La Fintech c’est ici et maintenant !
Avec plus de 360 membres, France Fintech est l’association représentative de secteur en forte progression des Fintechs. Dans cet entretien, Alain Clot, Président de France Fintech, dresse pour nous un état des lieux et revient sur les actions menées par son association au service du développement et du soutien de la Fintech en France et en Europe.
Présentez-nous votre association.
France FinTech est une association à but non lucratif créée en 2015 par les entrepreneurs de la fintech française. À ma grande surprise, ces derniers m’ont demandé à sa création de la présider, car ils souhaitaient que le secteur puisse être représenté par une personne pourvu d’une double culture : une connaissance approfondie du monde de la finance classique, d’une part, et des nouvelles technologies et des modèles innovants d’autre part.
L’association s’est fixée dès sa création trois missions principales :
Promouvoir et faire connaître la fintech française en France et à l’étranger ;
Représenter l’écosystème vis-à-vis de ses parties prenantes en France et dans le monde : le gouvernement français ; les différentes autorités nationales, les régulateur-superviseurs, principalement l’ACPR et l’AMF, mais aussi la CNIL, l’Autorité de la concurrence, la Commission européenne, le monde de la recherche et de l’enseignement, les établissements bancaires et d’assurance, le capital risque, les cabinets de conseils.
« France FinTech est une association à but non lucratif créée en 2015 par les entrepreneurs de la fintech française. »
Notre vision globale du secteur nous fait souvent jouer le rôle de trait d’union entre les nombreuses associations sectorielles de la fintech : actifs numériques, financement participatif, paiements ou encore assurtech. Nous avons cofondé l’European Digital Finance Association qui est l’association européenne de la fintech. On est un lobby assumé dont la mission est de faire émerger les conditions du développement d’un secteur d’excellence français. Nous avons ainsi contribué à des textes législatifs et des réflexions publiques et à de nombreuses études et consultations ;
Animer notre écosystème. Nous facilitons la mise en relation des différentes parties prenantes et produisons de nombreux contenus (livres blancs, études statistiques notamment). Nous organisons également des événements de toute taille. Co-organisateur de la French FinTech Week au côté de l’ACPR-Banque de France, de l’AMF et de l’incubateur Finance & Assurance de Paris&Co, nous proposons, au sein de cette initiative, l’événement de référence de l’écosystème : FinTech R:Evolution qui réunit chaque année près de 1 500 personnes et qui se déroulera cette année le jeudi 19 octobre.
Quelles sont vos ambitions ?
En notre qualité de première organisation sectorielle numérique en France, nous voulons contribuer au développement d’emplois qualifiés et au renforcement de la souveraineté de notre pays, car la finance est par nature étroitement liée à ce concept essentiel. En parallèle, nous sommes bien évidemment très attentifs aux enjeux du développement durable, de l’inclusion financière et de la mixité dans le secteur.
Nous avons noué au fil des années une centaine de partenariats avec des grandes entreprises, des institutions, mais aussi plusieurs dizaines de partenariats académiques. Nous sommes une force de proposition et sommes ainsi très régulièrement interrogés par les pouvoirs publics sur des sujets stratégiques comme le financement de l’innovation, l’épargne, l’éducation financière.
France FinTech a pour ambition de faciliter l’émergence de champions français et européens. De fait, la fintech est le premier secteur de la Tech française. La publication récente des derniers indices Next40 et FRENCHTECH 120 le confirment ! C’est aussi le premier secteur en termes de levées de fonds avec près de 3 milliards d’euros levés en 2022 et une dizaine de licornes. Nous employons plus de 40 000 personnes.
Comment définissez-vous une fintech ?
Il existe plusieurs définitions. Pour notre association, une fintech est une start-up dans sa taille et sa culture. C’est une entreprise qui mobilise un principe technologique, articulé autour de deux dimensions : la mobilité avec des applications nomades et la donnée avec un focus sur la technologie des algorithmes, l’intelligence artificielle, la blockchain, et les crypto actifs.
Ces entreprises proposent des services financiers : services bancaires, assurance, gestion d’actifs, services aux directeurs financiers et au DRH, gestion de la réglementation.
Au sein de France FinTech, nous complétons cette définition par un critère subjectif et qualitatif qui ne définit pas le métier, mais plutôt nos membres : un comportement déontologique irréprochable vis-à-vis du marché, du client et de nos valeurs.
Comment l’écosystème français se développe-t-il en comparaison à l’écosystème européen ou anglo-saxon ?
Là comme souvent, la France est un paradoxe. Les Français ont été pionniers en matière de finance innovante et parmi les premiers à avoir pu consulter leur compte et réaliser des opérations basiques à distance, bien avant les Anglo-Saxons, grâce au Minitel puis à l’internet. Notre pays a vu émerger des acteurs innovants dès la fin des années 1990 : Boursorama, Cortal.
Puis la France a pris du retard par rapport au Royaume-Uni, car nous manquions de trois ressources essentielles :
Le financement : jusqu’en 2015, il n’y avait pratiquement pas de capital risque en France. Rappelons que les pays anglo-saxons, notamment les États-Unis, se financent massivement par le marché et moins par le financement bancaire, contrairement à la France. Aujourd’hui, notre pays a rattrapé son retard en la matière et se situe dorénavant dans le peloton de tête de l’Union européenne ;
Un régulateur favorable à l’innovation technologique : les régulateurs anglo-saxons et de certains pays comme le Luxembourg et la Suisse, se sentaient investis d’une mission de protection du consommateur et du marché, d’une part, mais aussi de développement de l’innovation et de la concurrence d’autre part. Les régulateurs latins, dont les autorités françaises, avaient une vision beaucoup plus juridique de la réglementation. Depuis, nos régulateurs, notamment l’ACPR et l’AMF, ont mené une petite “révolution culturelle” et travaillent de concert pour faciliter le développement des offres innovantes.
« Les Français ont été pionniers en matière de finance innovante et parmi les premiers à avoir pu consulter leur compte et réaliser des opérations basiques à distance. »
Des clients : la France a été est l’un des pays dont le système bancaire était le plus organisé autour du concept de banque universelle ( “one stop shopping”) , là où dans nombre d’autres pays, le consommateur était habitué à traiter avec plusieurs fournisseurs de services financiers : banque, assurance, gestion d’actifs, bourse. Il a donc été plus compliqué pour les fintech de trouver leur place en France contrairement à ces pays où les services étaient déjà largement “verticalisé”. Ce paradigme a été complètement bouleversé par les nouvelles attentes des clients et ce n’est que le début de la tendance, notamment du fait des plus jeunes générations.
Désormais, la France est le premier écosystème fintech de l’Union européenne et le second de l’Europe géographique derrière le Royaume-Uni mais avec un taux de croissance plus rapide. Nous comptons des champions dans la plupart des domaines : crypto, crédit à la consommation, financement participatif, économie de la facture, moyens de paiement. La fintech française est véritablement un secteur d’excellence. Et dans le contexte macroéconomique mondial actuel, l’un des marchés les plus résilients d’Europe.
Quels sont les relations et les rapports qui existent entre cet écosystème de la Fintech et les acteurs traditionnels de la finance ?
Au fil des années, nous sommes passés par toutes les phases. Au départ, les acteurs traditionnels étaient indifférents aux fintech avant d’être irrités par leur développement et les dérogations réglementaires dont elles ont bénéficié dans un certain nombre de pays. Cela n’a pas été le cas en France, ou chaque type de transaction est régulé à l’identique quel que soit la taille ou la nature du fournisseur. De manière générale, on a observé deux grandes options réglementaires dans le monde. La première qu’on appelle le “bac à sable” ou sandbox admet des dérogations réglementaires pour les start-up versus les grands établissements. La seconde appelée “juste réglementation” ou level playing field considère que, pour une même opération, tous les acteurs, quel que soit leur statut, sont soumis à la même réglementation. C’est cette seconde approche que l’on retrouve en France.
« Les fintechs sont un élément de stimulation pour les établissements traditionnels, desquels elles sont à la fois partenaires et concurrentes. »
Nous sommes ensuite passés à une phase d’intérêt et de coopération. De nombreuses opérations de rapprochement capitalistique avec des acquisitions ou des prises de participation sont intervenues. Aujourd’hui nous sommes arrivés à l’âge de la maturité qui se traduit par de très nombreux partenariats entre les fintech, les banques et les assurances. Nous en avons, d’ailleurs, recensé près de 1 500. Ces partenariats et coopérations couvrent aussi bien des sujets de distribution que de production. Cette maturité se traduit aussi par le fait que les fintech traitent aujourd’hui des sujets de plus en plus cœur de métier : la connaissance client, la lutte anti-blanchiment, l’analyse des risques, le conseil pour citer quelques exemples.
Si les fintechs ont d’abord commencé à se développer via des modèles de distribution indirects, aujourd’hui, c’est la distribution directe qui croît le plus rapidement avec de plus en plus de services à destination des clients particuliers ou des entreprises versus une distribution intermédiaire réalisée par un grand établissement.
Les fintechs sont un élément de stimulation pour les établissements traditionnels, desquels elles sont à la fois partenaires et concurrentes. Les différences entre les deux mondes sont notamment culturelles, avec une façon spécifique d’appréhender la technologie et l’innovation, la notion d’expérimentation, ainsi qu’un rapport au temps différent. Si il est présomptueux de prétendre que la fintech est, pour les grands établissements, leur solution d’avenir, elle est en revanche un des éléments de la solution, notamment face au danger considérable que constituent dans ce domaine les GAFAM américains et autres BATX chinois. Rappelons que les grandes banques et assurances françaises sont parmi les plus performantes du monde.
Au cœur des Fintechs et de l’innovation financière, on retrouve les nouvelles technologies et l’innovation financière. Quelles sont les pistes les plus prometteuses ?
La tradition française scientifique et mathématique se traduit par une forte composante en intelligence artificielle et en blockchain dans notre domaine.
Parmi nos membres, 40 % utilisent l’intelligence artificielle pour développer des offres innovantes et générer d’importants gains de productivité. Elle permet aussi de gérer d’une manière extrêmement performante l’identification et la gestion des risques et d’optimiser les interactions avec les clients à travers des bots, des chatbots, des forums et des fonctions de conseil embarqué. Plus globalement, le potentiel des technologies sémantiques (Neural Machine Translation, Large Language Model par exemple), de l’IA Générative (GAN) ainsi que l’accroissement des capacités de calcul offrent à notre secteur un large spectre d’innovation. Demain les technologies quantiques démultiplieront le champ des possibles.
La blockchain est également un formidable champ d’expérimentation car elle permet de stocker et de transférer de la valeur, qui est le cœur du métier financier.
Nous avons ainsi de nombreux membres qui développent des applicatifs dans le domaine du Web3 pour financer les PME, gérer les opérations boursières, développer les capacités de tiers de confiance, pour ne citer que quelques exemples. Sans parler de la crypto, domaine dans lequel la France est leader en Europe.
Paris s’est en effet imposée comme le centre européen de la crypto, avec 4 des 10 plus grandes opérations de levée de fonds de 2022. C’est aussi une ville qui accueille les plus importants établissements grâce à l’installation de sièges européens de plusieurs acteurs.
Quelles sont les tendances et les perspectives qui se dessinent actuellement ?
On assiste à un phénomène de plateformisation des fintechs. Elles se sont développées à l’origine en proposant un service unique. Progressivement, elles ont ajouté de nouvelles verticales. Elles se sont « horizontalisées », se transformant peu à peu en plateforme, visant pour certaines le statut de “super app » ou de néo-banque.
Les premières vagues de développement avaient concerné moins la technologie que l’usage et l’expérience client. Avec les opportunités que l’intelligence artificielle, les algorithmes, ou encore la blockchain ouvrent, la technologie est en train de reprendre le dessus.
« On assiste à un phénomène de plateformisation des fintechs. »
En parallèle, nos entreprises s’internationalisent. Aujourd’hui, 28 % des fintechs françaises sont présentes à l’international. Elles ne s’adressent par ailleurs plus seulement à une clientèle de particuliers. Elles ont vocation à aborder tous les autres segments : la clientèle patrimoniale, les TPE et PME, les grandes entreprises et les investisseurs, la gestion d’actifs. Enfin, elles accordent une attention croissante à la question de la RSE.
Quels sont les freins qui persistent au développement des Fintechs ?
Le premier est l’accès aux ressources financières. Les levées de fonds connaissent en ce moment un fort ralentissement dans le monde lié aux secousses des marchés. Bien entendu, il touche notre pays comme les autres et résulte d’un attentisme des investisseurs. Au-delà de cet aspect conjoncturel et malgré les énormes progrès réalisés en France, nous conservons certaines faiblesses. Ainsi, des efforts complémentaires doivent être réalisés sur la phase d’amorçage et sur le développement des business angels.
« Aujourd’hui se pose véritablement la question de la capitalisation dans notre pays. »
En effet, le statut fiscal de business angel n’existe pas en France, alors qu’il y a encore peu de fonds d’amorçage et de financements bancaires accessibles aux start-up. À l’autre extrémité du spectre, il est encore difficile de financer de gros tickets (plusieurs centaines de millions d’euros) via des investisseurs locaux, en l’absence notamment de fonds de capitalisation. D’autant qu’il n’existe, ni en France, ni en Europe d’équivalent du NASDAQ américain. Aujourd’hui se pose véritablement la question de la capitalisation dans notre pays. En effet, la plus grande partie de l’épargne des Français est placée dans les livrets réglementés et dans l’assurance-vie.
Seule une part marginale contribue au financement de l’économie d’innovation.
Le second enjeu est d’ordre humain : le besoin en talents et en compétences ne cesse de croître alors que le marché de l’emploi dans les métiers de la tech connaît une forte tension.
Le troisième défi concerne la réglementation. Aujourd’hui, elle est majoritairement européenne et fait l’objet d’une transposition à l’échelle nationale pour l’adapter aux spécificités de chaque pays. Dans ce cadre, les autorités françaises ont parfois tendance à sur-transposer ces règlements européens et à imposer certaines contraintes qui peuvent nous placer en position de distorsion de concurrence.
Et pour conclure, des pistes de réflexion que vous pourriez partager avec nos lecteurs ?
La fintech, c’est ici et maintenant. Nous vivons actuellement une phase historique d’accélération de ce secteur très créatif et extrêmement porteur en matière de services, de création d’emplois qualifiés et de perspectives de carrière. C’est une réalité qui est encore plus forte dans notre pays. L’écosystème français est particulièrement dynamique et performant.
Au-delà, la fintech est aussi un sujet stratégique intimement lié à la souveraineté de notre pays. Nous sommes bien évidemment heureux de voir que nos licornes et nos fintech intéressent des investisseurs du monde entier, nous souhaitons cependant que la France ne fabrique pas des compétences et des champions qui seront ensuite vendus à l’autre bout du monde !
Ce sont des sujets et des enjeux qui nous mobilisent fortement et que nous portons auprès des pouvoirs publics et politiques.