La fourmi et la cigale

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°622 Février 2007Par : François MougenotRédacteur : Philippe Oblin (46)

On ren­contre des gens qui vont au théâtre pour s’imbiber de grands sen­ti­ments et com­mu­nier à l’exaltation des droits de l’homme. D’autres, ou les mêmes, avec le des­sein de se vivi­fier l’intellect en par­ti­ci­pant à la pen­sée post­mo­derne. Cer­tains pour­tant y vont tout bon­ne­ment pour pas­ser un moment agréable, ce qui ne les empêche pas, loin de là, de savou­rer un éven­tuel déploie­ment d’intelligence. À ces der­niers, et j’en suis, je recom­man­de­rai un spec­tacle éblouis­sant de finesse et d’esprit : La four­mi et la cigale, joué au Petit Héber­tot par l’auteur Fran­çois Mou­ge­not et son frère Jacques, qui l’a mis en scène.

Sous vos yeux, ils donnent vie à des pas­tiches d’auteurs fami­liers du public éclai­ré, bâtis autour du thème, connu depuis Ésope, de la ren­contre entre la pingre four­mi et l’insouciante cigale. Pour la pre­mière fois peut-être dans l’histoire du théâtre, le genre lit­té­raire « pas­tiche » se voit por­té sur la scène et, croyez-moi, le résul­tat vaut son pesant d’orviétan.

Existent deux sortes de pas­tiches, que notre auteur manie d’ailleurs avec autant d’adresse l’une que l’autre. Dans la pre­mière, le pas­ti­ché est ouver­te­ment moqué, façon Paul Reboux, ou même Proust se payant la figure de Flau­bert. La seconde, res­pec­tueuse du pas­ti­ché, mobi­lise son style et sa sen­si­bi­li­té pour évo­quer une situa­tion amu­sante, ou ridi­cule. Cas, par exemple, de Cur­tiss dans deux livres mer­veilleux : La Chine m’inquiète, sur les évé­ne­ments de Mai 68, et La France m’épuise, sur les élec­tions de 1981.

Fran­çois Mou­ge­not sou­met le père Hugo à la mou­li­nette de son iro­nie et l’on entend son frère décla­mer une splen­dide envo­lée d’une cen­taine d’alexandrins tirés de La Légende des siècles, où il est dit com­ment une cigale, pareille à un pauvre che­va­lier du Graal, pour­sui­vit l’interminable quête d’un mythique grain de mil, mais à la fin…

La four­mi répon­dit en tour­nant les talons

« C’est du Vic­tor Hugo. Il faut que ce soit long. »

Dans le même genre, on assiste aus­si à une mau­vaise saga de télé­vi­sion où Mike (la four­mi), verre de whis­ky à la main, et Dave (la cigale) s’invectivent puis se récon­ci­lient avec gran­di­lo­quence à pro­pos d’une sombre his­toire d’amour, à quoi l’on ne com­prend rien comme il se doit mais peu importe : la charge émo­tion­nelle des mots et la pers­pec­tive d’un pro­chain épi­sode suf­fisent à sou­te­nir l’attention du spec­ta­teur. Et puis, il est tout de même ques­tion pour Dave (la cigale) de ten­ter sa chance dans un dancing.

L’auteur sait encore nous amu­ser sans man­quer de res­pect pour ses illustres pré­dé­ces­seurs : vous enten­dez donc cigale et four­mi dia­lo­guer dans les langues de Racine, Molière, Sha­kes­peare (habi­le­ment tra­duit), Labiche, Fey­deau, Pagnol, Audiard et quelques autres. Pas seule­ment dans le lan­gage d’ailleurs, mais aus­si dans l’atmosphère propre à cha­cun d’entre eux. Cela est par­ti­cu­liè­re­ment sai­sis­sant dans le cas de Pagnol : la cigale entre dans le bis­trot tenu par la four­mi, et elles causent, elles causent, de tout et de rien, de la devan­ture repeinte de frais, du chant de la cigale, pas de la musique de juke-box, de la vraie musique, de la musique natu­relle, celle qui fait venir la clien­tèle, affirme-t-elle. Et comme la four­mi croit plu­tôt à la ver­tu de sa façade neuve pour atti­rer les cha­lands, la conci­liante cigale conclut : Les deux. Le visuel les attire et l’auditif les retient. Du pur Pagnol ! L’entretien se pro­lon­geant, la four­mi vou­drait bien mettre la cigale à la porte. La cigale pro­teste : Écoute-moi, que je t’essplique ce que je viens faire ici. – Mais je le sais bien, Ciga­lou, ce que tu viens faire ici. Tu viens man­ger une soupe de pois­son à l’œil. Bon, allez, viens à la cui­sine ! Je vais t’en faire réchauf­fer une assiette.

La seule his­toire de cigale et de four­mi de tout le spec­tacle qui se ter­mine bien : du pur Pagnol aussi !

Avec les frères Mou­ge­not, le temps passe vite et sont hélas trop tôt ache­vées ces deux petites heures d’humour des idées, d’intelligence du texte et de maî­trise du métier. À pro­pos de sûre­té de métier, je me dis qu’il est per­mis d’y voir le bien­fait de la for­ma­tion reçue par les deux comé­diens à l’école de Jean-Laurent Cochet, dont ils furent l’un et l’autre élèves et même, dans le cas de Jacques, assis­tant. Il faut savoir que M. Cochet modèle ses élèves en leur fai­sant d’abord dire des fables de La Fon­taine. Le résul­tat est éblouis­sant. De sorte que l’on ne peut s’empêcher de regret­ter que notre pré­sente Édu­ca­tion (?) natio­nale ne fasse plus apprendre ces courts textes aux petits Fran­çais. Que voi­là une leçon de bien par­ler dont la rue de Gre­nelle devrait s’inspirer !
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La four­mi et la cigale, de Fran­çois Mou­ge­not, dans une mise en scène de Jacques Mou­ge­not, au Petit Héber­tot, 78 bis, bou­le­vard des Bati­gnolles, 75017 Paris. Tél. : 01.43.87.23.23.

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