La finance verte : ambitions nationales et enjeux mondiaux
En Chine plus qu’ailleurs, le secteur de la finance est mobilisé pour réussir la transition du modèle économique. Le système bancaire officiel reste exclusivement sous contrôle public, et ce sont les autorités publiques qui activent le levier financier pour faire de la Chine un acteur clé du développement durable.
Enjeu crucial pour la pérennité du modèle politique chinois, le virage environnemental initié il y a une dizaine d’années va de pair avec de nouvelles priorités économiques inscrites au 13e plan quinquennal (2016−2020) : le développement de technologies à haute valeur ajoutée – dont les secteurs de l’économie verte – et les services. L’objectif de construction d’une « civilisation écologique » a été inscrit dans la Constitution chinoise en 2018. Ce virage interne aux trois dimensions économique, sociale et environnementale a motivé l’évolution de la diplomatie chinoise dans la négociation sur le changement climatique : la Chine a choisi de contribuer au succès de la COP 21 et à l’adoption de l’Accord de Paris en 2015. L’engagement qu’elle a pris dans ce cadre est d’atteindre un pic d’émissions de GES autour de 2030.
REPÈRES
Deuxième économie mondiale, la Chine a connu un taux de croissance soutenu durant plusieurs décennies, indispensable pour permettre à une part grandissante de la population de sortir de la pauvreté et de rejoindre la classe moyenne. Tirée massivement par les industries lourdes et les infrastructures, cette longue marche productiviste a généré des dégâts environnementaux qui affectent de plus en plus la population, jusqu’à menacer la stabilité sociale.
Le choix systémique d’une finance verte
C’est en 2016 qu’un programme englobant tous les aspects de la finance chinoise a été élaboré : les « Lignes directrices pour l’établissement d’un système financier vert » (Guidelines for Establishing the Green Financial System). Soutenu et assumé par le ministère des Finances, la banque centrale – People’s Bank of China (PBoC) – et plusieurs ministères, le programme porte principalement sur l’offre de capitaux et comporte de multiples volets d’inspiration dirigiste pour certains, libérale pour d’autres, illustrant le modèle chinois « d’économie socialiste de marché » : incitations, exigences de transparence, développement de produits financiers verts et d’outils de réduction des risques environnementaux, réglementation. Les lignes directrices visent à mobiliser les moyens financiers pour assurer la transition verte de l’économie chinoise, alors que les besoins en investissements ont été estimés à 3 voire
4 trillions de yuans par an entre 2015 et 2020 (433–577 milliards de dollars par an), la part des financements publics devant en constituer moins de 20 %. Piloté par la banque centrale, le programme couvre toutes les activités financières et les circuits de capitaux.
Pour en faciliter la mise en œuvre, un « Comité de la finance verte », dirigé par le docteur Ma Jun, ancien chef économiste de la PBoC et inspirateur de ces « lignes directrices », a été constitué au sein de la société financière et bancaire chinoise qui regroupe les principales banques, fonds d’investissement et compagnies d’assurances.
Le rôle moteur du crédit et des obligations
Le programme promeut le développement du crédit vert, stratégique car le financement de l’économie chinoise repose encore largement sur le système bancaire. Les bénéficiaires de prêts verts se voient accorder des avantages fiscaux et des taux d’intérêt préférentiels. Pour en définir l’éligibilité, la Commission de régulation du crédit a publié une classification – taxonomie – des actifs et activités « verts » pouvant être financés par ces prêts. Cette classification comprend par exemple les panneaux solaires photovoltaïques et les véhicules électriques.
Un système de remontée d’information vers l’instance de régulation et d’évaluation de la performance des banques est instauré. En 2017, la part verte du crédit chinois est ainsi estimée à 10,0 %, contre 8,8 % en 2016. Depuis 2017, en s’appuyant sur ce système statistique, en avance par rapport au reste du monde, la banque centrale a décidé de mobiliser certains aspects de sa politique monétaire pour favoriser directement les banques dans leur activité de crédit vert.
Le développement des obligations vertes est un deuxième objectif du programme. Là encore, les pouvoirs publics ont fixé les règles : liste des activités pouvant être financées, exigences de transparence et de vérification par un tiers… En 2017, une nouvelle réglementation est venue harmoniser et élever l’exigence des audits d’obligations vertes. Le marché s’est structuré : l’agence de notation financière chinoise inclut la qualité environnementale des obligations dans ses notations et la Bourse de Shanghai a créé une série d’indices d’obligations vertes. Partant de rien en 2015, la Chine est devenue dès 2016 un des trois premiers marchés d’obligations vertes au monde, avec les États-Unis et la France. Grâce au système d’information instauré pour les prêts verts, leur refinancement par obligations vertes a été facilité : ainsi, les banques sont les premiers émetteurs chinois d’obligations vertes.
Également prévus par les lignes directrices, des fonds d’investissement verts se multiplient et la couverture assurancielle obligatoire des risques de pollution s’étend.
Enfin, sous l’impulsion de la banque centrale, les acteurs financiers chinois se sont lancés dans l’analyse des risques environnementaux pesant sur leurs activités, domaine où ils sont confrontés aux mêmes difficultés que leurs homologues du reste du monde : l’insuffisance d’informations approfondies et fiables en provenance de l’économie. À cet égard, l’instance de régulation des marchés a rendu en 2018 la transparence des données environnementales des entreprises cotées obligatoire d’ici à 2020.
“Il ne suffit pas de favoriser le financement des activités vertes,
encore faut-il que leur modèle économique soit encouragé”
Poursuivre la politique de verdissement
Les premiers bilans estiment que le verdissement du système financier en Chine, objet des lignes directrices, n’est pas achevé. La réglementation environnementale se met en place progressivement et reste à incorporer dans les grands codes financiers. Elle est parfois trop lâche, parfois confuse. Ainsi, il n’existe pas moins de quatre taxonomies d’actifs verts différentes, deux pour les obligations et deux pour les prêts. Le non-respect des obligations de reporting bancaire n’étant officiellement pas sanctionné, il reste encore beaucoup à faire pour le déployer au sein des établissements et former les professionnels aux enjeux et modes de financement de l’économie verte. Enfin, le thème de l’alignement des acteurs financiers sur une trajectoire 2 °C n’est pas traduit dans la régulation.
La création de cinq zones pilotes de finance verte en 2017 doit faciliter la mise en œuvre concrète à l’échelle régionale, les banques locales ayant plus de difficulté à s’approprier les lignes directrices que les grandes banques nationales et internationales chinoises.
Agir parallèlement sur l’économie réelle
La transformation du système financier ne peut suffire à assurer celle de l’économie. En effet, il ne suffit pas de favoriser le financement des activités vertes, encore faut-il que leur modèle économique soit encouragé. Des réglementations et mesures environnementales sont parallèlement instaurées. Notamment, les lignes directrices de 2016 prévoyaient d’agir sur la demande de capitaux par l’instauration de systèmes de plafonnement des droits à produire des externalités négatives. D’ores et déjà, après des expérimentations locales, un système national d’échange de quotas de carbone, le plus grand du monde, a été annoncé en décembre 2017, couvrant au démarrage le secteur électrique. D’autres mécanismes étaient annoncés dans les domaines de la gestion de l’eau, de la pollution, de l’efficacité énergétique… Mais selon les observateurs, les nuisances environnementales et les risques financiers restent encore sous-estimés par le système financier qui continue de financer des secteurs et actifs non écologiques.
Finalement, mis à part l’orientation du crédit favorable aux prêts verts de la banque centrale, mesure jamais envisagée dans les pays développés, ce programme se distingue moins par la nature des leviers qu’il comporte que par sa globalité. Il a été salué à l’échelle mondiale comme un modèle. D’autant qu’il fut annoncé en 2016, deux jours avant la réunion du G20 consacrant, sous l’impulsion de la présidence chinoise, l’importance de développer la finance verte.
Un outil d’influence internationale
L’ambition de la Chine se manifeste d’abord par sa volonté d’aligner ses pratiques sur les normes internationales. Ainsi, on constate l’application croissante par les acteurs financiers chinois de standards internationaux de finance verte et durable. Les grandes émissions chinoises d’obligations vertes ouvertes aux investisseurs étrangers ont respecté les Green Bonds Principles et obtenu la labellisation au standard de la Climate Bonds Initiative (CBI). De même, quelques banques chinoises ont adhéré aux Principes de l’Équateur, qui engagent à des pratiques environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) dans le financement de projet et au Global Compact des Nations unies. Plusieurs fonds d’investissement chinois ont rejoint les Principles for Responsible Investment, réseau mondial de référence, initié par les Nations unies.
Coopérations internationales
Les acteurs financiers chinois s’impliquent aussi au sein des instances de coopération internationale sur la finance verte, par exemple, pour la normalisation ISO des obligations vertes. De même, le régulateur bancaire chinois participe substantiellement au réseau Sustainable Banking Network animé par la Société financière internationale (SFI). La banque centrale (PBoC) est également un membre fondateur en 2017 du Network for Greening the Financial System, le réseau des banques centrales et superviseurs financiers pour le verdissement du système financier.
Verdir les nouvelles routes de la soie
Mais l’influence la plus directe de la Chine sur les normes et pratiques de finance verte passe par l’application de ses propres normes et standards verts aux pays où elle investit, en particulier aux pays en développement. C’est l’enjeu crucial du « verdissement » du grand programme d’investissement chinois à l’étranger, One Belt, One Road ou « nouvelles routes de la soie ».
Lancé en 2013, le programme ciblant 68 pays n’a pas eu au démarrage d’objectif environnemental. De fait, les premières opérations de financement et d’investissement menées de 2014 à 2017 dans les secteurs de l’énergie et du transport ont été en large majorité très intensives en carbone, sans cohérence avec les engagements climatiques des pays bénéficiaires, selon le World Resources Institute.
La contradiction d’une Chine cherchant à verdir son économie, mais soutenant des investissements bruns massifs chez ses partenaires, a été maintes fois soulignée. Elle tient largement au fait que les savoir-faire et savoir-financer chinois, notamment des grands acteurs publics, dans les infrastructures liées aux énergies fossiles sont facilement exportables. À l’inverse, le financement des infrastructures « bas carbone » par les acteurs financiers et industriels chinois se heurte aux barrières généralement identifiées pour ce type d’investissements, notamment dans les pays en développement : réglementations inadaptées, manques de savoir-faire locaux, risques perçus comme élevés, petite taille des projets…
Pour y répondre, la Chine s’est dotée en 2017 de lignes directrices de verdissement des routes de la soie, a mis en place un programme de renforcement de capacités dans les pays partenaires pour promouvoir des modèles économiques plus durables et a défini des critères ESG pour ses investissements directs à l’étranger.
La Chine, acteur-clé de l’Accord de Paris
Le train de mesures en faveur de la finance verte en Chine est plus qu’ailleurs piloté par les autorités de manière descendante. Mais est-ce un gage de plus grande efficacité ? Le degré de contrainte sur les acteurs financiers reste incertain. L’évaluation de l’impact sur l’offre de capitaux verts et l’innovation financière est, comme dans le reste du monde, prématurée. En revanche, on peut affirmer avec certitude que les progrès n’iront pas sans un accroissement parallèle de la demande de capitaux verts, provenant de l’économie réelle. Là encore, la qualité de la réglementation et des instruments économiques ainsi qu’une application rigoureuse seront cruciales. La crédibilité internationale de la Chine s’évaluera aussi à sa capacité à verdir les routes de la soie. Par ses deux volets, interne et externe, la Chine détient une bonne partie des clés de l’atteinte des objectifs internationaux de lutte contre le réchauffement climatique et du succès de l’Accord de Paris.
Pour en savoir plus :
- « Sustainable Banking Network », Global progress report, February 2018
- « Guidelines for establishing a green financial system », The People’s bank of China, 2016
- « Guidance on Promoting Green Belt and Road », Belt and Road Portal, 2017