La fièvre de l’or noir renaît à Houston
Houston se réveille en ce lundi matin d’été. La luminosité est déjà éblouissante, la chaleur accablante. Au volant de ma voiture, je me laisse rafraîchir par le souffle puissant de la climatisation. Avant de quitter la maison, j’avais fait quelques brasses dans la piscine pour mieux me préparer à affronter la chaleur. Il fait bon vivre au Texas.
Technologies « Offshore »
Ce matin en particulier, les autoroutes sont un peu plus encombrées que d’habitude. Les commentateurs annoncent l’ouverture de la conférence annuelle OTC, Offshore Technology Conference, qui se tient comme chaque année au parc des expositions.
“ L’X n’est même pas fichée dans les bases de données des DRH ”
On y attend plus de 100 000 visiteurs, pressés de voir le gigantisme des tours de forage en grandeur naturelle, les têtes de puits munies de systèmes de sécurité et les robots d’intervention sous-marine, le dernier cri de la technologie pétrolière.
L’annonceur à la radio conseille aux jeunes de s’y rendre munis de leurs CV. Il y aura beaucoup de recruteurs à la recherche d’ingénieurs, de géologues ou de géophysiciens. Le problème de l’emploi est à l’envers, dans le domaine pétrolier.
J’ai moi-même deux offres fermes pour changer d’employeur à 68 ans. Lorsque cet article paraîtra, j’aurai sans doute pris ma retraite de chez Halliburton et commencé une nouvelle carrière dans une grande compagnie pétrolière, ayant même encaissé une prime à l’embauche non négligeable au passage. Je me pince plusieurs fois par jour pour y croire.
Des milliards de dollars investis
L’X, CETTE INCONNUE
L’engouement des chasseurs de têtes à mon égard provient de ma connaissance de la « pétrophysique ». Il s’agit de la science des roches, notamment des nappes pétrolières, inventée en grande partie par des polytechniciens au siècle dernier : Poupon, Dumanoir, Simandoux et Schlumberger. Les compagnies locales sont prêtes à me pardonner mon absence de diplôme américain. Elles veulent bien oublier que je sors d’une obscure école d’ingénieurs française dont ils ont rarement entendu parler. Une école qui n’est même pas fichée dans les bases de données de leurs ressources humaines.
Heureusement j’ai un diplôme complémentaire de l’Institut français des pétroles et une maîtrise de l’université de Louisiane. Cela me donne un peu de légitimité.
L’explication du boum économique de Houston est simple : depuis plus de trois ans, le prix du baril de pétrole avoisine ou dépasse les 100 dollars. Ce phénomène à l’échelle mondiale incite les « majors » comme ExxonMobil, Chevron, BP et Total à engager des investissements de long terme dans l’exploration pétrolière et le développement des champs d’huile et de gaz naturel.
Les budgets de chaque compagnie s’élèvent à plusieurs dizaines de milliards de dollars sur plusieurs années. Les grandes compagnies pétrolières ont donc besoin d’embaucher directement des spécialistes créant également un marché secondaire du service pétrolier dans le forage, la sismique ou la pose de pipelines sous-marins : Schlumberger, le numéro 1 mondial des services pétroliers, Halliburton, Baker Hughes, CGG, Technip pour n’en citer que quelques-unes.
La fin d’un long déclin
La ville de Houston, comme presque tout le Texas, vit au rythme du prix du baril. La quatrième ville des États-Unis après New York, Los Angeles et Chicago a un taux de croissance impressionnant.
“ Houston est connu mondialement pour la technologie offshore ”
Et pourtant, il y a à peine trente ans, en 1984, la ville a connu un triste déclin qui s’est prolongé jusqu’au début des années 2000. Le taux de chômage y battait des records. À cause de la récession mondiale des années 1980, la production mondiale créait un excédent de plusieurs milliers de barils par jour. Nombreux sont ceux qui, après avoir perdu leur emploi, ont dû quitter leur logement pour des cieux plus cléments dans d’autres États.
Les géologues se reconvertissaient chez Starbucks ou bien s’adonnaient à la menuiserie. Aujourd’hui tout a changé. Si vous avez tant soit peu de métier dans la géophysique, la géologie ou l’ingénierie pétrolière, les chasseurs de têtes vous poursuivront assidûment.
La « skyline » de Houston. © ISTOCK
VINGT ANS DE RECHERCHE
Un célèbre Houstonien d’origine grecque, George Mitchell, géologue issu de la fameuse Texas Agricultural and Mechanical University, a eu l’idée géniale d’extraire le gaz naturel à partir de la roche-mère sans attendre les millions d’années nécessaires pour la migration de ces hydrocarbures de la roche-mère vers les bancs perméables de grès ou de calcaire qui constituent les couches productrices traditionnelles.
Il lui a fallu près de vingt ans de recherche scientifique sur le terrain et une ténacité légendaire pour mettre au point son procédé. Et puis, en 2002, victoire ! La compagnie qu’il avait fondée, Mitchell Energy, s’est vendue à Devon Energy pour 3,5 milliards de dollars.
La frénésie des gaz de schiste venait juste de commencer. Depuis, des chercheurs chez Petrohawk ont remarqué que la même technologie pouvait s’appliquer à l’extraction des huiles légères : Petrohawk a été rachetée récemment par le géant australien BHP pour plus de 12 milliards de dollars.
Et la danse va en s’amplifiant. ExxonMobil a acheté la compagnie XTO pour 46 milliards de dollars, pour le plus grand bonheur des spéculateurs.
Gaz de schiste
Houston est connu mondialement pour la technologie offshore ; mais depuis 2005 une autre source d’activité est venue s’ajouter à sa panoplie. Une activité très controversée en Europe puisqu’il s’agit de l’exploitation des gaz de schiste. Le Texas a bénéficié de ce boom énergétique.
Les Républicains qui gouvernent l’État expliquent évidemment à qui veut l’entendre que la prospérité économique du Texas s’explique par leur doctrine de gestion qui laisse les rênes sur le cou aux entreprises.
Forte présence française
HOUSTON, WE HAVE A PROBLEM
En dehors de l’énergie pétrolière, Houston est fière d’héberger le siège principal de la NASA.
C’est au centre de contrôle du Johnson Space Center, dans la banlieue est de Clear Lake, que fut reçue la première phrase prononcée par un astronaute ayant atterri dans un autre monde. Houston the Eagle has Landed.
C’est aussi de Houston que fut guidé Apollo 13 après le fameux appel au secours : Houston we have a problem.
Les Français de Houston ont vu leurs rangs grossir. Ce sont surtout des ingénieurs, mais aussi des banquiers, des restaurateurs et des spécialistes de la mode. Ils sont en général bien rémunérés. On les retrouve souvent dans le quartier chic de Wilcrest dans l’ouest de la ville, ou même dans le quartier hyperhuppé de River Oaks près du consulat et près de l’école bilingue Awty.
Quelques rares restaurants du terroir offrent de la bonne cuisine française, mais les Texans ont un goût plutôt porté sur le barbecue traditionnel, ou sur la cuisine mexicaine bon marché arrosée de margaritas, une boisson à base d’alcool de cactus, qui se prête mieux au climat que le bordeaux millésimé.
Un état plus grand que la France
Le Texas a une superficie à peine plus grande que la France, mais les grandes villes sont concentrées dans l’est où les ressources en eau sont plus favorables. La ville de Houston a une superficie plus grande que mon Liban natal. Elle est constituée d’un ensemble de banlieues formant chacune une petite ville indépendante.
Une de ces villes fut justement fondée au nord de la ville par le fameux George Mitchell : la ville de Woodlands, conçue pour attirer la classe moyenne supérieure, accueille maintenant les sièges de certaines grandes sociétés telles que ExxonMobil.
Grand rodéo de Houston.
Austin en pleine croissance
Les autres villes du Texas ont chacune un cachet individuel, une personnalité qui leur est propre. Celle que j’aime le plus, et de très loin, est la capitale, Austin. C’est la ville qui a le taux de croissance le plus élevé des États-Unis sans que l’on sache exactement pourquoi.
“ Les États-Unis ont un excédent de méthane qu’ils cherchent à exporter ”
Personnellement, je pense qu’elle exerce une forte attraction auprès des intellectuels en raison de sa diversité. La musique country y résonne dans toutes les rues ; les lacs artificiels qui datent de Lyndon Johnson sont bordés de guinguettes où la margarita coule à flots ; sans oublier l’université du Texas, avec un nombre impressionnant de prix Nobel, des politiciens souvent véreux, des centres high-tech de toutes les compagnies connues y compris Dell, Apple, 3M, Motorola, IBM, et surtout une flopée d’entrepreneurs qui n’hésitent pas à innover.
J’avais moi-même acheté un des premiers ordinateurs Dell du camarade de chambrée de Michael Dell, alors qu’il était encore étudiant à l’université du Texas.
Un autre ami que j’avais rencontré dans les années 1980 aux réunions de parents d’élèves a fondé la société National Instrument qui fut ensuite cotée en Bourse à Wall Street. Il avait démarré son affaire entre son salon et son garage.
Contrairement aux autres villes du Texas, Austin n’a pas d’activité liée à la recherche pétrolière, si ce n’est la collecte des impôts à la production.
SOINS DENTAIRES CONTRE CONSEILS
Mon premier contact avec l’esprit d’entreprise et d’innovation du Texas a été mémorable, sinon comique. À la suite de la chute du Shah, il y avait une pénurie du pétrole aux États-Unis. C’était le boum des pétroliers du début des années 1980. Un chasseur de têtes était venu me dénicher à Paris, ou plus exactement dans la vallée de Chevreuse. Ma famille et moi nous sommes retrouvés à Austin en 1981.
Alors que je me rendais au centre-ville, je vis un monsieur, des dossiers sous le bras, haranguer les passants. Me voyant un peu perdu, il me fait signe : « Veux-tu acheter une part dans un puits de pétrole ? » Je lui demandai de me montrer ses dossiers. Un petit coup d’œil me convainquit que le puits en question pouvait produire une bonne eau salée mais pas une goutte de pétrole ni un soupçon de gaz. Je lui fis part de mes doutes : il ramassa aussitôt ses dossiers et sans perdre une seconde entreprit d’aborder un autre pigeon qui passait par là : Sir, do you want to buy a share in an excellent oil well ?
Quelques semaines après, je découvris que beaucoup de personnes investissaient dans les puits de pétrole. Mon dentiste avait quelques puits du côté d’Abilene. Lorsqu’il apprit que je m’y connaissais un peu sur l’ingénierie des puits, il m’offrit de troquer ses soins dentaires, d’ailleurs très médiocres, contre mes conseils en amélioration de la production.
Atmosphère de western
À l’ouest du Texas, les villes de Midland et d’Odessa semblent sortir tout droit d’un album de Lucky Luke. Le prix élevé du baril et la nouvelle technologie de fracturation des schistes ont encouragé la reprise récente de l’activité pétrolière à grande échelle.
Austin. © ISTOCK
Les chambres d’hôtel sont prises d’assaut. Les bars sont bondés et la police a du mal à contrôler tous ces prospecteurs venus faire fortune, et, noblesse oblige, armés jusqu’aux dents car la constitution de l’État du Texas le permet et même l’encourage.
La musique country, la bière abondante, les chapeaux de cow-boys et les fameuses bottes texanes créent une atmosphère de western.
Le résultat de toute cette activité se fait ressentir dans un bien-être économique certain. Au lieu de la pénurie de gaz naturel des années 2007, les États-Unis ont maintenant un excédent de méthane qu’ils cherchent à exporter. Ils espèrent atteindre leur indépendance énergétique dans moins d’une décennie et commencer à exporter le pétrole peu après.
Le gaz qui fuit du robinet d’eau et prend feu est juste bon pour la mise en scène de Gas Land, le fameux film de Josh Cox : au Texas, on n’y croit pas.
La raison de ce scepticisme est plutôt cynique. Mon ami Billy l’explique tout simplement : « Imagine un seul instant qu’un puits de pétrole ou de gaz naturel en fracking cause du tort à quelqu’un : il lui suffirait alors d’appeler l’un des milliers de trials lawyers, ces avocats rapaces poursuivant en justice n’importe quelle compagnie, pourvu qu’elle soit riche.
Un jugement en faveur de la victime se traduirait par un enrichissement certain et immédiat pour ledit avocat pour le plus grand malheur du producteur pétrolier.
“ Pour aimer Houston il faut y vivre ”
Or, jusqu’à présent, cette activité de gaz de schiste continue. » Billy en conclut qu’il n’y a sans doute pas eu de victimes crédibles du fracking, et cela malgré une activité à très grande échelle.
Pour aimer Houston il faut y vivre. Ce n’est vraiment pas une ville pour les touristes. C’est plutôt une ville où il fait bon travailler, et s’amuser. L’immobilier y est très bon marché, la population très diversifiée et très tolérante, et le moral presque toujours au beau fixe.
Plateforme offshore au large de Houston. © REUTERS