Muraille de Chine. La finance verte

La finance verte : ambitions nationales et enjeux mondiaux

Dossier : Chine et environnementMagazine N°744 Avril 2019
Par Maria SCOLAN

En Chine plus qu’ailleurs, le sec­teur de la finance est mobi­li­sé pour réus­sir la tran­si­tion du modèle éco­no­mique. Le sys­tème ban­caire offi­ciel reste exclu­si­ve­ment sous contrôle public, et ce sont les auto­ri­tés publiques qui activent le levier finan­cier pour faire de la Chine un acteur clé du déve­lop­pe­ment durable.

Enjeu cru­cial pour la péren­ni­té du modèle poli­tique chi­nois, le virage environ­nemental ini­tié il y a une dizaine d’années va de pair avec de nou­velles prio­ri­tés éco­no­miques ins­crites au 13e plan quin­quen­nal (2016−2020) : le déve­lop­pe­ment de tech­no­lo­gies à haute valeur ajou­tée – dont les sec­teurs de l’économie verte – et les ser­vices. L’objectif de construc­tion d’une « civi­li­sa­tion éco­lo­gique » a été ins­crit dans la Consti­tu­tion chi­noise en 2018. Ce virage interne aux trois dimen­sions éco­no­mique, sociale et envi­ron­ne­men­tale a moti­vé l’évolution de la diplo­ma­tie chi­noise dans la négo­cia­tion sur le chan­ge­ment cli­ma­tique : la Chine a choi­si de contri­buer au suc­cès de la COP 21 et à l’adoption de l’Accord de Paris en 2015. L’engagement qu’elle a pris dans ce cadre est d’atteindre un pic d’émissions de GES autour de 2030.


REPÈRES

Deuxième éco­no­mie mon­diale, la Chine a connu un taux de crois­sance sou­te­nu durant plu­sieurs décen­nies, indis­pen­sable pour per­mettre à une part gran­dis­sante de la popu­la­tion de sor­tir de la pau­vre­té et de rejoindre la classe moyenne. Tirée mas­si­ve­ment par les indus­tries lourdes et les infra­struc­tures, cette longue marche pro­duc­ti­viste a géné­ré des dégâts envi­ron­ne­men­taux qui affectent de plus en plus la popu­la­tion, jusqu’à mena­cer la sta­bi­li­té sociale. 


Le choix systémique d’une finance verte

C’est en 2016 qu’un pro­gramme englo­bant tous les aspects de la finance chi­noise a été éla­bo­ré : les « Lignes direc­trices pour l’établissement d’un sys­tème finan­cier vert » (Gui­de­lines for Esta­bli­shing the Green Finan­cial Sys­tem). Sou­te­nu et assu­mé par le minis­tère des Finances, la banque cen­trale – People’s Bank of Chi­na (PBoC) – et plu­sieurs minis­tères, le pro­gramme porte prin­ci­pa­le­ment sur l’offre de capi­taux et com­porte de mul­tiples volets d’inspiration diri­giste pour cer­tains, libé­rale pour d’autres, illus­trant le modèle chi­nois « d’économie socia­liste de mar­ché » : inci­ta­tions, exi­gences de trans­pa­rence, déve­lop­pe­ment de pro­duits finan­ciers verts et d’outils de réduc­tion des risques envi­ron­ne­men­taux, régle­men­ta­tion. Les lignes direc­trices visent à mobi­li­ser les moyens finan­ciers pour assu­rer la tran­si­tion verte de l’économie chi­noise, alors que les besoins en inves­tis­se­ments ont été esti­més à 3 voire
4 tril­lions de yuans par an entre 2015 et 2020 (433–577 mil­liards de dol­lars par an), la part des finan­ce­ments publics devant en consti­tuer moins de 20 %. Pilo­té par la banque cen­trale, le pro­gramme couvre toutes les acti­vi­tés finan­cières et les cir­cuits de capitaux.

Pour en faci­li­ter la mise en œuvre, un « Comi­té de la finance verte », diri­gé par le doc­teur Ma Jun, ancien chef éco­no­miste de la PBoC et ins­pi­ra­teur de ces « lignes direc­trices », a été consti­tué au sein de la socié­té finan­cière et ban­caire chi­noise qui regroupe les prin­ci­pales banques, fonds d’investissement et com­pa­gnies d’assurances.

Le rôle moteur du crédit et des obligations

Le pro­gramme pro­meut le déve­lop­pe­ment du cré­dit vert, stra­té­gique car le finan­ce­ment de l’économie chi­noise repose encore lar­ge­ment sur le sys­tème ban­caire. Les béné­fi­ciaires de prêts verts se voient accor­der des avan­tages fis­caux et des taux d’intérêt pré­fé­ren­tiels. Pour en défi­nir l’éligibilité, la Com­mis­sion de régu­la­tion du cré­dit a publié une clas­si­fi­ca­tion – taxo­no­mie – des actifs et acti­vi­tés « verts » pou­vant être finan­cés par ces prêts. Cette clas­si­fi­ca­tion com­prend par exemple les pan­neaux solaires pho­to­vol­taïques et les véhi­cules électriques.

Un sys­tème de remon­tée d’information vers l’instance de régu­la­tion et d’évaluation de la per­for­mance des banques est ins­tau­ré. En 2017, la part verte du cré­dit chi­nois est ain­si esti­mée à 10,0 %, contre 8,8 % en 2016. Depuis 2017, en s’appuyant sur ce sys­tème sta­tis­tique, en avance par rap­port au reste du monde, la banque cen­trale a déci­dé de mobi­li­ser cer­tains aspects de sa poli­tique moné­taire pour favo­ri­ser direc­te­ment les banques dans leur acti­vi­té de cré­dit vert.

Le déve­lop­pe­ment des obli­ga­tions vertes est un deuxième objec­tif du pro­gramme. Là encore, les pou­voirs publics ont fixé les règles : liste des acti­vi­tés pou­vant être finan­cées, exi­gences de trans­pa­rence et de véri­fi­ca­tion par un tiers… En 2017, une nou­velle régle­men­ta­tion est venue har­mo­ni­ser et éle­ver l’exigence des audits d’obligations vertes. Le mar­ché s’est struc­tu­ré : l’agence de nota­tion finan­cière chi­noise inclut la qua­li­té envi­ron­ne­men­tale des obli­ga­tions dans ses nota­tions et la Bourse de Shan­ghai a créé une série d’indices d’obligations vertes. Par­tant de rien en 2015, la Chine est deve­nue dès 2016 un des trois pre­miers mar­chés d’obligations vertes au monde, avec les États-Unis et la France. Grâce au sys­tème d’information ins­tau­ré pour les prêts verts, leur refi­nan­ce­ment par obli­ga­tions vertes a été faci­li­té : ain­si, les banques sont les pre­miers émet­teurs chi­nois d’obligations vertes.

Éga­le­ment pré­vus par les lignes direc­trices, des fonds d’investissement verts se mul­ti­plient et la cou­ver­ture assu­ran­cielle obli­ga­toire des risques de pol­lu­tion s’étend.

Enfin, sous l’impulsion de la banque cen­trale, les acteurs finan­ciers chi­nois se sont lan­cés dans l’analyse des risques envi­ron­ne­men­taux pesant sur leurs acti­vi­tés, domaine où ils sont confron­tés aux mêmes dif­fi­cul­tés que leurs homo­logues du reste du monde : l’insuffisance d’informations appro­fon­dies et fiables en pro­ve­nance de l’économie. À cet égard, l’instance de régu­la­tion des mar­chés a ren­du en 2018 la trans­pa­rence des don­nées envi­ron­ne­men­tales des entre­prises cotées obli­ga­toire d’ici à 2020.

“Il ne suffit pas de favoriser le financement des activités vertes,
encore faut-il que leur modèle économique soit encouragé”

Poursuivre la politique de verdissement

Les pre­miers bilans estiment que le ver­dis­se­ment du sys­tème finan­cier en Chine, objet des lignes direc­trices, n’est pas ache­vé. La régle­men­ta­tion envi­ron­ne­men­tale se met en place pro­gres­si­ve­ment et reste à incor­po­rer dans les grands codes finan­ciers. Elle est par­fois trop lâche, par­fois confuse. Ain­si, il n’existe pas moins de quatre taxo­no­mies d’actifs verts dif­fé­rentes, deux pour les obli­ga­tions et deux pour les prêts. Le non-res­pect des obli­ga­tions de repor­ting ban­caire n’étant offi­ciel­le­ment pas sanc­tion­né, il reste encore beau­coup à faire pour le déployer au sein des éta­blis­se­ments et for­mer les pro­fes­sion­nels aux enjeux et modes de finan­ce­ment de l’économie verte. Enfin, le thème de l’alignement des acteurs finan­ciers sur une tra­jec­toire 2 °C n’est pas tra­duit dans la régulation.

La créa­tion de cinq zones pilotes de finance verte en 2017 doit faci­li­ter la mise en œuvre concrète à l’échelle régio­nale, les banques locales ayant plus de dif­fi­cul­té à s’approprier les lignes direc­trices que les grandes banques natio­nales et inter­na­tio­nales chinoises.

La finance verte en Chine

Agir parallèlement sur l’économie réelle

La trans­for­ma­tion du sys­tème finan­cier ne peut suf­fire à assu­rer celle de l’économie. En effet, il ne suf­fit pas de favo­ri­ser le finan­ce­ment des acti­vi­tés vertes, encore faut-il que leur modèle éco­no­mique soit encou­ra­gé. Des régle­men­ta­tions et mesures envi­ron­ne­men­tales sont paral­lè­le­ment ins­tau­rées. Notam­ment, les lignes direc­trices de 2016 pré­voyaient d’agir sur la demande de capi­taux par l’instauration de sys­tèmes de pla­fon­ne­ment des droits à pro­duire des exter­na­li­tés néga­tives. D’ores et déjà, après des expé­ri­men­ta­tions locales, un sys­tème natio­nal d’échange de quo­tas de car­bone, le plus grand du monde, a été annon­cé en décembre 2017, cou­vrant au démar­rage le sec­teur élec­trique. D’autres méca­nismes étaient annon­cés dans les domaines de la ges­tion de l’eau, de la pol­lu­tion, de l’efficacité éner­gé­tique… Mais selon les obser­va­teurs, les nui­sances envi­ron­ne­men­tales et les risques finan­ciers res­tent encore sous-esti­més par le sys­tème finan­cier qui conti­nue de finan­cer des sec­teurs et actifs non écologiques.

Fina­le­ment, mis à part l’orientation du cré­dit favo­rable aux prêts verts de la banque cen­trale, mesure jamais envi­sa­gée dans les pays déve­lop­pés, ce pro­gramme se dis­tingue moins par la nature des leviers qu’il com­porte que par sa glo­ba­li­té. Il a été salué à l’échelle mon­diale comme un modèle. D’autant qu’il fut annon­cé en 2016, deux jours avant la réunion du G20 consa­crant, sous l’impulsion de la pré­si­dence chi­noise, l’importance de déve­lop­per la finance verte.

Un outil d’influence internationale

L’ambition de la Chine se mani­feste d’abord par sa volon­té d’aligner ses pra­tiques sur les normes inter­na­tio­nales. Ain­si, on constate l’application crois­sante par les acteurs finan­ciers chi­nois de stan­dards inter­na­tio­naux de finance verte et durable. Les grandes émis­sions chi­noises d’obligations vertes ouvertes aux inves­tis­seurs étran­gers ont res­pec­té les Green Bonds Prin­ciples et obte­nu la label­li­sa­tion au stan­dard de la Cli­mate Bonds Ini­tia­tive (CBI). De même, quelques banques chi­noises ont adhé­ré aux Prin­cipes de l’Équateur, qui engagent à des pra­tiques envi­ron­ne­men­tales, sociales et de gou­ver­nance (ESG) dans le finan­ce­ment de pro­jet et au Glo­bal Com­pact des Nations unies. Plu­sieurs fonds d’investissement chi­nois ont rejoint les Prin­ciples for Res­pon­sible Invest­ment, réseau mon­dial de réfé­rence, ini­tié par les Nations unies.


Coopérations internationales

Les acteurs finan­ciers chi­nois s’impliquent aus­si au sein des ins­tances de coopé­ra­tion inter­na­tio­nale sur la finance verte, par exemple, pour la nor­ma­li­sa­tion ISO des obli­ga­tions vertes. De même, le régu­la­teur ban­caire chi­nois par­ti­cipe sub­stan­tiel­le­ment au réseau Sus­tai­nable Ban­king Net­work ani­mé par la Socié­té finan­cière inter­na­tio­nale (SFI). La banque cen­trale (PBoC) est éga­le­ment un membre fon­da­teur en 2017 du Net­work for Gree­ning the Finan­cial Sys­tem, le réseau des banques cen­trales et super­vi­seurs finan­ciers pour le ver­dis­se­ment du sys­tème financier.


Verdir les nouvelles routes de la soie

Mais l’influence la plus directe de la Chine sur les normes et pra­tiques de finance verte passe par l’application de ses propres normes et stan­dards verts aux pays où elle inves­tit, en par­ti­cu­lier aux pays en déve­lop­pe­ment. C’est l’enjeu cru­cial du « ver­dis­se­ment » du grand pro­gramme d’investissement chi­nois à l’étranger, One Belt, One Road ou « nou­velles routes de la soie ».

Lan­cé en 2013, le pro­gramme ciblant 68 pays n’a pas eu au démar­rage d’objectif envi­ron­ne­men­tal. De fait, les pre­mières opé­ra­tions de finan­ce­ment et d’investissement menées de 2014 à 2017 dans les sec­teurs de l’énergie et du trans­port ont été en large majo­ri­té très inten­sives en car­bone, sans cohé­rence avec les enga­ge­ments cli­ma­tiques des pays béné­fi­ciaires, selon le World Resources Ins­ti­tute.

La contra­dic­tion d’une Chine cher­chant à ver­dir son éco­no­mie, mais sou­te­nant des inves­tis­se­ments bruns mas­sifs chez ses par­te­naires, a été maintes fois sou­li­gnée. Elle tient lar­ge­ment au fait que les savoir-faire et savoir-finan­cer chi­nois, notam­ment des grands acteurs publics, dans les infra­struc­tures liées aux éner­gies fos­siles sont faci­le­ment expor­tables. À l’inverse, le finan­ce­ment des infra­struc­tures « bas car­bone » par les acteurs finan­ciers et indus­triels chi­nois se heurte aux bar­rières géné­ra­le­ment iden­ti­fiées pour ce type d’investissements, notam­ment dans les pays en déve­lop­pe­ment : régle­men­ta­tions inadap­tées, manques de savoir-faire locaux, risques per­çus comme éle­vés, petite taille des projets…

Pour y répondre, la Chine s’est dotée en 2017 de lignes direc­trices de ver­dis­se­ment des routes de la soie, a mis en place un pro­gramme de ren­for­ce­ment de capa­ci­tés dans les pays par­te­naires pour pro­mou­voir des modèles éco­no­miques plus durables et a défi­ni des cri­tères ESG pour ses inves­tis­se­ments directs à l’étranger.

La Chine, acteur-clé de l’Accord de Paris

Le train de mesures en faveur de la finance verte en Chine est plus qu’ailleurs pilo­té par les auto­ri­tés de manière des­cen­dante. Mais est-ce un gage de plus grande effi­ca­ci­té ? Le degré de contrainte sur les acteurs finan­ciers reste incer­tain. L’évaluation de l’impact sur l’offre de capi­taux verts et l’innovation finan­cière est, comme dans le reste du monde, pré­ma­tu­rée. En revanche, on peut affir­mer avec cer­ti­tude que les pro­grès n’iront pas sans un accrois­se­ment paral­lèle de la demande de capi­taux verts, pro­ve­nant de l’économie réelle. Là encore, la qua­li­té de la régle­men­ta­tion et des ins­tru­ments éco­no­miques ain­si qu’une appli­ca­tion rigou­reuse seront cru­ciales. La cré­di­bi­li­té inter­na­tio­nale de la Chine s’évaluera aus­si à sa capa­ci­té à ver­dir les routes de la soie. Par ses deux volets, interne et externe, la Chine détient une bonne par­tie des clés de l’atteinte des objec­tifs inter­na­tio­naux de lutte contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique et du suc­cès de l’Accord de Paris.


Pour en savoir plus  :

- « Sus­tai­nable Ban­king Net­work », Glo­bal pro­gress report, Februa­ry 2018

- « Gui­de­lines for esta­bli­shing a green finan­cial sys­tem », The People’s bank of Chi­na, 2016

- « Gui­dance on Pro­mo­ting Green Belt and Road », Belt and Road Por­tal, 2017

- Yao (Wang), « China’s green finance stra­te­gy : much achie­ved, fur­ther to go », The Lon­don School of Eco­no­mics and Poli­ti­cal Science, Octo­ber 2018

- Zhou (Lihuan), Gil­bert (Sean), Wang (Ye), Muñoz Cabré (Miquel), Gal­la­gher (Kevin P.)« Moving the Green Belt and Road Ini­tia­tive : From Words to Actions », WRI (2018)

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