La France et l’IA, vues de la Silicon valley
La France a beaucoup d’atouts dans le développement de l’intelligence artificielle, à la fois par la formation et la qualité des ses ingénieurs et par la politique incitative de l’État. Mais de là à voir l’émergence d’un leader régional, voire mondial, il y a un pas difficile à franchir.
Après mes débuts en tant que data scientist chez BNP Paribas, j’ai rejoint Cathay Innovation, fonds de capital- risque au modèle unique, à la frontière entre start-up et grands groupes au niveau mondial. Nous mettons en contact partout dans le monde nos grands groupes partenaires avec des start-up.
Notre fonds contribue ainsi à rapprocher le monde des start-up et celui des grandes entreprises. Nous voyons ce triptyque entre grands groupes, start-up et investisseurs comme un véritable catalyseur de la 4e révolution industrielle.
Ce type de coopération tend à se développer. Par exemple, SoftBank vient de lancer un fonds de 93 milliards de dollars réunissant des fonds souverains, des investisseurs institutionnels et des grands groupes industriels, pour investir dans des secteurs d’avenir incluant l’intelligence artificielle.
La présence de fonds souverains montre l’enjeu pour les États d’anticiper la révolution en cours.
REPÈRES
Cathay Innovation est une activité de capital-risque récemment lancée par Cathay Capital, leader dans les investissements internationaux entre l’Europe, la Chine et les États-Unis.
De nombreux grands groupes français comme Valeo, Michelin, BNP Paribas Cardif, Total, Seb, ou Groupe ADP, sont devenus des partenaires privilégiés du fonds.
L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE VUE DE LA SILICON VALLEY
Jusqu’à présent, nous n’avons pas assisté au remplacement tant redouté des humains par la machine. On a pu constater en revanche un recentrage progressif de ces derniers sur des tâches à plus forte valeur ajoutée pour l’entreprise avec une aide à la décision apportée par l’intelligence artificielle.
Jusqu’à présent, nous n’avons pas assisté au remplacement tant redouté des humains par la machine. © TIAGOZR
Un des premiers cas d’usage est la détection automatisée de fraudes ou d’anomalies : se passer d’humains (ou en diminuer le nombre requis pour ces opérations) permet de traiter un nombre considérablement plus élevé de requêtes, contrebalançant aisément une précision potentiellement plus faible au départ.
Un grand nombre de start-up cherchent aussi à améliorer au sens large tout ce qui relève de l’expérience client. Par exemple, on a vu émerger récemment des outils d’aides à la vente ou au support qui conseillent en direct des vendeurs ou des assistants en centre d’appel sur les phrases à prononcer pour convertir des prospects ou garder des clients mécontents, selon leur profil.
En revanche, les chatbots ont encore besoin d’une prise en main humaine pour de nombreuses tâches.
Par ailleurs, l’intelligence artificielle commence aussi à affecter la gestion de la production. De nombreuses start-up développent des plateformes pour améliorer la maintenance et l’exploitation des machines de production, ou optimiser les chaînes d’assemblage. Néanmoins, le retour sur investissement est parfois difficile à démontrer.
Enfin, un dernier exemple intéressant à mentionner concerne la régulation, lors de la mise en application du Règlement général sur la protection des données, pour savoir où se trouve l’ensemble des données à chaque instant, et qui y a accès. Anticipant ce challenge, de nombreuses start-up se spécialisent dans les technologies de data mapping.
En résumé, toutes les fonctions clés d’une entreprise vont être touchées, couche par couche et de manière interconnectée, avec un réel risque de marchandisation de certains métiers.
LA CHINE, LEADER EN PUISSANCE DANS L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
À de nombreux égards, la Chine est en avance sur l’Occident dans l’adoption de technologies liées au mobile, aux moyens de paiement et aux réseaux sociaux. De nombreuses start-up florissantes émergent, fondées par des talents formés par les meilleures universités occidentales et chinoises.
LES RH À L’HEURE DE L’IA
Un autre domaine largement impacté aux États-Unis est la gestion des ressources humaines, du processus de recrutement au management des talents acquis.
À titre d’illustration, ces technologies permettent d’écrire des offres plus efficaces selon les profils recherchés et d’effectuer un meilleur filtrage des candidats, grâce à des éléments de théorie du langage couplés à du profilage psychologique.
L’écosystème entrepreneurial dispose de beaucoup de capital, avec un marché domestique mature, et des talents à foison, permettant à la Chine de faire jeu égal avec les États-Unis ou l’Europe en termes d’innovation.
De plus, il existe en Chine autant de grands groupes capables d’acquérir et financer des start-up qu’aux États-Unis (Alibaba, Tencent, Baidu ou Xiaomi par exemple).
La Chine accélère son développement, avec un soutien important du gouvernement. Ainsi, ce dernier a annoncé récemment un plan pour faire de ce pays le leader dans le domaine de l’IA pour 2030. Il a aussi annoncé un plan d’investissement massif dans la modernisation des transports, en particulier celui de la voiture autonome et connectée, ce qui donne à certaines start-up chinoises des perspectives d’avenir aussi brillantes que les meilleures de la Silicon Valley.
LA FRANCE A DES ATOUTS
La France peut-elle faire jeu égal avec ces mastodontes ? Elle a un grand nombre d’atouts qu’on aurait tort de sous-estimer.
“ L’État a toutes les cartes en main pour aider l’écosystème entrepreneurial à se développer ”
Tout d’abord, les ingénieurs français sont très appréciés en Silicon Valley : ils sont vus comme loyaux et très bien formés, notamment dans les data sciences.
De plus en plus de géants globaux comme Facebook, General Electric ou Huawei décident d’installer des bureaux de R & D en France, pour profiter de la qualité élevée de nos ingénieurs et de salaires plus abordables qu’en Californie.
De plus en plus de géants globaux comme Huawei décident d’installer des bureaux de R & D en France, pour profiter de la qualité élevée de nos ingénieurs et de salaires plus abordables qu’en Californie. © IVAN GARCIA / SHUTTERSTOCK.COM
De nombreuses décisions favorables ont été prises ces dernières années pour stimuler l’écosystème, allant du développement de l’appétence pour l’entreprenariat chez les étudiants en amont, à l’accès à davantage de sources de financement et de structures d’accompagnement en aval (création et succès de Bpifrance, ou lancement de nombreux incubateurs, dont le géant Station F).
En outre, les relations entre les laboratoires de pointe des meilleures universités et grandes écoles et le secteur privé seront un élément différenciant que la France pourrait mettre en avant.
Enfin, l’État peut contribuer encore davantage à l’émergence de nouveaux acteurs : ainsi du fonds pour l’innovation de 10 milliards d’euros qui devait voir le jour au 1er janvier 2018. Aujourd’hui, l’État a toutes les cartes en main pour aider l’écosystème entrepreneurial à se développer.
Cela devient d’autant plus critique que le reste du monde, en particulier dans les pays émergents, n’attendra pas pour aider ses jeunes pousses à devenir les géants de demain, comme le montrent les politiques très actives du gouvernement chinois, ou la révolution numérique de l’Estonie.