Biodiversité et finance

La finance au service de la biodiversité et de la transition écologique

Dossier : BiodiversitéMagazine N°786 Juin 2023
Par Sylvie GOULARD

La tran­si­tion cli­ma­tique et la défense de la bio­di­ver­si­té sont en par­tie liées, le réchauf­fe­ment ayant des effets néga­tifs sur les espèces ani­males et la bio­di­ver­si­té contri­buant à limi­ter le réchauf­fe­ment. Elles ont en tout cas un point com­mun : elles néces­sitent l’une et l’autre un fort inves­tis­se­ment finan­cier. Et en retour la ques­tion éco­lo­gique a son effet sur le monde de la finance. Ce monde finan­cier, pri­vé et public, en a pris conscience.

Face au chan­ge­ment cli­ma­tique et à la des­truc­tion de la nature, quelle place nos socié­tés accordent-elles à la science ? Pre­nons-nous au sérieux les aver­tis­se­ments, de plus en plus alar­mants, du Grou­pe­ment inter­gouvernemental sur l’évolution du cli­mat (GIEC) ou de la Pla­te­forme équi­va­lente pour la nature (IPBES) ? S’agissant de phé­no­mènes sans pré­cé­dent, appe­lant des solu­tions mon­diales, cha­cun peut vite se sen­tir dépassé.

Sans doute avons-nous sous-esti­mé cer­tains aspects psy­cho­lo­giques : confron­tés à une mau­vaise nou­velle, les êtres humains pré­fèrent tuer le mes­sa­ger plu­tôt que de l’écouter, avait déjà noté Sophocle. Et Goethe voyait la marque du diable dans « l’esprit de néga­tion ». L’inaction n’est tou­te­fois pas conce­vable. La menace est sérieuse. Alors que faire ? La pre­mière piste consiste à sai­sir l’ampleur des phé­no­mènes. La seconde est de don­ner toute sa place à la finance parce que l’analyse des risques finan­ciers peut gran­de­ment aider et que, sans finan­ce­ment, la tran­si­tion ne peut abou­tir. Enfin, le temps des échanges infor­mels et des pro­messes sans éva­lua­tion ni contrôle devrait être révolu.

Complexité et humilité

Les tra­vaux du GIEC ne laissent aucun doute sur la gra­vi­té du chan­ge­ment cli­ma­tique, ni sur son accé­lé­ra­tion. L’impact de la guerre en Ukraine, le recours per­sis­tant au char­bon ou le rejet viru­lent, par cer­tains États amé­ri­cains, des règles ESG (envi­ron­ne­men­tal, social et gou­ver­nance) rap­pellent que la bataille du cli­mat n’est pas gagnée. Pour la bio­di­ver­si­té, la prise de conscience est lente, en dépit de constats scien­ti­fiques tout aus­si acca­blants. Son éro­sion est d’autant plus pré­oc­cu­pante que, au-delà des beau­tés qu’elle nous offre, la nature four­nit des « ser­vices éco­sys­té­miques » qui vont de l’approvisionnement (en nour­ri­ture, en eau, en bois) à la régu­la­tion des températures. 

Nous devons sai­sir que « nous fai­sons par­tie de la nature », comme a écrit le pro­fes­seur Das­gup­ta en 2021 et sommes « endet­tés » auprès d’elle, selon la Banque cen­trale des Pays-Bas. Mar­tin Wolf, éco­no­miste bri­tan­nique des plus sérieux, a même qua­li­fié l’être humain de « cou­cou ins­tal­lé dans le nid pla­né­taire ». Pour cer­tains scien­ti­fiques, nous sommes entrés dans une nou­velle ère, l’Anthropocène, mar­quée par l’emprise de l’homme et frô­lons les neuf limites pla­né­taires vitales (Rocks­tröm). Le modèle de déve­lop­pe­ment où l’homme puise sans ver­gogne dans la nature est condam­né. Nous devons réin­ven­ter un nou­veau rap­port avec elle, plus humble, moins pré­da­teur, en tenant compte du capi­tal natu­rel qui, aux côtés du capi­tal et du tra­vail, est indis­pen­sable à la pro­duc­tion de biens et services. 

Climat et nature

L’évolution du cli­mat et celle de la nature ne peuvent pas être abor­dées de la même manière. Pour le cli­mat, une métrique unique existe, la tonne de CO2, quel que soit le lieu d’émission. Pour la nature, les atteintes sont en géné­ral plus loca­li­sées, moins faci­le­ment mesu­rables de manière homo­gène. Une étude, Un « prin­temps silen­cieux » pour le sys­tème finan­cier ? Vers une esti­ma­tion des risques finan­ciers liés à la bio­di­ver­si­té en France, publiée à la Banque de France en août 2021, a ain­si cal­cu­lé la dépen­dance du sys­tème finan­cier fran­çais à dif­fé­rents ser­vices éco­sys­té­miques ain­si que ses impacts sur la biodiversité. 

Les outils juri­diques à dis­po­si­tion sont aus­si dif­fé­rents. Alors que nulle part l’émission de CO2 n’est pro­hi­bée, de nom­breuses règles pro­tègent des espèces ou des espaces pour leur richesse ou parce que des popu­la­tions autoch­tones y vivent. S’il est réduc­teur de vou­loir don­ner un prix à la nature, il est cer­tain que sa des­truc­tion a un coût, pro­hi­bi­tif. Les scien­ti­fiques éta­blissent néan­moins un lien entre le chan­ge­ment cli­ma­tique et la bio­di­ver­si­té : il n’est pas pos­sible de pré­ser­ver l’un sans l’autre, et encore moins de pro­cé­der de manière séquen­cée. La nature n’attendra pas que des bureau­crates aient bien vou­lu finir de tra­vailler sur le climat.

Ne pas tarder

Par­tout dans le monde, les êtres humains ont du mal à chan­ger leurs habi­tudes. Des inté­rêts puis­sants s’opposent au chan­ge­ment, les alter­na­tives abor­dables font encore défaut. Trop sou­vent, la poli­tique est oppo­sée à l’expertise, inci­tant en géné­ral à lâcher du lest, à com­prendre les réti­cences. Pour­tant, en vou­lant gagner du temps, nous aggra­vons le pro­blème. Un enjeu vital, urgent, ne peut pas être réglé par des chan­ge­ments à la marge, vu l’existence de points de non-retour, au-delà des­quels les dégâts sont irré­ver­sibles. À l’urgence, cer­tains opposent le manque d’outils éprou­vés, de métho­do­lo­gies sûres, de don­nées fiables.

“Les solutions ne peuvent venir que d’un partenariat mondial respectueux de toutes ses composantes.”

Outre que les don­nées abondent en réa­li­té déjà, la recherche de la per­fec­tion n’est plus envi­sa­geable. L’humilité com­mande d’agir sans tout savoir, quitte à tâton­ner, cor­ri­ger, amé­lio­rer. La frac­ture Nord-Sud ne sim­pli­fie pas les choses non plus : les pays du Sud aspirent légi­ti­me­ment à amé­lio­rer leur niveau de vie. Par­fois ils voient les Occi­den­taux comme des pilleurs ayant pro­duit l’essentiel du stock de CO2 et des dégâts mas­sifs, sou­dain sai­sis de remords tar­difs. Les solu­tions ne peuvent venir que d’un par­te­na­riat mon­dial res­pec­tueux de toutes ses com­po­santes : pays émer­gents et en déve­lop­pe­ment, peuples indi­gènes ont un rôle majeur à jouer.


Lire aus­si : La pro­tec­tion de la bio­di­ver­si­té à l’épreuve de la société


La finance comme levier

La finance – qui irrigue l’économie – peut contri­buer au chan­ge­ment. Les méthodes d’analyse dont les finan­ciers sont cou­tu­miers aident à mieux cer­ner les risques liés au cli­mat et à la bio­di­ver­si­té. Il est désor­mais bien éta­bli qu’ils sont de trois ordres.

Les risques physiques

Cer­tains sont liés aux évé­ne­ments cli­ma­tiques (inon­da­tions, cyclones, séche­resses, incen­dies, etc., se mul­ti­plient, du Pakis­tan à l’Europe, la Cali­for­nie, l’Australie), d’autres à des atteintes à la nature (par exemple la raré­fac­tion des pol­li­ni­sa­teurs peut réduire la pro­duc­tion de fruits ; la des­truc­tion de l’habitat des chauves-sou­ris favo­rise aus­si les pan­dé­mies). En se maté­ria­li­sant, ces risques entraî­ne­ront des pertes qui devraient ouvrir les yeux des moins férus d’écologie : baisse des ren­de­ments agri­coles, perte de valeur immo­bi­lière des zones lit­to­rales mena­cées par les eaux, incen­dies ou intem­pé­ries empê­chant la pro­duc­tion indus­trielle et le com­merce, inca­pa­ci­té à assu­rer les dom­mages, déser­ti­fi­ca­tion avec des consé­quences poli­tiques et migratoires.

Les risques de transition

Ces risques accom­pagnent la trans­for­ma­tion ; les inves­tis­seurs qui, par le pas­sé, ont mis leurs fonds dans les moteurs à com­bus­tion ou des sec­teurs d’extraction pol­luants, per­dront du capi­tal. Dans l’analyse des risques, qu’ils soient phy­siques ou de tran­si­tion, il est tout par­ti­cu­liè­re­ment impor­tant de prendre en compte les inter­ac­tions cli­mat-bio­di­ver­si­té ; si, par exemple, l’industrie minière pour la pro­duc­tion de lithium, des­ti­né aux bat­te­ries, détruit des zones natu­relles, l’avantage d’utiliser des voi­tures élec­triques sera moindre, en rai­son des atteintes à la biodiversité.

Les risques réputationnels et juridictionnels

Enfin existent aus­si, pour les entre­prises, ces risques (perte d’image et donc de clients, dif­fi­cul­té à recru­ter des sala­riés, notam­ment dans les jeunes géné­ra­tions) : des entre­prises mais aus­si des États et des banques cen­trales peuvent être l’objet de recours, pour inac­tion ou pour action en dehors de leurs man­dats. La ques­tion de savoir si la maté­ria­li­té des enjeux cli­ma­tiques (ou liés à la nature) doit être prise en compte par les inves­tis­seurs, s’ils doivent regar­der aus­si l’impact de la pro­duc­tion sur l’environ­nement, est âpre­ment débat­tue, les Euro­péens prô­nant une vision de « double maté­ria­li­té » quand les Amé­ri­cains y répugnent.

Le rôle des banques centrales

Les banques cen­trales se sont inté­res­sées au cli­mat au nom de leurs res­pon­sa­bi­li­tés pour la sta­bi­li­té des prix et du sys­tème finan­cier dans son ensemble. La tran­si­tion modi­fie les prix de l’énergie, tout comme les aléas natu­rels peuvent rendre plus chère la nour­ri­ture. Dans un ouvrage de 2020, le risque cli­ma­tique a été qua­li­fié de poten­tiel green swans, par ana­lo­gie avec les black swans, por­teurs de crises financières. 

Depuis 2017, le Net­work for Gree­ning the Finan­cial Sys­tem, réseau de banques cen­trales qui comp­tait huit membres au départ, s’est élar­gi à une cen­taine de pays volon­taires. Après avoir clai­re­ment éta­bli que les risques liés au cli­mat engen­draient des risques finan­ciers (2019), le NGFS a conçu des outils de super­vi­sion, encou­ra­gé les stress tests pour les bilans des banques, abor­dé les risques conten­tieux, la poli­tique moné­taire verte ou la for­ma­tion néces­saire pour affron­ter ces nou­veaux sujets. 

Conçu pour s’occuper à la fois de cli­mat et d’environnement, le NGFS a éga­le­ment com­men­cé, en 2021, à se pen­cher sur les ques­tions de bio­di­ver­si­té, en créant une task force qui devrait pro­po­ser fin 2023 des scé­na­rios de risques liés aux atteintes à la nature. 

L’Europe et les États-Unis

En février 2021, l’Eurosystème a annon­cé le ver­dis­se­ment de ses por­te­feuilles non moné­taires et, en juillet 2021, un plan ambi­tieux de ver­dis­se­ment de la poli­tique moné­taire. La Fede­ral Reserve, qui en décembre 2020, juste après l’élection de Joe Biden, avait rejoint le NGFS et com­men­çait à abor­der les risques finan­ciers liés au cli­mat, semble sai­sie par le doute ; il est vrai que le pays est en proie à un violent débat. La CFTC (Com­mo­di­ty Futures Tra­ding Com­mis­sion), agence en charge des contrats déri­vés, a pour­tant démon­tré, de manière remar­quable, les risques encou­rus par le sys­tème finan­cier amé­ri­cain, en rai­son de la dégra­da­tion du climat.

Un énorme besoin de financement

La tran­si­tion requiert, des banques de déve­lop­pe­ment comme des finan­ciers pri­vés, une aug­men­ta­tion mas­sive des finan­ce­ments, à hau­teur de cen­taines de mil­liards de dol­lars pour chaque région du monde. Infra­struc­tures vertes, éner­gies renou­ve­lables, iso­la­tion des bâti­ments, agri­cul­ture moins inten­sive, refo­res­ta­tion, pro­tec­tion d’aires marines, les chan­tiers à finan­cer sont innombrables. 

Ces ques­tions sont au centre des dis­cus­sions de grou­pe­ments pri­vés comme GFANZ (Glas­gow Finan­cial Alliance for Net Zero) et du réseau de banques de déve­lop­pe­ment ani­mé par l’Agence fran­çaise de déve­lop­pe­ment, la KFW alle­mande (éta­blis­se­ment de cré­dit) et aus­si lors des COP ; à Charm el-Cheikh, le Pré­sident Macron a annon­cé la tenue à Paris, en juin 2023, d’un som­met sur la finance climat-biodiversité. 

La finance ne sau­rait être le seul ins­tru­ment au ser­vice de l’action publique, mais elle peut être com­bi­née à d’autres (inci­ta­tions fis­cales, sanc­tions, etc.). L’objectif n’est pas seule­ment de finan­cer des acti­vi­tés vertes, mais aus­si de por­ter tout un sys­tème éco­no­mique car­bo­né, peu res­pec­tueux de la nature, à la tran­si­tion vers 2050. C’est l’objet des fonds NGEU (Next Gene­ra­tion Euro­pean Union) en Europe, ou aux États-Unis du Infla­tion Reduc­tion Act.

La qualité environnementale de la dette publique

Les réflexions des banques cen­trales et agences de nota­tion com­mencent aus­si à poser la ques­tion de la qua­li­té envi­ron­ne­men­tale des titres de dette émis par les États. Le sujet reste sen­sible, alors même que ce sont les gou­ver­ne­ments qui ont pris des enga­ge­ments lors de l’Accord de Paris, sur le cli­mat ou à la COP 15 sur la bio­di­ver­si­té, pour la nature.

Le sens de l’histoire est clair : ceux qui pensent échap­per à ce type de rating risquent de mal s’y pré­pa­rer. Ils n’empêcheront pas cette évo­lu­tion. De nom­breuses ques­tions métho­do­lo­giques se posent, notam­ment pour la bio­di­ver­si­té : entre ana­lyse sta­tique des dépen­dances et impacts (comme dans l’étude pré­ci­tée) à des approches dyna­miques, du type de celles sui­vies par le NGFS dans ses pro­jets de scénarios.

La question de la qualité des données

Enfin, la qua­li­té des don­nées dis­po­nibles compte. C’est pour­quoi les efforts accom­plis par la Task Force on Cli­mate-rela­ted Finan­cial Dis­clo­sures (TCFD) et l’International Sus­tai­na­bi­li­ty Stan­dards Board (ISSB), pour le cli­mat l’International Finan­cial Repor­ting Stan­dards (IFRS) et, pour la bio­di­ver­si­té, par la Task Force on Nature-rela­ted Finan­cial Dis­clo­sures (TNFD) sont cruciaux.

Ces ini­tia­tives menées lar­ge­ment par le mar­ché, par­fois en col­la­bo­ra­tion avec des ONG (comme le WWF) et des orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales, sont de nature à faci­li­ter la col­lecte de don­nées plus com­pa­rables. En France et en Europe, des légis­la­tions existent sur la publi­ca­tion de don­nées cli­mat et aus­si biodiversité.

Assez de contraintes ? 

La prise de conscience a pro­gres­sé, dans le monde entier, sur les deux sujets cli­mat et nature. En dépit des efforts remar­quables accom­plis par de nom­breux acteurs, publics et pri­vés, les enga­ge­ments sont peu res­pec­tés. Le green-washing brouille la per­cep­tion des pro­grès accom­plis, en abu­sant cer­tains épar­gnants ou consom­ma­teurs. Le risque de labels verts fan­tai­sistes existe bel et bien. 

Dans un monde frag­men­té, en proie à des affron­te­ments, la sou­ve­rai­ne­té natio­nale et les inté­rêts par­ti­cu­liers passent trop sou­vent avant la sur­vie de l’humanité. C’est d’autant plus grave que des cou­rants réac­tion­naires attaquent les poli­tiques cli­ma­tiques. Cer­tains pré­tendent irréa­liste l’approche euro­péenne qui insiste sur les enjeux envi­ron­ne­men­taux. Mais la réa­li­té, c’est une trans­for­ma­tion sans pré­cé­dent de la planète. 

Il est vrai que cer­taines puis­sances émer­gentes n’ont pas pla­cé le cli­mat au pre­mier rang de leurs prio­ri­tés et que ces consi­dé­ra­tions peuvent peser sur la com­pé­ti­ti­vi­té rela­tive des entre­prises euro­péennes. Mais le pay­sage est contras­té, chaque région du monde a ses forces et ses faiblesses. 

Les banques cen­trales de Malai­sie et du Bré­sil, deux pays méga­di­vers (pays dans les­quels la majo­ri­té des espèces végé­tales et ani­males pré­sentes sur Terre sont repré­sen­tées), se sont sérieu­se­ment pen­chées sur les risques liés à la perte de bio­di­ver­si­té par exemple. La Chine inves­tit mas­si­ve­ment dans le renou­ve­lable, tout en uti­li­sant et expor­tant des cen­trales à charbon. 

L’Europe n’est pas non plus exempte de contra­dic­tions, comme le montre la réac­tion à la pénu­rie de gaz russe. Sur­tout, il serait fort peu réa­liste d’ignorer les aver­tis­se­ments clairs et répé­tés des scien­ti­fiques. De même, dénon­cer une éco­lo­gie trop puni­tive revient par­fois à mini­mi­ser l’ampleur des efforts à four­nir. Il ne s’agit pas de punir qui­conque mais d’encourager des com­por­te­ments res­pon­sables, dif­fé­rents des pra­tiques des der­nières décennies. 

Pas assez de contraintes ? 

Or la vio­la­tion de l’accord de Paris, par de nom­breux signa­taires, ne donne pas lieu à des sanc­tions. Le sui­vi des 17 Objec­tifs de déve­lop­pe­ment durable des Nations unies reste léger. Les enga­ge­ments pris à la COP 15 en décembre 2022 sont, de l’avis géné­ral, ambi­tieux mais, les objec­tifs n’étant pas tou­jours chif­frés, le res­pect des enga­ge­ments sera dif­fi­cile à contrôler.

Le tra­vail pré­cieux du NGFS ne donne pas non plus lieu à un sui­vi contrai­gnant, avec des tableaux de bord, des règles, des sanc­tions éven­tuelles. Il serait temps de ren­for­cer les éva­lua­tions, les contrôles mutuels, ce que les anglo­phones appellent enfor­ce­ment. Chris­tine Lagarde a plu­sieurs fois noté que nous agis­sions face au cli­mat comme les super­vi­seurs finan­ciers avant la crise de 2008 : trop de light touch.

Tout se passe comme si, en dépit de la gra­vi­té des enjeux, les êtres humains étaient deve­nus inca­pables de prendre les mesures qui s’imposent. Parce que l’ennemi ne se pré­sente pas sous forme de sol­dats cas­qués et bot­tés, la mobi­li­sa­tion géné­rale n’est pas déclenchée.

Des raisons d’espérer

Aux côtés des bio­lo­gistes, des cli­ma­to­logues et des finan­ciers, des spé­cia­listes des sciences cog­ni­tives ou des psy­cho­logues devraient être appe­lés en ren­fort, tant la ques­tion est de convaincre, sous toutes les lati­tudes, que le modèle éco­no­mique domi­nant est obso­lète, notre approche encore trop com­plai­sante et à terme sui­ci­daire. La pan­dé­mie de Covid nous a rap­pe­lé la dif­fi­cul­té à convaincre du bien-fon­dé des rai­son­ne­ments scien­ti­fiques. Dans le même temps, elle a aus­si prou­vé la ver­tu des vac­cins et les limites des régimes auto­ri­taires « réa­listes ». C’est encourageant.


Nota : L’auteure s’exprime à titre per­son­nel, sans enga­ger aucune ins­ti­tu­tion à laquelle elle appar­tient ou a appar­te­nu ; elle remer­cie Romain Svartz­man et Marie Gabet pour les échanges préa­lables à la rédac­tion de ce papier, quand elle était sous-gou­ver­neure de la Banque de France.


Références

  • Inter­go­vern­men­tal Science-Poli­cy Plat­form on Bio­di­ver­si­ty and Eco­sys­tem Ser­vices, Pla­te­forme d’experts mise en place à par­tir de 2010 sous l’égide de l’UNEP (Uni­ted States Envi­ron­ment Programme). 
  • Finan­cial Times, US green­house gas emis­sions rose again in 2022, Janua­ry 10. 
  • Pro­fes­seur Das­gup­ta, The Eco­no­mics of Bio­di­ver­si­ty, 2021.
  • Finan­cial Times, 9 mars 2021. 
  • Stef­fen W, Gri­ne­vald J, Crut­zen P et al. “The Anthro­po­cene : concep­tual and his­to­ri­cal perspectives.”
  • Jean-Bap­tiste Say en 1803 dans son Trai­té d’économie poli­tique écri­vait : « Les res­sources natu­relles sont inépui­sables, car sans cela nous ne les obtien­drions pas gra­tui­te­ment. Ne pou­vant être ni mul­ti­pliées ni épui­sées, elles ne sont pas l’objet des sciences économiques. » 
  • Un « prin­temps silen­cieux » pour le sys­tème finan­cier ? Vers une esti­ma­tion des risques finan­ciers liés à la bio­di­ver­si­té en France, Svartz­man et al.
  • Brea­king the tra­ge­dy of the hori­zon-cli­mate change and finan­cial sta­bi­li­ty, dis­cours de Mark Car­ney, 2015. 
  • Cen­tral ban­king and super­vi­sion in the biosp­shere : an agen­da for action on bio­di­ver­si­ty loss, finan­cial risk and sys­tem sta­bi­li­ty, 2021. 
  • NGFS, Ins­pire, report on Cli­mate-rela­ted liti­ga­tion, novembre 2021. 
  • Isa­bel Schna­bel, “A new age of ener­gy infla­tion : cli­ma­te­fla­tion, fos­sil­fla­tion and green­fla­tion”, 17 mars 2022. 
  • “Green Swans”, cen­tral banks in the age of cli­mate-rela­ted risks, Bol­ton et al., 2020.
  • https://www.ngfs.net/en tous les docu­ments sont acces­sibles au public. 
  • Fed will not become a “cli­mate poli­cy maker”, Jay Powell, WSJ, Janua­ry 10, 2023. 
  • Article 29 de la loi éner­gie cli­mat de 2019. 
  • World Scien­tists’ War­ning of a Cli­mate Emer­gen­cy, Ripple et al., BioS­cience.

Commentaire

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Mous­ta­pha SENErépondre
28 octobre 2023 à 19 h 27 min

Très ins­truc­tive et t bien ins­pi­rante votre revue

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