Gérard Araud (73), la force du vrai en diplomatie
Sa principale qualité, d’où découlent bien d’autres ? Son don pour l’amitié. Dès que sa fine intuition vous juge digne de sa confiance, et sans que vous la lui demandiez, il vous l’offre spontanément.
“ Un homme de l’écrit, plus encore du dire vrai ”
Autant dire que cet ambassadeur, qui occupa les postes les plus importants, les plus délicats aussi – Israël, Nations unies, États-Unis – ne se cuirasse pas de ses fonctions.
C’est un homme de l’écrit, plus encore du dire vrai. Cela lui vient-il de l’esprit polytechnicien, de cette honnêteté fondamentale du scientifique, nourrie de quête de l’authentique et de la simplicité ? Sans aucun doute.
UNE VOCATION LITTÉRAIRE CONTRARIÉE ?
Issu de la petite bourgeoisie marseillaise, il suivit les cours du lycée Thiers, puis, pour faire plaisir à ses parents, y entama en septembre 1971 une prépa scientifique : « Je préférais le grec et l’histoire aux sciences. »
Taupin besogneux, selon ses termes, il fut néanmoins sensible à la beauté des maths, et eut « l’impression de faire partie d’un cercle d’initiés à un jeu grave et ésotérique ».
Élève de la dernière promotion accueillie sur la Montagne Sainte-Geneviève, son service militaire, excepté quelques semaines de sport avec ses copains au Larzac, lui fut d’un ennui insondable.
Dessin : LAURENT SIMON
Les conditions de vie, sordides plus que spartiates, le convainquirent de la nécessité d’une armée de métier, mieux dotée.
Grand lecteur, Araud en profita pour se régaler de la Recherche et des Sept Piliers de la sagesse. Ce dernier, le livre du colonel T. E. Lawrence, suscita son admiration et une intense curiosité pour le Moyen-Orient, dont il deviendra plus tard une autorité du Quai d’Orsay.
À l’École, le jeune homme, éloigné de sa famille par les huit heures du trajet en train Paris-Marseille, se forgea, grâce à son naturel chaleureux et liant, les amitiés de toute une vie avec ses camarades du casert 171 : neuf élèves dans deux chambrées communicantes, chacun doté d’un lit, d’un bureau et d’une armoire également métalliques, partageant une douche et quatre lavabos.
Gérard conserve un souvenir émerveillé de la fraternité chaleureuse dans ces locaux moroses, à travailler, causer, jouer aux cartes, en écoutant les Beatles, Simon et Garfunkel, Beethoven et Bach ; avec des échappées à découvrir Paris, à des soirées dansantes ou pour une semaine de ski.
Ce fut l’une des périodes les plus heureuses de son existence.
ENTRÉE DANS LA CARRIÈRE
Tombé par la volonté de ses parents dans le « piège scientifique » de l’X, Gérard Araud voulut échapper à un destin de chercheur ou d’ingénieur. Il choisit en 1976 l’ ENSAE comme école d’application. Il s’inscrivit en 1978 en prépa ENA à Sciences-Po, entrant à l’École nationale d’administration en 1980 dans la promotion « Henri-François d’Aguesseau ».
“ J’aime la clarté, je respecte mes engagements et je ne mens pas ”
Il choisit la diplomatie : ses postes hors d’Europe furent en particulier Tel-Aviv (1982−1984, 2003–2006), les Nations unies à New York (2009−2014) et Washington (1987−1991, 2014–2017).
Au Quai d’Orsay, il fut directeur des Affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement (2000−2003) puis directeur général des Affaires politiques et de sécurité, secrétaire général adjoint (2006−2009).
Dans ce dernier poste, il fut le négociateur pour la France du dossier nucléaire iranien – réussissant là une partie très difficile.
Excellent communicateur, il est apprécié des journalistes pour ses petites phrases, qu’au cours des années ils ont avidement citées. Les formuler lui est devenu tellement habituel, qu’il en fit un compte personnel sur Twitter.
DANS LE GRAND BAIN DES RELATIONS INTERNATIONALES
Son passage au Conseil de sécurité de l’ONU fut ponctué par des guerres nombreuses en Afrique (Congo, Centrafrique, Côte d’Ivoire, Mali, Libye) et au Moyen-Orient (Irak et Syrie).
Comme on sait, la France s’était auparavant démarquée des États-Unis, ceux de la présidence de George W. Bush, sur l’opportunité d’attaquer l’Irak de Saddam Hussein.
Gérard Araud hérita de sa formation scientifique « un amour immodéré de la logique du raisonnement ». Comme il l’expliqua début 2002 à un universitaire de Harvard :
« Les Français sont prisonniers de leur cartésianisme. Ils ont le culte de la raison. À leurs yeux, leur position ne vient pas défendre leurs intérêts, elle est seulement l’expression d’une Raison transcendante, dont ils pensent être les seuls détenteurs.
En toute sincérité, ils sont aveugles au fait que, comme par hasard, cette rationalité sert leurs intérêts. Leur offrande faite à la déesse Raison, ils ne comprennent pas qu’on ne se rallie pas unanimement à leur point de vue, puisqu’il est rationnel.
À chaque fois qu’une prise de position française, logique par définition, est contrée, les Français sont confondus par ce qu’ils considèrent mauvaise foi ou stupidité : lorsqu’on est dans le vrai, le compromis n’est pas une option. »
C’est cela même qui fait sa force comme diplomate : « Je n’aime pas les mots vides de sens et les raisonnements fumeux qui trouvent parfois un asile dans les couloirs du Quai d’Orsay.
Je suis un diplomate qui fait mentir la réputation du Corps : j’aime la clarté, je respecte mes engagements et je ne mens pas. Je crois qu’à ce prix, le négociateur acquiert la confiance de son interlocuteur, avantage inestimable. »
RETOUCHE
article mis à jour le 6 janvier 2020
En mai 2019, Gérard Araud (73) quittait ses fonctions d’ambassadeur de France aux États-Unis. La publication de ses mémoires, sous le titre Passeport diplomatique, advint en octobre 2019 chez Grasset. Gérard Araud poursuit son analyse lucide des affaires du monde à partir de la rentrée de septembre dans une chronique mensuelle pour Le Monde. Il vient d’être nommé également n°2 de Richard Attias & Associates, l’organisateur de sommets internationaux. Il habite aussi désormais l’Upper East Side, dans Manhattan.