La France, élève médiocre mais en progrès de la classe européenne
On évoque volontiers la masse législative européenne qui s’applique dans notre pays. On s’intéresse plus rarement à la qualité de sa mise en oeuvre, un point pourtant essentiel, puisque, hormis dans le domaine agricole, la grande majorité de la législation européenne n’est pas directement applicable.
Elle se présente sous la forme de « directives », autrement dit de lois dont les modalités précises demandent à être « transposées » dans la législation nationale. Le droit européen, une fois adopté par le législateur, Parlement européen et Conseil des Ministres, s’impose au droit national selon une ancienne jurisprudence du Conseil d’État : c’est ce qui fait dire parfois que l’ordre juridique européen a des aspects fédéraux.
Mais l’exécutif national est ensuite responsable de l’inscription des directives dans le droit français, ce qui s’accomplit le plus souvent par voie réglementaire.
REPÈRES
On distingue deux catégories d’actes législatifs européens : les règlements, nombreux dans le domaine financier, qui s’appliquent directement, et les directives qui définissent des principes ou des obligations dont la mise en œuvre demande une traduction (transposition) dans la législation nationale.
Des rapports annuels au Parlement européen
« Gardienne de l’application des traités européens », la Commission européenne doit veiller à ce que ces transpositions soient effectives dans tous les États membres, passé un délai que précise chaque directive. Il y va non seulement de l’égalité de concurrence entre les États, mais aussi de la citoyenneté européenne basée sur l’existence des droits ouverts par ces directives dans toute l’Union.
Entre 2005 et 2009 la France gagne trois places au classement des meilleures performances européennes
Depuis que ses pouvoirs législatifs ont été renforcés, le Parlement européen, qui incarne la citoyenneté européenne, exige de la Commission des rapports annuels publics, réguliers et précis sur « l’application du droit communautaire ».
De l’examen du plus récent de ces rapports qui porte sur l’année 2011 il est difficile de ne pas retenir l’impression que notre pays se classe plutôt dans les moins bons élèves. À chaque stade du contrôle de qualité (voir encadré sur l’organisation juridique de ce contrôle), la France est mal placée : onzième pour le retard à la transposition des directives avec trente textes en souffrance fin 2011, elle est quatrième pour le nombre de plaintes déposées pour mauvaise application des directives, cinquième avec 95 procédures d’infraction en cours (y compris les retards de transposition), seconde dans la catégorie des grands États membres avec 7 condamnations prononcées par la Cour de justice après saisine de la Commission européenne.
Des progrès notables
Il y a dix ans, la situation était encore plus défavorable : nous étions alors en tête parmi les cinq plus grands pays pour le nombre de dossiers d’infractions (191) comme pour le nombre « d’avis motivés » (125), second derrière l‘Italie pour le nombre de saisines de la Cour de justice (53).
Amendes salées
Nos retards nous ont valu certaines condamnations spectaculaires, car assorties d’astreintes financières : ainsi de la non-application de la directive sur la protection des oiseaux sauvages (applicable en 1984, premier jugement de la Cour en 1988, amende de 108 000 euros par jour en 1998), ou encore, amende pour la non-application des mesures de contrôle destinées à la protection des réserves de pêche (directive applicable en 1984, premier jugement de la Cour en 1991, astreinte de 305 000 euros par jour ayant conduit à la mise en oeuvre correcte des contrôles en 2001).
Au cours de la dernière décennie cependant, le Secrétariat général des Affaires européennes (SGAE) chargé de coordonner l’application des règles européennes par les différents ministères français a accompli des efforts notables pour diminuer les retards et réduire, en coopération avec la Commission, les cas de mauvaise application : entre 2005 et 2009 la France gagne trois places au classement des meilleures performances européennes.
Aujourd’hui l’environnement ne semble plus être la cause principale des procédures d’infraction imputables à la France mais plutôt la fiscalité avec 19 % des cas recensés fin 2011, avant l’environnement (16 %), le marché intérieur et les transports, chacun pour 14 %.
En cause, la délicate mise en oeuvre de la libéralisation de l’énergie et des télécommunications qui s’accommode mal de taxations spécifiques pénalisant des opérateurs extérieurs.
Pesanteurs politiques
À regarder de près les cas lourds de mauvaise application du droit communautaire sur une plus longue période, on peut faire l’hypothèse que nos dysfonctionnements ne tiennent pas à des négligences administratives ou à une insuffisance de moyens. Selon l’OCDE, la France reste parmi les premiers pays pour l’importance de sa fonction publique (22% de la population active, dont 46 % au titre de l’administration centrale en 2005).
Un écho de nos difficultés à mener les réformes de structure
Les cas les plus difficiles reflètent les protections dont bénéficient certaines professions protégées, y compris les postes de responsabilité dans la fonction publique, qui, en dehors des domaines régaliens, sont en principe accessibles aux Européens de diplôme comparable.
Ils sont aussi liés à l’influence dont jouissent encore certains groupes de pression auprès de leur ministère de « tutelle ». Mais ce dernier cas devrait être nuancé.
En matière d’environnement, les accords conclus à Bruxelles par le Conseil des ministres avec le soutien de la France n’ont pas toujours été précédés d’études d’impact suffisantes reflétant la réalité des situations locales et le temps nécessaire à des adaptations complexes.
Les difficultés de la France en matière de transposition du droit européen apparaissent souvent comme un écho de ses difficultés internes à mener les réformes de structure conçues loin de la base.
Une surveillance strictement définie
La surveillance par la Commission européenne de l’application correcte du droit européen par les États membres obéit à des règles juridiques strictes définies aux articles 258 et 260 du Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE). Dans une phase précontentieuse (art 250), la Commission est susceptible d’ouvrir une procédure d’infraction à l’encontre d’un État membre pour « défaut d’application » de la législation européenne, essentiellement le retard de transposition ou la mauvaise transposition d’une directive.
Les cas de mauvaise transposition sont décelés par la Commission le plus souvent sur base de plaintes reçues, émanant de tout citoyen d’un État s’estimant victime d’une mauvaise application, soit sur base d’une enquête menée à son initiative. Si la plainte semble validée par les explications fournies par l’État membre, la Commission émet « une mise en demeure » qui ouvre une phase de négociation avec l’État membre pour lui permettre de prendre des dispositions correctrices.
À défaut de correctifs suffisants, la Commission émet un avis motivé annonçant l’imminence d’une saisine de la Cour de justice. Un délai s’ouvre au terme duquel démarre éventuellement la procédure contentieuse. La Commission saisit la Cour, si encore nécessaire. C’est la Cour et non la Commission qui juge s’il y a eu en effet mauvaise application du droit européen.
En cas de résistance persistante d’un État, une seconde saisine est possible de la part de la Commission sur base de l’article 260 du Traité (TFUE). Elle est alors assortie de propositions de sanctions financières que seule la Cour est habilitée à décider. Ces sanctions ou astreintes sont calculées en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction. Elles peuvent être très lourdes et conduisent généralement à un règlement du litige.
Commentaire
Ajouter un commentaire
article de Jérôme Vignon sur les directives européennes
Question :
Les amendes salées sont-elles effectivement payées (ex. non-application des mesures de contrôle destinées à la protection des réserves de pêche) ?
Merci
LM