La formation professionnelle en Suisse
La qualité de la main d’œuvre représente un atout prépondérant pour la compétitivité et l’attractivité de l’économie suisse. En l’absence de ressources naturelles et d’un grand marché intérieur à exploiter, ce petit pays se démarque par le niveau élevé de qualification de ses salariés.
La Suisse occupe ainsi la première place du Global Talent Competitiveness Index pour ce qui est de créer et d’attirer des talents. Cet atout lui permet de se spécialiser dans des secteurs à forte valeur ajoutée tels que la chimie, la pharmacie ou encore la mécanique de précision, qui sont aujourd’hui à la base de sa compétitivité.
Rappelons que le pays se positionne comme le leader mondial de l’innovation selon le dernier classement du World Economic Forum.
REPÈRES
En Suisse, la formation professionnelle est fortement valorisée, appréciée des jeunes et des employeurs. Rappelons qu’à l’issue de leur scolarité obligatoire près des deux tiers des jeunes Suisses s’orientent vers cette voie combinant des études à temps partiel dans une école professionnelle et des apprentissages en entreprise.
Ce système dual serait une des explications à la bonne insertion des jeunes sur le marché du travail, ainsi qu’un puissant atout pour soutenir la qualification de la main‑d’œuvre du pays.
Le système dual, clé de la qualification
Le fonctionnement efficace du système de formation dual joue un rôle clé pour soutenir l’économie suisse. Il est régulièrement mis en avant pour la qualité des enseignements, la proximité avec les besoins des entreprises et l’implication du monde économique dans son pilotage.
La Suisse peut se prévaloir d’un taux de chômage des jeunes parmi les plus faibles au monde (3 % contre 24 % en France).
Trois facteurs
Ce lien entre les univers de la formation et du travail s’explique par plusieurs facteurs. Cette proximité est d’abord historique : les premières filières de formation duales sont apparues dans le pays dès la fin du XIXe siècle, sous l’impulsion des corporations.
“ La Suisse se démarque par le niveau élevé de qualification de ses salariés ”
À l’époque, cet enseignement combinant théorie et pratique était déjà orienté vers le maintien d’une main‑d’œuvre hautement qualifiée, capable de répondre aux exigences de qualité imposées aux produits suisses.
Tour Roche à Bâle. La Suisse se spécialise dans des secteurs à forte valeur ajoutée comme la chimie ou la pharmacie. © HACHRI / FOTOLIA
Ensuite, l’importance dans le tissu industriel suisse de PME familiales, ancrées dans le territoire, favorise l’investissement dans la formation professionnelle, en raison de leur souci permanent de développer et transmettre leurs savoir-faire.
Enfin, la spécialisation de l’industrie suisse dans des secteurs de niche tels que l’ingénierie de précision, qui nécessitent des savoir-faire pointus, s’accorde particulièrement bien avec la formation en apprentissage.
De réelles perspectives d’évolution
Il n’est pas étonnant de constater que la formation professionnelle initiale en alternance représente le mode de formation le plus courant en Suisse, choisi par près des deux tiers des élèves à l’issue de la scolarité obligatoire (15 ans).
Contrairement à la France où le diplôme initial détermine en grande partie la carrière d’un individu et où les formations professionnelles sont encore vécues comme trop « cloisonnées », le système suisse offre de réelles perspectives d’évolution car il propose des passerelles systématiques entre les filières de formation initiale, qu’elles soient générales ou technologiques.
Ces passerelles existent aussi avec des filières de plus haut niveau. Un quart des titularisés de la formation professionnelle initiale poursuivent ainsi leurs études dans l’enseignement supérieur.
LA VALEUR DE L’APPRENTISSAGE
Différence majeure avec la France, la mobilité des apprentis suisses sur le marché du travail est très importante. Grégoire Evéquoz, directeur général de l’Office pour l’orientation et la formation professionnelle à Genève, affirme ainsi qu’« aucun diplôme de base ne constitue une clé pour arriver au sommet. C’est uniquement la formation continue qui permet d’y arriver ».
Cela explique que 75 % des jeunes Suisses considèrent que l’apprentissage permet de garder toutes les options ouvertes en termes d’évolution de carrière. De nombreux dirigeants de PME et cadres de l’industrie ont entamé leur carrière professionnelle par un apprentissage.
Ils connaissent cette voie, tiennent en haute estime l’intelligence pratique et savent apprécier à leur juste valeur les formations axées sur la pratique.
La « maturité professionnelle », équivalent suisse du bac pro, certifie un niveau de connaissances générales et ouvre l’accès aux études supérieures.
Martin Fischer, directeur de la communication du secrétariat d’État à la Formation, à la Recherche et à l’Innovation (Sefri), précise qu’à la différence de la France « la formation professionnelle et la formation académique ne sont pas en concurrence mais se complètent de manière optimale ».
Le décalage avec la France est criant : le choix de commencer par développer des habiletés pratiques permettant d’exercer rapidement un métier qualifié y est considéré comme risqué car les possibilités de poursuivre sa formation en cours de carrière sont rares.
Les insuffisances actuelles de l’offre de formation tout au long de la vie poussent ainsi les enseignants à encourager leurs élèves à acquérir dès leur formation initiale un maximum de compétences générales, qui faciliteront la poursuite de leurs études.
Un système tourné vers les besoins de l’entreprise
Le système dual de formation professionnelle tient largement compte des besoins des employeurs. C’est au secteur privé de définir le contenu de la formation et des qualifications requises en vue de l’obtention du certificat. Par conséquent, les 250 formations proposées tiennent compte des besoins du marché du travail.
“ La formation professionnelle initiale en alternance est le mode de formation le plus courant ”
Le succès du système suisse tient à la bonne coopération entre tous les acteurs : contrairement aux autres domaines de l’éducation, qui relèvent essentiellement de la responsabilité cantonale, la formation professionnelle est gérée à l’échelon fédéral par trois partenaires : la Confédération, les cantons et les partenaires sociaux – les « organisations du monde du travail » ou ORTRA.
Gouvernance tripartite
Au sein de cette gouvernance tripartite, les ORTRA élaborent le contenu des programmes, les qualifications ainsi que les examens. Ils jouent donc un rôle prépondérant dans la définition de l’offre de formation professionnelle.
En France, il existe bien des commissions professionnelles consultatives (CPC) chargées de donner un avis sur les besoins en formation, leur contenu et sur les certifications.
Cependant, certains observateurs soulignent que, compte tenu de la lourdeur des travaux, les organisations professionnelles, patronales ou syndicales, délèguent des permanents plutôt que des industriels et des salariés.
Tout l’enjeu repose dès lors sur la capacité de ces derniers à être en prise avec les réalités du terrain pour définir des formations initiales adéquates.
Un marché des places d’apprentissage
Autre différence, la Suisse dispose d’un véritable « marché des places d’apprentissage », au sein duquel ce sont les entreprises qui fixent le nombre de places ouvertes en fonction de leurs besoins. Selon l’OCDE, un tiers des entreprises proposent des places d’apprentissage, un chiffre impressionnant si l’on considère que 99,7 % des entreprises sont des PME.
Institut fédéral suisse de technologie à Zurich. Un quart des titularisés de la formation professionnelle initiale poursuivent leurs études dans l’enseignement supérieur. © DRSERG / FOTOLIA
À titre de comparaison, un sondage Ipsos commandé par le Medef en mars 2015 révèle que seuls 27 % des chefs d’entreprises français envisagent de prendre un jeune en apprentissage au cours des douze prochains mois.
Concrètement, une plateforme de mise en relation a été créée afin que les élèves souhaitant démarrer une formation duale puissent démarcher directement les entreprises qui recherchent des apprentis. Une fois leur contrat de travail signé, les organismes de formation sont ensuite chargés de proposer les enseignements adaptés aux besoins des entreprises.
En cas d’inadéquation entre l’offre et la demande, le Sefri intervient par exemple pour financer la création de réseaux d’entreprises formatrices, pour aider les élèves dont le niveau est plus faible à trouver une place d’apprentissage (case management) ou pour encourager les entreprises à proposer des places d’apprentissage.
Un modèle de réussite menacé
Le système dual suisse est considéré comme un modèle de réussite. Il favorise l’employabilité des jeunes et compte bien d’autres avantages : étant orienté vers la pratique, il permet à des élèves moins scolaires de développer d’autres compétences.
“ Un tiers des entreprises proposent des places d’apprentissage ”
Cette formation est également meilleur marché pour l’économie et les pouvoirs publics qu’une formation académique. Reste que des inquiétudes commencent à se faire sentir en Suisse quant à la possibilité de perpétuer ce modèle de formation professionnelle.
D’un côté, tout comme en France, le système éducatif suisse suit une tendance à l’« universitarisation » des formations avec le développement d’enseignements théoriques au détriment de la pratique, même au sein des formations professionnelles.
D’un autre côté, alors que les grandes entreprises industrielles ont joué un rôle pionnier dans le développement de l’apprentissage à la fin du XIXe siècle, la place grandissante des groupes multinationaux ne s’identifiant pas à la tradition suisse en matière de formation constitue une menace pour le système dual.
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Apprentissage et écoles d’ingénieurs en Suisse
En complément de cette intéressante présentation, quelques mots sur les nombreuses écoles d’ingénieurs suisses de type HES (hautes écoles spécialisées). Elles recrutent principalement sur des maturités professionnelles (équivalent Bac pro), et ceux qui viennent avec un bac général doivent commencer par une année en entreprise. Ce qui peut surprendre quand on connaît le modèle français, c’est qu’on obtient ainsi, après 3 années d’études (sanctionnées par un titre de Bachelor), d’excellents ingénieurs. Pas mal de ces filières sont aussi accessibles « en emploi », à temps partiel aménagé, concourant à la possibilité d’une évolution de carrière par étapes. Ce sont ces ingénieurs qui font très largement fonctionner l’industrie suisse. Il y a là aussi un dispositif qui mérite d’être analysé de près, car il concourt aussi à un corps social en entreprise où les classes sont bien moins marquées qu’en France (avec donc bien moins de conflits).
M. Kasser, responsable de filière à la HEIG-VD (Suisse), précédemment directeur d’écoles d’ingénieur en France