La forêt face au changement climatique : menaces et stratégies d’adaptation
Les cycles forestiers, souvent proches du siècle, s’accommodent mal de la vitesse des changements climatiques. Alors que la forêt, second puits de carbone mondial, serait susceptible de ralentir le réchauffement, elle risque d’en être l’une des premières victimes. Une politique audacieuse est nécessaire pour que les évolutions actuelles soient l’occasion de redynamiser une activité essentielle pour notre environnement et notre économie.
REPÈRES
La forêt française couvre 15,7 millions d’hectares, soit plus de 28% du territoire. Cette surface situe la France au 3e rang européen, derrière la Suède (28 millions d’hectares, soit 54 % du territoire) et la Finlande (23 millions d’hectares, soit 72% du territoire). Les trois quarts de la forêt française appartiennent à des propriétaires privés.
Les arbres plantés aujourd’hui seront présents dans 150 ans
La forêt présente la particularité d’avoir un cycle de production de l’ordre du siècle. C’est à la fois un avantage qui lui permet de stocker du carbone mais aussi un inconvénient, rendant délicat tout essai d’adaptation au changement climatique. La filière forestière est aujourd’hui en difficulté. Si des options fortes ne sont pas prises pour la soutenir, le risque est grand de voir se dégrader un pan de l’économie mais aussi un élément caractéristique du territoire national.
Anticiper le climat de 2100
Une gestion à long terme
Par rapport aux productions agricoles, la forêt a en effet une originalité forte : le long terme. Cette particularité permet une certaine souplesse comme, par exemple, le maintien des bois sur pied si les cours sont trop mauvais mais demande une adaptation continue aux évolutions de la société. Ainsi les chênes plantés par Colbert pour la marine il y a trois cents ans ont été convertis en meubles après la disparition des bateaux en bois. Les forestiers ont donc souvent une certaine distance vis-à-vis des grands problèmes qui agitent au jour le jour la sphère médiatique.
Le grand public a souvent du mal à se représenter les effets d’une évolution du climat qui se traduirait par une augmentation progressive des températures moyennes de 2 à 4 °C au cours des cent prochaines années. L’échéance du siècle paraît lointaine lorsque la préoccupation du moment est la météo des prochaines vacances. Pour le forestier au contraire, 2100, c’est demain.
Pourtant la forêt, qu’elle soit considérée comme espace naturel ou espace de production de bois, est un système biologique en prise directe avec les caractéristiques du milieu. Une question touchant au climat ne pouvait donc laisser les forestiers insensibles. Les arbres plantés aujourd’hui seront encore présents dans la majorité des cas dans cinquante ou cent ans, voire plus. Cela suppose qu’ils soient capables de supporter le climat actuel mais aussi le climat futur. Le sylviculteur ne peut pas en effet, comme l’agriculteur, adapter annuellement sa production aux évolutions de la conjoncture.
Incertitude climatique
Lors du renouvellement de ses peuplements, le forestier se posait jusqu’ici beaucoup de questions philosophiques liées directement au long terme : utilisera-t-on encore du bois dans un siècle, quelles essences, quels types de produits, à quel prix seront-ils payés ? Mais il avait une certitude : les conditions de croissance resteraient stables. Le sol et le climat moyens, immuables dans une région donnée, permettaient au moins un choix d’essences adaptées.
Cette certitude, la seule sur laquelle il pouvait s’appuyer, vient de voler en éclats. Les forestiers ont commencé à se préoccuper sérieusement du changement climatique au début des années 2000. La première impression ne fut cependant pas négative : l’augmentation de la température, accélérateur des réactions métaboliques, et celle du CO2, carburant de la photosynthèse productrice du bois, ne sont pas les ennemis du sylviculteur. Malheureusement, ils prirent très vite conscience que ces effets positifs initiaux allaient rapidement être contrebalancés par des effets négatifs bien plus importants.
Effets désastreux
En décembre 1999, deux tempêtes improbables balayèrent toute la France, renversant 170 millions de mètres cubes (plus de quatre années de récoltes), 15 fois plus que les tempêtes précédemment répertoriées de mémoire d’homme. Dix ans plus tard, la tempête Klaus s’acharna à nouveau sur les futaies de pins maritimes d’Aquitaine. En 2003, la plus forte canicule jamais enregistrée par Météo France, doublée d’une intense sécheresse, provoqua des dégâts massifs, et continue à avoir des séquelles aujourd’hui.
L’été 2003 sera un été moyen vers 2070
Si les climatologues ont toujours hésité à lier de façon sûre l’évolution des tempêtes au changement climatique, ils annoncent en revanche que l’été 2003 sera un été moyen vers 2070… La dernière décennie a donc été une période choc pour les forestiers, pourtant habitués aux caprices du climat. Ils comprirent que ce n’était pas directement la variation des taux de gaz dans l’atmosphère ou de la température qu’ils devaient craindre, mais les phénomènes induits.
Tempêtes et sécheresses
Après la tempête de 1999, les attaques d’insectes qui ont suivi et la sécheresse de 2003, nombre de peuplements forestiers ont beaucoup souffert : ici épicéas dans les Vosges.
Espèces à surveiller
Après 2003, de nombreuses essences se sont retrouvées en porte-à-faux : pin sylvestre en zone méditerranéenne, sapin dans les Alpes du Sud, épicéa et douglas dans les bordures du Massif central, chêne pédonculé un peu partout. Des essences qu’on croyait assez résistantes au déficit hydrique comme les chênes verts et pubescents, le châtaignier ou le pin d’Alep ont aussi été affectées.
L’accroissement des accidents violents est particulièrement redouté. Hormis les tempêtes (premier facteur de dégâts aux forêts), la première inquiétude des forestiers est l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des sécheresses estivales, corollaire de celle des températures.
Les sécheresses constituent le principal facteur déclenchant des dépérissements forestiers en perturbant et en affaiblissant durablement les arbres.
Incendies et parasites
Les incendies de forêt sont directement liés aux sécheresses. Ils risquent donc de s’amplifier et de concerner des zones où ils étaient jusqu’alors peu redoutés et où les infrastructures de protection ne sont guère développées (centre et ouest de la France…). Ainsi en 2003 les surfaces brûlées ont-elles atteint le record de 73000 hectares.
En 2003 les surfaces brûlées ont atteint le record de 73 000 hectares.
Les attaques parasitaires (insectes ravageurs et champignons pathogènes) inquiètent également les sylviculteurs. Si le changement climatique peut en favoriser certains et en défavoriser d’autres, le bilan semble bien être à l’avantage des premiers. Les parasites de faiblesse (scolytes, armillaires) ont de belles perspectives devant eux avec la multiplication des peuplements en difficulté après sécheresse, tempête ou incendie. Mais de nombreux autres parasites sont favorisés par l’augmentation des températures. Les insectes (comme la chenille processionnaire du pin) ou les pathogènes (comme les phytophthoras) qui étaient limités par les froids hivernaux ne sont plus régulés. D’autres comme les pucerons ou les scolytes du tronc voient le nombre de leurs générations multiplié en été.
Une carte forestière chamboulée
Menaces nouvelles
Des parasites exotiques envahissants pourraient trouver, dans une France plus chaude, des conditions favorables à un développement rapide sur des essences qui n’y sont pas habituées et en l’absence de leurs ennemis naturels. Certains sont déjà identifiés et font l’objet de surveillance aux frontières et de mesures de quarantaine : nématodes du pin, » flétrissement américain » du chêne…
Les aires potentielles de végétation devraient logiquement suivre les évolutions du climat, dans la mesure où chaque essence ne peut croître que dans des conditions de température et de pluviosité bien définies1. En 2004, les résultats de la première étude importante sur ce sujet, dans le cadre du programme Carbofor, firent beaucoup de bruit chez les forestiers et, ce qui est rare, eurent des échos dans les grands médias. Il y était montré que les aires bioclimatiques actuelles devaient progresser vers le nord de l’ordre de 500 km en un siècle, soit à une vitesse dix fois plus rapide que la capacité propre de migration de la plupart des essences forestières. Si ces simulations sont correctes, certaines espèces auront peu de chances de se maintenir dans des zones devenues inhospitalières (sauf dans certains refuges microclimatiques) mais elles n’auront pas non plus le temps d’occuper d’elles-mêmes les nouvelles aires favorables. De nombreuses incertitudes subsistent encore quant aux possibilités d’adaptation génétique des essences au nouveau contexte climatique, à l’évolution des cortèges de parasites et symbiotes et à la compétition avec de nouvelles espèces végétales. De grandes essences forestières françaises comme le chêne pédonculé, le hêtre, le sapin et l’épicéa (5 millions d’hectares à elles quatre, soit un tiers de la forêt française) sont désormais sur la sellette.
Stratégies d’adaptation
Le sylviculteur est forcément démuni face à une évolution aussi rapide à l’échelle des rythmes forestiers. Le besoin de connaissances est crucial dans de nombreux domaines.
Le chêne pédonculé, le hêtre, le sapin et l’épicéa sont sur la sellette
Le diagnostic » prospectif » des stations3 est devenu indispensable pour décider de l’installation de nouvelles essences ou du maintien d’essences en place. Comment les facteurs limitants de la croissance vont évoluer en un siècle sous la pression du climat ? L’autécologie des essences est un second point à préciser, notamment pour réorienter les programmes d’amélioration génétique.
Sylviculture dynamique
La sylviculture dynamique est caractérisée par des éclaircies précoces et fortes et par des densités de peuplements plus faibles, avec réduction des révolutions, lorsque c’est possible, autour de cinquante ans. Le but est de maintenir des peuplements sains, stables, plus résistants à la sécheresse mais aussi aux tempêtes et aux attaques de parasites. Cette voie semble prometteuse, mais n’emporte pas l’adhésion de tous. Sa mise en œuvre s’oppose notamment aux tendances à maintenir très longtemps sur pied les arbres, prônées par les tenants de la « sylviculture naturaliste ».
Sylviculture dynamique
La sylviculture dynamique est caractérisée par des éclaircies précoces et fortes et par des densités de peuplements plus faibles, avec réduction des révolutions, lorsque c’est possible, autour de cinquante ans. Le but est de maintenir des peuplements sains, stables, plus résistants à la sécheresse mais aussi aux tempêtes et aux attaques de parasites. Cette voie semble prometteuse, mais n’emporte pas l’adhésion de tous. Sa mise en œuvre s’oppose notamment aux tendances à maintenir très longtemps sur pied les arbres, prônées par les tenants de la « sylviculture naturaliste ».
Quelles sont les essences les plus résistantes au stress hydrique ? La tentation est grande d’appeler à la rescousse des essences exotiques, notamment résineuses, mais dont les caractéristiques sont encore largement inconnues. Au niveau technique, on a quelques idées à confirmer pour réorienter la sylviculture, axées sur la réduction du stress hydrique aussi bien au moment de la plantation et des entretiens que de la conduite des peuplements. Il semble judicieux de privilégier, par exemple, les peuplements à densité faible (futaie claire) ou de favoriser les mélanges d’essences ou de provenances (à la plantation ou en enrichissement de peuplements existants) bien qu’ils soient plus difficiles à conduire, pour ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier.
Les réseaux de surveillance seront aussi à renforcer, tant au niveau phytosanitaire que visà- vis des incendies (infrastructures à prévoir). Tous ces axes sont débattus dans le cadre d’un « réseau mixte technologique« 4 qui réunit depuis 2008 une douzaine d’organismes forestiers.
Une importance nouvelle
La forêt est reconnue comme le second puits de carbone après l’océan et est en ce sens susceptible de contribuer à la réduction du taux de CO2 atmosphérique. Le bois utilisé directement comme énergie permet aussi d’éviter de déstocker du carbone fossile. Cette substitution est permanente dans le temps et cumulative, le carbone « biologique » étant du carbone atmosphérique recyclé indéfiniment grâce à la photosynthèse.
Tous ces avantages donnent à la forêt une importance nouvelle. L’augmentation des surfaces boisées aurait donc un intérêt fort, d’autant qu’elle peut se faire sans regret puisque présentant des atouts multiples dans d’autres domaines, écologiques (réservoir de biodiversité ou de ressources génétiques, protection des sols, purification de l’eau…) ou sociaux (accueil du public, paysage…). Il faut néanmoins prendre garde à éviter certaines erreurs comme le stockage de volumes trop importants de bois sur pied (peuplements denses) qui les rendrait plus fragiles aux effets mêmes du changement climatique qu’on veut atténuer (sécheresses) et aux tempêtes. Il y a donc là un créneau à saisir, mais de façon judicieuse.
Un capital à entretenir
La forêt occupe plus du quart de la surface nationale mais reste le parent pauvre au sein du ministère de l’Agriculture dont elle dépend. Le long terme qui la caractérise ne favorise pas les spéculations économiques et bien peu de propriétaires forestiers privés (qui détiennent trois quarts des surfaces) vivent de leur forêt.
Peu de propriétaires privés vivent de leur forêt
Les risques importants, notamment de tempêtes, ne sont généralement pas couverts par les assurances, et les catastrophes successives, tout comme la réduction régulière des aides au boisement, constituent des éléments importants de démotivation.
Un danger perceptible
La disparition de l’état boisé et le développement des friches, déjà perceptibles suite aux récentes tempêtes, notamment dans les Landes, seraient dramatiques car sources à leur tour d’accroissement des risques (incendies), de déstockage de carbone, de désorganisation de la filière bois et de disparition de nombre d’avantages écologiques et sociaux.
Dans ce contexte, les incertitudes supplémentaires liées au changement climatique posent problème. S’il s’avérait que des dépérissements importants se généralisent dans les cinquante ans à venir, il est peu probable que les sylviculteurs puissent faire face seuls au renouvellement des peuplements. On assisterait alors à un désintérêt pour la forêt que seuls les aspects affectifs et patrimoniaux permettent aujourd’hui de contrer.
Il en résulterait un abandon des surfaces dépérissantes à elles-mêmes, une disparition partielle de l’état boisé et un enfrichement généralisé qui suivrait la remontée des influences méditerranéennes vers le nord. Seul un programme forestier ambitieux, amorcé en 2009 par le discours prononcé à Urmatt (Bas-Rhin), par le président de la République (19mai 2009), mais étendu à l’amont de la filière, pourra contrecarrer ces tendances.
Une période charnière
La forêt française est aujourd’hui dans une situation charnière, à la fois cible du réchauffement et moyen de l’atténuer. Plusieurs de nos essences ancestrales sont menacées, des certitudes techniques sont à reconsidérer, des recherches sont à réorienter.
La forêt, à la fois cible du réchauffement et moyen de l’atténuer
Après un grand dynamisme de reboisement jusqu’à la fin des années quatre-vingt soutenu par le Fonds forestier national, le soufflet est retombé sous l’effet de la réduction des investissements et de catastrophes à répétition. Les évolutions climatiques, brutales à l’échelle des cycles forestiers, lui porteront-elles le coup de grâce ou seront-elles l’occasion de redynamiser la filière ?
1. Ces besoins propres à chaque essence caractérisent son » autécologie ».
2. Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat.
3. Une station est une étendue de terrain bénéficiant de conditions homogènes de climat, sol, topographie et végétation.
4. RMT AFORCE : http://www.foretpriveefrancaise.com/aforce