La France en 1865, une embryogenèse silencieuse
Le pays devient une grande puissance coloniale, ce dont témoigne Jules Verne (trois Anglais découvrent l’Afrique dans Cinq semaines en ballon, 1862 ; Aventures de trois Russes et de trois Anglais dans l’Afrique australe, 1870).
La France entière se satisfait du régime impérial. Certes, Napoléon III, qui jouit de l’estime et même de l’affection générale, s’englue dans l’aventure mexicaine (1862−1867).
REPÈRES
La France est une nation de 38 millions d’habitants, dont encore 70 % d’agriculteurs, en contraste avec l’Angleterre, sa rivale, bien davantage industrialisée. La mortalité infantile chute considérablement. Mais le développement du rail prépare l’exode rural des décennies suivantes. La ligne Paris-Brest est achevée en 1865.
Les mulsulmans, déjà
L’ouverture de la France à l’outre-mer des cinq continents, avec le percement du canal de Suez par Ferdinand de Lesseps (1859−1869), la mise en place du premier câble transatlantique entre l’Europe et les États- Unis, se paient : le phylloxéra arrive d’Amérique et ruinera les viticulteurs.
“ Une période de consolidation et de constructions ”
Une épidémie de choléra, après une tête de pont phocéenne, gagne Paris, où elle fait plus de 6 000 morts en 1865–1866. Le pèlerinage de musulmans à La Mecque en est la cause.
Les gouvernements français et britannique veulent le contrôler : comme quoi, des problèmes brûlants d’aujourd’hui ont une bien plus grande ancienneté.
Esquisse d’union monétaire
Une première esquisse d’union monétaire européenne vit aussi le jour en 1865. Félix Esquirou de Parieu, vice-président du Conseil d’État, ébaucha l’embryon d’une union monétaire moderne qui rassemblerait en 1867 la France du Second Empire, l’Italie, la Suisse, la Belgique et la Grèce.
La première Conférence télégraphique internationale se tint à Paris en 1865. Vingt États européens – mais non la Prusse, que la France, puissance invitante, avait exclue – signèrent la première Convention télégraphique internationale, qui jeta les bases de la télégraphie internationale.
On peut y voir les prémisses de la grande révolution des télécommunications.
Chaque État signataire était tenu de battre une monnaie dotée du même calibrage en or et en argent. Ces pièces circulent parallèlement à la monnaie nationale et sont interchangeables dans les pays membres.
Cette Union latine connut ses premiers heurts lors de l’échec de l’élargissement au Royaume-Uni en 1867, et ne survécut pas à la défaite de 1870, puis à la Grande Guerre. Cela encore reste d’actualité.
De la Terre à la Lune
Jules Verne publia en 1865 De la Terre à la Lune. Son succès s’accompagna de critiques, les données scientifiques étaient indéfendables.
Une décennie plus tard, l’auteur, pour éviter un reproche similaire, recrute le polytechnicien Albert Badoureau (1872), major d’entrée et de sortie, pour des calculs de mécaniques rationnelle et céleste préparatoires à l’écriture de l’ultime chapitre de Sans dessus dessous, ou la Terre désaxée (1889), roman où réapparaîtront des personnages du livre de 1865.
Édouard Riou , Cérémonie d’inauguration du canal de Suez à Port-Saïd, le 17 novembre 1869.
© RMN – GRAND PALAIS (DOMAINE DE COMPIÈGNE) / DANIEL ARNAUDET
Arts et Lettres
On se presse aux opérettes d’Offenbach, données au théâtre des Variétés. Saint- Saëns fait jouer son premier concerto pour piano.
Les Chroniques italiennes de Stendhal sont de 1865. Flaubert a publié Salammbô en 1862, l’année même de la publication des Misérables, dont l’auteur, face au coup d’État, choisit l’exil à Guernesey. Hugo publie en 1865 ses Chansons des rues et des bois. La Légende des siècles est de 1859.
Eau à tous les étages
PASTEUR ET LES MICROBES
Face aux laboratoires prussiens, largement mieux équipés, les scientifiques français crient misère. Ce n’est pas nouveau, non plus.
À la requête du gouvernement, Pasteur accepte d’étudier les maladies des vers à soie (1865−1869). Il publie ses travaux sur l’origine microbienne des maladies et brevète la pasteurisation.
Le désastre de 1870 fait pièce à la comparaison, sinon tentante – un parallèle Hugo-Sartre ? –, avec les années 1960 et l’ouverture des trente glorieuses, un siècle plus tard. L’analogie se défend, à maints égards.
Après l’ébranlement des révolutions de 1848, 1865 se situe dans une période de consolidation, de constructions. En 1865, la rénovation de Paris par Haussmann est en bonne voie.
Les chantiers des jardins et surtout des réseaux d’eau ne sont pas terminés : la promesse de l’eau à tous les étages sera tenue, plus tard.
S’achève aussi la séduction, lancée par le Romantisme, du Moyen Âge et du gothique. Viollet-le-Duc, après sa « restauration » de Notre-Dame de Paris, construit à Abbadia, au Pays basque, un château moyenâgeux, digne de Louis II de Bavière ; et il restaure Pierrefonds, à son goût comme on sait.
L’âge d’or de la science
La science est la nouvelle maîtresse en titre. On est en plein âge d’or de la vulgarisation scientifique. Louis Figuier publie Les Grandes Inventions modernes dans les sciences, l’industrie et les arts. La Pluralité des mondes habités de Camille Flammarion est de 1862.
L’ouverture à l’étranger est aussi culturelle et intellectuelle. Baudelaire publie en 1865 sa traduction des Histoires grotesques et sérieuses d’Edgar Allan Poe. Une autre manifestation en est la diffusion du darwinisme. L’Origine des espèces est de 1859.
L’un des échos fut la parution en 1864 du grand roman initiatique, Voyage au centre de la Terre.
Positivisme, Déterminisme et Scientisme
Les idéologies dominantes, au sein de la bourgeoisie, la classe sociale elle aussi triomphante – les grands magasins du Printemps s’ouvrent cette année-là –, sont le positivisme, le déterminisme et le scientisme.
“ Une année propice aux germinations ”
Émile Littré, apôtre du premier, achève de publier son célèbre Dictionnaire en 1865. Taine voit dans la race, le milieu et le moment la matrice de toute explication historique et de la critique littéraire. Il publie en 1865 sa Philosophie de l’art et ses Nouveaux essais de critique et d’histoire.
Quant à Renan, qui certes écrivit L’Avenir de la science en 1848, il le vit publié en 1890 seulement. Sa Vie de Jésus est de 1863, elle fit date dans le recul de la religion vis-à-vis de la science.
Le régime impérial surveilla les attaques contre la religion, l’anticléricale George Sand sera contrainte à l’autocensure de certains passages de Mademoiselle La Quintinie.
LA REVUE ROSE
L’éditeur Germer Baillière avait lancé en 1863 sa Revue des cours scientifiques de la France et de l’étranger – surnommée Revue rose pour sa couverture. On peut y lire, l’année 1865, des leçons d’Alexandre Edmond Becquerel, Claude Bernard, Berthelot, Pasteur, Sainte-Claire Deville, Wurtz.
Les années suivantes, la Revue rose informera son lectorat d’avancées majeures à l’étranger, survenues en 1865, comme les lois de Maxwell et la formulation par Clausius du Second Principe de la thermodynamique. C’est en 1865 que Mendel formule les lois de la génétique.
Une année pivot
La même année 1865, décidément un pivot, Claude Bernard publie son Introduction à l’étude de la médecine expérimentale : à la suite de son maître et prédécesseur au Collège de France, Magendie.
Bernard y proclame le fondement physicochimique de la physiologie, surtout redevable donc de la méthode expérimentale de Francis Bacon. Bernard va bien outre, conceptualisant, à suivre Alain Prochiantz, une « embryogenèse silencieuse ».
Un propos à généraliser ? Embryogenèse silencieuse, l’année 1865 fut propice aux germinations.