La fermentation : une réponse aux défis alimentaires d’hier d’aujourd’hui et de demain
La fermentation, procédé antique de conservation des aliments dont les mystères ont été levés par Pasteur à la fin du XIXe siècle, recèle des potentialités immenses quoique méconnues. Voici quelques pistes d’exploitation de cette technique ancienne mais d’avenir, présentées par un des acteurs de pointe dans ce domaine.
Neuf milliards d’habitants en 2050, c’est demain. L’humanité, c’est-à-dire chacun d’entre nous, va faire face à un défi inédit dans l’histoire : comment réussir à nous nourrir, tous, le plus sainement possible, pour préserver notre santé et notre qualité de vie, alors que les ressources pour produire notre alimentation se feront plus rares ou de moins bonne qualité, polluées ou appauvries ? En parallèle, les attentes des consommateurs évoluent. Ils sont plus exigeants et mieux informés. Ils cherchent une alimentation durable et saine, obtenue à travers une production raisonnée dont l’impact sur notre environnement est moindre.
L’industrie agroalimentaire doit donc s’adapter, voire se réinventer. En premier lieu grâce à la recherche et l’innovation. S’adapter, c’est aussi évoluer avec son écosystème, en particulier en ce qui concerne les relations avec ses parties prenantes comme le monde de l’agriculture à l’origine de l’approvisionnement en matières premières. Repenser l’alimentation de demain passe aussi par l’accompagnement des filières agricoles et leur transformation. Le défi de la pérennité de l’industrie se mesure à l’aune de ceux auxquels elle doit faire face, en particulier celui de la durabilité environnementale : réduire l’empreinte environnementale de l’industrie en adoptant des pratiques industrielles durables, décarbonées, faisant la part belle aux énergies vertes.
Qu’est-ce que la fermentation ?
Les enjeux environnementaux, sociaux et économiques nous encouragent à repenser le modèle et à agir vite pour soutenir notre souveraineté alimentaire. Ils nous poussent à explorer d’autres voies, et parfois celles qui sont ancestrales. La fermentation en fait partie. Elle est un processus millénaire, accessible et disponible, naturel et respectueux de l’environnement.
“La fermentation est un processus accessible et disponible, naturel et respectueux de l’environnement.”
Depuis toujours, la fermentation joue un rôle essentiel dans la transformation de substrats très divers pour produire des aliments savoureux (pain, bière, vin, yaourt, fromage, chocolat, saucisson, sauce soja…). Cette technique consiste à utiliser des micro-organismes pour dégrader via l’action de leurs enzymes les sucres présents dans les fruits, les légumes, les céréales, les légumineuses… Ce processus naturel permet notamment de créer une gamme infinie de saveurs et de textures, tout en prolongeant la durée de conservation des aliments.
Des Égyptiens à Louis Pasteur
La fermentation a été historiquement utilisée comme moyen de conservation des aliments, déjà par les Égyptiens. Elle permettait de stocker les aliments pendant de longues périodes, réduisant ainsi les pertes alimentaires. Le chou fermenté, le kimchi coréen ou les cornichons sont des exemples de légumes fermentés qui étaient autrefois préparés pour être consommés hors saison.
Si elle est aussi vieille que le monde, la fermentation a pour autant une date de naissance officielle. C’est Louis Pasteur, à la fin du XIXe siècle, qui comprend que ce sont des micro-organismes vivants qui transforment les matières premières. Alors chimiste et microbiologiste français reconnu pour ses recherches sur la vaccination, ses travaux l’ont conduit à des découvertes majeures sur les causes et la prévention de certaines maladies, ainsi que sur la fermentation et la théorie des germes. Grâce à lui, nous savons désormais que « la fermentation, c’est la vie sans air ».
La culture des ferments
Mais, sans les micro-organismes, la fermentation n’existe pas. Ils peuvent être des levures, des bactéries et des champignons filamenteux. Ils sont des organismes vivants qui, invisibles à l’œil nu, ne peuvent être observés qu’à l’aide d’un microscope. Et ils sont nombreux. Ils se comptent en octillion (milliards de trillions de trillions) à la surface et dans les profondeurs de la terre !
Au fil des siècles, l’Homme s’est attaché à comprendre la biodiversité des ferments et à domestiquer les souches les plus performantes. C’est ainsi qu’en 1872 la première usine française de production de levure de panification voit le jour grâce au baron autrichien Maximilian von Springer. Les boulangers disposeront dès lors d’une levure naturelle plus active et constante. La fermentation industrielle fait ainsi référence à la culture d’un organisme microbien afin de le produire en grande quantité (levure de boulangerie, bactéries lactiques pour les yaourts, moisissures pour les fromages…) ou afin d’en obtenir des ingrédients spécifiques, dérivés du processus de fermentation comme les extraits de levure, les arômes, les enzymes…
La fermentation offre de multiples possibilités
À mesure que les connaissances se précisent dans ce domaine et que des entreprises pionnières investissent dans ce domaine, la fermentation naturelle montre sa capacité à évincer, petit à petit, des ingrédients synthétisés à partir de précurseurs fossiles issus de la pétrochimie, comme l’éthylvanilline. La vanille, arôme star de l’agro-alimentaire, bénéficie aujourd’hui des pouvoirs de fermentation d’une bactérie. La société française Ennolys produit en effet une vanilline naturelle par bioconversion de l’acide férulique présent dans les sons de certaines céréales (riz, maïs). Cette vanilline naturelle, étiquetée arôme naturel, a également permis de développer des solutions capables d’abaisser la teneur en sucres des biscuits, des chocolats et autres gourmandises.
« La fermentation s’affiche aussi comme un procédé pertinent pour produire des protéines alternatives de qualité à partir de substrats variés. »
Les industriels de l’agroalimentaire le savent bien : le vecteur principal du plaisir alimentaire est le goût. Ils doivent faire face à de nombreux défis pour offrir des aliments plus équilibrés, dépourvus ou allégés de certains ingrédients comme le sel, le sucre et les matières grasses. L’un des leviers phares sont les extraits de levure, véritable ingrédient culinaire naturel, 100 % végan à l’étiquetage clean label. Cette solution, dérivée de la fermentation de la levure, permet d’intensifier le profil gustatif des aliments, mais peut aussi apporter des notes spécifiques carnés, végétales ou encore fromagères. Les équipes de Biospringer ont montré comment les extraits de levure pouvaient être un outil performant dans la conception de recettes à teneur réduite en matières grasses, en sel ou en sucre.
La fermentation s’affiche aussi comme un procédé pertinent pour produire des protéines alternatives de qualité à partir de substrats variés. La protéine issue de la levure développée par Lesaffre répond à un double enjeu de santé et d’environnement : réduire l’impact environnemental de notre alimentation, tout en diminuant notre consommation de viandes et de produits carnés transformés. La diversification des sources alimentaires de protéines permettra ainsi d’aller vers une alimentation plus végétalisée.
Les pains
Les produits fermentés ont le vent en poupe, tout particulièrement les pains avec leur diversité (plus d’une centaine…) et les produits fermentés végétaux. Le pain se trouve à la base de la pyramide alimentaire dans de très nombreux pays, ce qui en fait un aliment clé, qui peut contribuer à une alimentation saine et durable pour des millions d’êtres humains. La richesse de la palette des pains s’explique aussi par la biodiversité des ferments.
Dans les levains, levures et bactéries lactiques constituent le microbiote panaire, essentiel à la fermentation. Une revue systématique des bénéfices nutritionnels de la fermentation panaire sur le levain permet d’asseoir ses atouts dans le domaine de la santé : dans certaines conditions de fermentation et de recettes, l’acidification provoquée par les bactéries lactiques du levain participe à la libération des minéraux (Fe, Mg, Zn, Ca) naturellement présents dans les farines complètes, augmentant ainsi leur biodisponibilité.
Par ailleurs, la réponse glycémique et la perception de la satiété seraient également positivement impactées et la teneur en gluten réduite dans certains types de pain au levain. Parce qu’il est consommé quotidiennement, le pain est aussi une excellente matrice pour véhiculer des nutriments et des bénéfices santé aux consommateurs.
Demain les produits de panification fermentés pourraient intéresser les acteurs de la nutrition personnalisée, un domaine récent en pleine croissance, qui permettra de répondre aux besoins de nutrition adaptés à chaque métabolisme ou à chaque moment de la vie (femmes enceintes, personnes âgées, sportifs…).
La start-up Lesaffre
Nous ne sommes qu’au début de la découverte des bienfaits des micro-organismes. À plusieurs titres Lesaffre, comme l’ensemble des acteurs de la filière, est une start-up de la connaissance dans ce domaine, malgré une maîtrise quasi unique de ses activités. Aujourd’hui, la fermentation fait l’objet d’un regain d’intérêt et d’une demande croissante et, en tant qu’acteur de référence dans ce domaine, Lesaffre se positionne en moteur pour développer cette technologie.
Les produits lactofermentés
Au même titre que les pains, les produits végétaux lactofermentés (choucroute, pickles, pâte de miso, douchi, kombucha…) offrent une large palette d’expériences gustatives et séduisent les consommateurs en quête de naturalité, mais aussi de bienfaits santé.
En effet, la fermentation peut renforcer la qualité nutritionnelle des aliments, par exemple avec une amélioration de leur digestibilité (cas des légumineuses), une meilleure disponibilité des nutriments ou par leur apport en bactéries probiotiques (produits fermentés non cuits ou pasteurisés) qui favorise une flore intestinale saine et équilibrée. De nombreux travaux sont en cours pour comprendre comment les procédés de fermentation conditionnent les micro-organismes dans la transformation des substrats et comment ils interagissent, ainsi que leurs métabolites produits, avec le microbiote intestinal.
Dans une optique de production à grande échelle d’aliments fermentés, l’utilisation de cultures starter (souches pures de micro-organismes) pour inoculer le substrat permet de contrôler et de prévoir la nature autrement aléatoire de la fermentation afin d’améliorer la sécurité alimentaire et la normalisation. D’une manière générale, la combinaison de substrats non conventionnels et de souches microbiennes pourrait donner naissance à de nouveaux aliments fermentés au contenu nutritionnel et aux propriétés organoleptiques améliorés.
Les technologies se perfectionnent, pour mieux innover
Les avancées scientifiques et technologiques ouvrent de nouvelles perspectives dans le domaine de la fermentation alimentaire au service des transitions alimentaires.
Véritables usines cellulaires, les levures et les bactéries grâce aux progrès du génie biologique ont ainsi une carte à jouer pour mettre à disposition de l’industrie agro-alimentaire de nouveaux ingrédients aux fonctionnalités ciblées et optimisées. Déjà utilisée pour produire notamment la chymosine, enzyme utilisée pour faire cailler le lait, la fermentation de précision suscite de grands espoirs et va plus loin que la fermentation traditionnelle.
Elle consiste en effet à faire produire des ingrédients fonctionnels bien spécifiques, grâce à l’intervention de micro-organismes soigneusement choisis. Enzymes, arômes, protéines, vitamines, colorants naturels alimentaires et bien d’autres métabolites : ces ingrédients peuvent être utilisés pour les caractéristiques fonctionnelles et sensorielles des aliments dans lesquels ils sont intégrés.
Ce mode de fermentation ne laisse pas de place au hasard et requiert un niveau d’expertise important. En s’appuyant notamment sur les progrès réalisés dans l’édition génétique, la fermentation de précision permet de reproduire à la perfection des molécules présentes dans la nature.
L’importance de la recherche
La fermentation constitue une alternative durable aux systèmes actuellement exploités. Grâce à elle, on obtient des produits sur l’ensemble d’une chaîne de valeur. Par exemple, Lesaffre qui produit notamment de la levure de panification a mis en place un cycle vertueux de la levure avec la valorisation de ses produits dérivés de ses process industriels. Ces produits dérivés sont valorisés en fertilisants organiques pour les cultures agricoles, mais aussi en nutrition animale en substitut d’une partie des tourteaux de soja importé destinés aux ruminants (Vitaprotal riche en apport protéique).
Ainsi la fermentation peut devenir une solution intéressante pour la production alimentaire durable. Les industriels de l’agroalimentaire convaincus du potentiel infini de la fermentation s’attellent à une meilleure compréhension des micro-organismes, mais aussi des consortia microbiens, impliqués dans les processus de fermentation, de leurs capacités métaboliques et de leurs interactions. À cette fin, la maîtrise des technologies ‑omiques (génomique, métagénomique, protéomique…) et de la bio-informatique associée aux outils intégrés au sein de la biofonderie, comme le criblage à haut débit, permettent d’accélérer l’innovation et augmentent les chances de trouver rapidement des souches d’intérêt pour un besoin défini.
Le soutien à la recherche et à la réindustrialisation
L’alimentation de demain, c’est la recherche d’aujourd’hui. Ainsi, le soutien à la recherche doit découler d’une politique volontariste et ambitieuse de la part des autorités avec qui nous travaillons quotidiennement. Le soutien du gouvernement est également essentiel pour renforcer les filières scientifiques. Il est nécessaire de développer des programmes scolaires solides et structurés, qui offrent une formation approfondie en mathématiques, physique et biologie dès le niveau du baccalauréat. De plus, une politique volontariste est indispensable pour orienter les étudiants vers l’industrie agroalimentaire.
“L’alimentation de demain, c’est la recherche d’aujourd’hui.”
Autre clé du succès : la réindustrialisation de la France. Pour l’industrie de la fermentation, la filière sucrière joue un rôle majeur en raison de la disponibilité et de la diversité des sucres qu’elle fournit. Les sucres, tels que le glucose, le fructose et le saccharose, sont des substrats essentiels pour la fermentation, car ils servent de source d’énergie pour les micro-organismes. La canne à sucre et la betterave sucrière sont les principales sources de sucre utilisées dans l’industrie de la fermentation mondiale. Elles sont la matière première essentielle de l’industrie de la fermentation. La souveraineté de l’industrie de la fermentation passera donc aussi par la souveraineté de l’économie sucrière fléchée vers l’industrie de la fermentation.