre les uns et les autres se précisent. Le dessein de l’auteur aussi, qui est de décrire une période cruciale pour la France (1929- 1941), à travers la perception qu’en ont deux frères, Daniel et Joël, d’abord jeunes garçons, puis adolescents.
Je ne sais ce qu’il faut le plus admirer : chez le biographe, le tableau de deux familles, d’une précision étayée par des recoupements minutieux, ou chez le romancier (car la fiction n’est pas absente) l’imagination et l’art de mixer l’inventé avec l’historique.
Daniel et son frère Joël – en qui j’ai cru reconnaître l’auteur – sont nés d’un père juif et d’une mère protestante, appartenant à deux familles de bourgeois cossus, aux relations prestigieuses (les pages sur Darius Milhaud et sur Bergson sont particulièrement savoureuses). Elles partagent avec ma propre famille, pourtant toute différente, les mêmes valeurs essentielles : primauté des études, respect des règles, intérêt pour la politique, attachement à l’idéal républicain. Et nous nous ressemblons, Joël et moi, par l’âge, les goûts littéraires et artistiques, les études faites à Paris sous l’Occupation, et surtout la marque ineffaçable de la défaite de 1940.
Voilà pourquoi La digue de sable m’a passionné. Et je salue aussi chez l’auteur la vivacité du récit, l’aisance du style, la pertinence des réflexions, l’alternance de l’humour et de l’émotion sincère.
Ce livre doit être lu par ceux de notre génération, pour le souvenir, et par ceux des générations suivantes, à qui il montrera “ en direct ” comment on va vers l’abîme sans trop s’en apercevoir.