La forêt, le bois et l’effet de serre
“Le bois contribue à la réduction de l’effet de serre en stockant durablement dans les constructions le gaz carbonique absorbé par la forêt. ” (Charte bois-construction-environnement, 28 mars 2001)
L’effet de serre1 et le gaz carbonique
Le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’Évolution du Climat (GIEC) a publié en 2001 son troisième rapport d’évaluation2 (le précédent datait de 1995). Ce document met en avant la corrélation qui existe entre l’augmentation du taux de gaz carbonique (CO2) dans l’atmosphère depuis le début de l’ère industrielle et l’augmentation des températures moyennes.
Il montre aussi que, dans l’hypothèse où l’on parviendrait à ramener en cent ans les émissions de CO2 d’origine humaine à leur niveau de 1990, la concentration de CO2 dans l’atmosphère et la température moyenne continueraient toutefois d’augmenter, à cause de l’inertie du système climatique, avant de se stabiliser à des niveaux supérieurs à ceux d’aujourd’hui (cf. encadré 1). D’où l’importance et l’urgence de cette mesure…
Le gaz carbonique émis dans l’atmosphère, essentiellement par suite de la combustion d’énergie fossile, est pour une partie fixé par les océans ou la végétation terrestre, grâce à la photo-synthèse. Le bilan annuel du CO2 dans l’atmosphère est le suivant3 (voir aussi encadré 2 pour une présentation graphique) :
Les forêts puits de carbone
Les écosystèmes terrestres jouent un rôle important dans le cycle mondial du carbone en retenant le carbone dans la biomasse vivante et morte, dans les matières organiques en décomposition et dans les sols.
Les processus de photosynthèse, de respiration, de transpiration, de décomposition et de combustion entretiennent la circulation naturelle du carbone entre les écosystèmes et l’atmosphère. Les forêts représentent 80 à 90 % du carbone stocké dans la végétation terrestre.
Toutes les forêts sont des réservoirs de carbone.
Lorsque le stock de carbone augmente, le flux net de l’atmosphère vers l’écosystème est positif : on parle alors de puits de carbone.
Dans l’autre sens, on parle de source de carbone.
En 19914, les stocks de carbone dans la forêt française métropolitaine (couvrant alors 14,5 Mha) étaient estimés à 2 000 MtC (millions de tonnes de carbone) :
- 860 MtC, soit 59 tC/ha en moyenne5, dans la biomasse aérienne et souterraine ;
- 1 140 MtC, soit 79 tC/ha en moyenne, dans la litière et les sols.
Le stock dans les produits bois a été estimé6 à 54 MtC ; le volume de bois enfoui dans les décharges est du même ordre de grandeur. Une étude en cours dans le cadre du programme « Gestion des impacts des changements climatiques » (GICC), confiée au Centre technique du bois et de l’ameublement (CTBA), devrait permettre de préciser ces chiffres.
Encadré 1 La concentration de CO2, la température et le niveau des mers continuent d’augmenter longtemps après les réductions d’émissions. (extrait de : Summary for Policymakers to Climate Change 2001 : Synthesis Report of the IPCC Third Assessment Report, IPCC, septembre 2001) |
L’évaluation des flux de carbone liés à la biomasse, aux sols forestiers et aux produits bois est assez délicate :
- pour la biomasse aérienne, la comparaison des données de l’Inventaire forestier national (IFN) amène à la conclusion d’une augmentation de 10,5 MtC/an pendant la période 1980–1990 (l’IFN couvre chaque année environ 10 % des départements français, ce qui explique que les dernières statistiques agrégées au plan national concernent les années 1990) ;
- pour les sols, quelques estimations pourront provenir à l’avenir des comparaisons des données du Réseau national de suivi à long terme des écosystèmes forestiers (RENECOFOR) ;
- pour les produits bois, il n’existe pas de dispositif de suivi national de l’évolution des stocks. La durée de vie des produits, avant combustion ou décomposition en décharge, varie de quelques semaines pour le papier journal à quelques siècles pour les plus belles charpentes… En France, la durée de vie moyenne des produits bois, hors papiers et cartons, a été estimée à dix-huit ans.
L’utilisation des produits bois permet bien de séquestrer du carbone pendant un certain temps. Mais elle permet aussi d’en économiser, puisque la fabrication des produits de substitution (métaux, ciment, plastique…) émet beaucoup plus de gaz à effet de serre. En quelque sorte, on gagne sur les deux tableaux.
De même, l’utilisation du bois-énergie est un substitut aux énergies fossiles et permet de réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre.
La combustion du bois ne dégage pas plus de CO2 que l’arbre n’en a prélevé dans l’atmosphère pour grandir. C’est une bonne valorisation des produits d’éclaircie de la forêt, des sous-produits de l’industrie du bois et des produits en fin de vie, sans contribution nette à l’effet de serre.
L’encadré 3 illustre les conséquences de tous ces éléments.
La prise en compte de la forêt dans le Protocole de Kyoto
La Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques, qui est entrée en vigueur en 1994, a pour objectif de stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau non dangereux pour l’humanité.
Encadré 2 (extrait de : Forêt et changement climatique, l’essentiel en 15 pages, ONF, février 2002) |
Dans le Protocole de Kyoto à cette Convention, 39 pays industrialisés et en transition s’engagent à réduire de 5,2 % en moyenne par rapport à l’année 1990 leurs émissions de CO2 et de cinq autres gaz à effet de serre, pour la période 2008–2012.
Ce Protocole n’est pas encore entré en vigueur ; il doit au préalable avoir été ratifié par 55 Parties, représentant 55 % des émissions en 1990 des pays industrialisés et en transition (règle des 55/55). Au moment de la rédaction de cet article, l’objectif affiché était qu’il entre en vigueur au moment du Sommet mondial du développement durable prévu à Johannesburg en septembre 2002, dix ans après le Sommet de la Terre de Rio de Janeiro.
Les Conférences des Parties de Bonn et Marrakech (2001) ont, entre autres, précisé les conditions dans lesquelles les puits de carbone seront comptabilisés dans le Protocole de Kyoto et pourront venir en déduction des engagements de réduction des émissions. Les règles sont différentes selon qu’il y a, ou non, changement d’affectation des terres.
Boisement, reboisement, déboisement (avec changement d’affectation des terres – article 3.3 du Protocole) : sous cet article, on comptabilisera les augmentations de stocks de carbone, entre 2008 et 2012, sur les terrains boisés ou reboisés par action directe de l’homme depuis 1990. On en déduira les diminutions de stocks de carbone sur les terrains déboisés (défrichés) entre 2008 et 2012.
Cet article a pour but d’encourager l’extension des surfaces boisées. Mais pour fixer le carbone libéré sous forme de CO2 une année donnée par déboisement et changement d’affectation des terres, il faut cinquante à cent ans de croissance d’un boisement sur une superficie équivalente7.
Bilan cumulatif de la séquestration de carbone et des émissions évitées, suite au boisement d’un terrain nu et à l’exploitation des arbres à maturité. |
Encadré 3 (extrait de : Troisième rapport d’évaluation du GIEC, septembre 2001) |
Le mode de calcul peut aboutir à un bilan négatif pour un pays comme la France où les surfaces forestières augmentent (plus de 80 000 ha/an, dont un peu plus de 10 000 ha de boisements), et où les stocks de carbone augmentent (10,5 MtC/an) : il a donc été décidé que, sous certaines conditions, les éventuels débits pourront être compensés.
Gestion forestière (sans changement d’affectation des terres – article 3.4 du Protocole) : sous cet article, on pourra comptabiliser les augmentations de stocks de carbone entre 2008 et 2012 dans les forêts gérées, en se limitant aux activités directement dues à l’homme depuis 1990. Cette augmentation est plafonnée et la France pourra bénéficier à ce titre d’un crédit de 880 000 tC/an maximal (33 MtC/an pour la Fédération de Russie).
La prise en compte des produits bois dans le Protocole de Kyoto
Les règles en vigueur pour l’élaboration des inventaires nationaux des émissions de gaz à effet de serre favorisent la valorisation énergétique du bois puisque les émissions liées à la combustion de biomasse ne sont pas comptabilisées. Elles prennent également en compte la séquestration de carbone dans les espaces naturels. Mais en revanche, elles n’appréhendent pas les efforts visant à séquestrer davantage de carbone dans les produits bois.
Même si tous les pays sont d’accord sur le fait qu’il serait légitime et souhaitable que ces efforts soient pris en compte, les avis divergent quant à l’approche à retenir.
Trois approches sont discutées dans le cadre de la Convention depuis mars 1996. Il a été décidé en novembre dernier à Marrakech de reconsidérer la question en 2004, lorsque seront discutées les modalités de mise en œuvre pour la deuxième période d’engagement du Protocole de Kyoto.
La première approche, dite des variations de stocks, consiste à comptabiliser pour chaque pays la variation de stocks de carbone, d’une part dans les forêts et, d’autre part, dans les produits bois d’une période sur l’autre. Les variations de stocks, reflétant des émissions ou des absorptions nettes de CO2, sont donc attribuées au pays où elles ont lieu et quand elles ont lieu.
La deuxième approche, dite des flux atmosphériques, consiste à comptabiliser, d’une part les absorptions nettes en forêt (l’exploitation du bois n’étant pas considérée comme une émission), et, d’autre part, les émissions en fin de vie des produits. Cette approche attribue donc bien les émissions et absorptions où et quand elles ont lieu.
La troisième approche, dite de la production, attribue l’absorption en forêt au pays où se situe la forêt et l’émission en fin de vie des produits bois quand elle a lieu, mais pour le pays où le bois a été produit.
Ces différentes approches ont toutes leur logique interne et permettent de comptabiliser pour l’ensemble des pays les mêmes quantités aux mêmes moments. Elles diffèrent néanmoins sur l’attribution entre les pays. Ainsi, en supposant qu’une forêt néo-zélandaise fournisse des meubles au Japon, le bilan des émissions et absorptions comptabilisées pour chaque pays sous les différentes approches et à chaque étape est le suivant :
Variations de stock | Flux atmosphériques | Production | ||||
Nouvelle-Zélande | Japon | Nouvelle-Zélande | Japon | Nouvelle-Zélande | Japon | |
Absorption en forêt Exploitation et exportation Fin de vie du produit |
+ 1 – 1 - |
+ 1 – 1 - |
+ 1 - - |
- - – 1 |
+ 1 - – 1 |
- - - |
On constate que l’approche des flux atmosphériques est plus avantageuse pour le pays exportateur, tandis que l’approche par les variations de stocks est favorable au pays importateur. L’approche par la production fournit un bilan intermédiaire, mais est plus difficile à justifier : un pays doit comptabiliser des émissions qui ont lieu hors de son territoire et sur lesquelles il n’a aucune prise.
Conclusion
Sans attendre que les décisions soient prises au niveau international, la France a inscrit la promotion du bois dans la construction comme une des mesures phare du Plan national de lutte contre les changements climatiques.
Une Charte « bois – construction – environnement » a été signée par les trois ministres concernés (Agriculture, Équipement, Recherche) et par les partenaires des filières bois et construction le 28 mars 2001. L’objectif est d’augmenter de 25 % la part du bois dans les nouvelles constructions d’ici 2010, ce qui doit permettre d’augmenter la séquestration de 1,8 Mt de CO2 par an.
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1. Voir le numéro de mai 2000 de La Jaune et la Rouge.
2. Climate change 2001, trois volumes et un résumé pour décideurs : voir le site http://www.ipcc.ch
3. Extrait du Rapport spécial du GIEC sur l’utilisation des terres, le changement d’affectation des terres et la foresterie, Résumé à l’attention des décideurs, 2000 (disponible sur le site cité ci-dessus).
4. DUPOUEY (J.-L.) et PIGNARD (G), Quelques problèmes posés par l’évaluation des flux de carbone forestier au niveau national, Revue forestière française LIII, 3–4‑2001.
5. Le record est de 180 tC/ha en région Rhône-Alpes pour des peuplements âgés de Douglas (conifère originaire de l’ouest des États-Unis et du Canada).
6. LOCHU (S), Évaluation des quantités de carbone stocké. Rapport à la Mission interministérielle de l’Effet de serre, 1998.
7. MIES, Les collectivités territoriales engagées dans la lutte contre les gaz à effet de serre — Mémento des décideurs, juin 1999.