Photo noir et blanc d'un paquebot

La France maritime, un atout déterminant

Dossier : Les métiers de la merMagazine N°644 Avril 2009
Par Francis VALLAT

À l’aube d’un siècle qui sera le plus mari­time de l’his­toire de l’hu­ma­ni­té, la France a impé­ra­ti­ve­ment besoin d’une stra­té­gie mari­time inté­grée. Ses fai­blesses sont connues, ses atouts et son image plus sou­vent mécon­nus. Mais un souffle nou­veau, lar­ge­ment por­té par » Le Clus­ter mari­time fran­çais « , amène les acteurs à se mobi­li­ser autour d’i­ni­tia­tives mar­quées par de fortes ambi­tions pour la France.

En 2030, notre pla­nète sera éco­no­mi­que­ment bleue. La mer est l’a­ve­nir de la terre. Elle pré­sente des poten­tia­li­tés et des enjeux majeurs qui vont bien au-delà du trans­port : dans l’éner­gie, l’a­li­men­ta­tion, la recherche phar­ma­ceu­tique. On parle avec rai­son d’é­pui­se­ment des res­sources à terre mais on connaît seule­ment 20 % de la flore et de la faune marines.

Repères
La mon­dia­li­sa­tion de l’é­co­no­mie est en marche et va de pair avec la mari­ti­mi­sa­tion. Les flux de car­gai­sons mari­times ont été mul­ti­pliés par 5 en trente ans. En 2020 le trans­port mari­time repré­sen­te­ra 14 à 15 mil­liards de tonnes (7 aujourd’­hui) à com­pa­rer aux 180 000 trans­por­tées par avion (65 000 aujourd’­hui). Quand l’é­co­no­mie croît par exemple de 3 %, le com­merce peut pro­gres­ser de 5 %, et le trans­port mari­time de 6 ou 7 %.

Autant que l’industrie automobile

Or la France mari­time – Hexa­gone mais aus­si DOM-TOM – est sou­vent et sur­tout bête­ment igno­rée, alors qu’elle est déjà une force et un atout déter­mi­nant : une zone éco­no­mique exclu­sive de 11 mil­lions de km2, plus de 50 mil­liards d’eu­ros de valeur de pro­duc­tion, plus de 312 000 emplois directs hors indus­tries por­tuaires et hors tou­risme du lit­to­ral ter­restre, soit autant que l’in­dus­trie auto­mo­bile tout entière, équi­pe­men­tiers compris.

Pre­mière au monde en matière de qualité

Dans une dizaine d’in­dus­tries ou de métiers inter­na­tio­naux, les opé­ra­teurs fran­çais sont sur le podium mon­dial, tant sur le plan quan­ti­ta­tif que qua­li­ta­tif : assu­rances mari­times des navires et car­gai­sons ; finan­ce­ments ship­ping dans le monde entier ; cour­tage d’af­frè­te­ments ou sur­tout d’a­chat et vente de navires ; clas­si­fi­ca­tion ; construc­tion et indus­trie nau­tiques ; arme­ment de ligne ; recherche océa­no­gra­phique ; off­shore, en par­ti­cu­lier pétro­lier ; construc­tion navale civile et mili­taire à forte valeur ajou­tée avec 25 % de crois­sance annuelle (alors que cha­cun a en tête l’i­mage d’un sec­teur sub­ven­tion­né) ; et bien sûr marine de guerre (la Marine natio­nale étant la seule, avec l’US Navy évi­dem­ment, à dis­po­ser à ce jour de toute la gamme pos­sible de bâti­ments, et étant au sur­plus l’une de celles dont les uni­tés sont en moyenne le plus sou­vent à la mer).

Un enjeu de 30 000 emplois

Une orga­ni­sa­tion au ser­vice du sec­teur maritime
 » Le Clus­ter mari­time fran­çais « , né début 2006, réunit 160 adhé­rents et coti­sants (fédé­ra­tions pro­fes­sion­nelles et entre­prises). C’est le pre­mier effort jamais ten­té par les acteurs mari­times mar­chands de notre pays – ceux qui sont les vrais » talents mari­times fran­çais » -, pour se battre mieux ensemble hic, nunc, demain et ailleurs. L’ef­fort du CMF, et c’est pour cela qu’il a quelques chances de suc­cès, repose sur la volon­té de ses membres, la foi de ceux qui dans toutes les pro­fes­sions l’ont por­té publi­que­ment et le sou­tiennent, ain­si que sur une coopé­ra­tion d’en­ver­gure avec le bras sécu­lier marin à la fois le plus tra­di­tion­nel et le plus nova­teur : une Marine natio­nale qui veut aider au rayon­ne­ment des talents mari­times fran­çais, entre autres en les pro­mou­vant (en fran­çais et en anglais) dans tous les ports du monde.

Même dans les sec­teurs où la France paraît faible, elle a mal­gré tout de solides atouts à faire valoir. Notre flotte de com­merce sous pavillon natio­nal n’est certes pas à la hau­teur de la 5e puis­sance éco­no­mique et com­mer­ciale du monde, avec seule­ment 220 navires (mais main­te­nant plus de mille uni­tés sup­plé­men­taires » contrô­lées » par les arma­teurs fran­çais), mais elle est en revanche incon­tes­ta­ble­ment la pre­mière du monde et ce depuis deux ans au niveau de la qua­li­té et de la sécu­ri­té (cf. syn­thèse offi­cielle des contrôles effec­tués dans le monde entier par les États du port). Quant aux grands ports fran­çais, qui sont eux aus­si glo­ba­le­ment en retard par rap­port à nos voi­sins euro­péens immé­diats, ils sont main­te­nant enga­gés grâce à la réforme en cours dans un pro­ces­sus lourd de trans­for­ma­tion du mana­ge­ment, de moder­ni­sa­tion et d’ex­ten­sion, et sont sou­vent à la pointe dans bien des domaines d’ex­ploi­ta­tion par­ti­cu­liers. L’un des enjeux de l’ef­fort actuel est la créa­tion de 3 000 emplois.

Une image faussée culturellement

La France mari­time souffre soit de l’i­gno­rance de l’o­pi­nion publique et de nombre de res­pon­sables poli­tiques, soit de la mise en avant démo­bi­li­sa­trice de ses fai­blesses et de la sous-esti­ma­tion de ses forces objec­tives. Or, un son­dage IFOP de 2007, com­man­dé par l’Ins­ti­tut fran­çais de la Mer et le Clus­ter mari­time fran­çais, a mon­tré que 67 % des Fran­çais pensent que notre pays aurait inté­rêt à tirer davan­tage par­ti des res­sources de notre domaine mari­time. De plus, notre éco­no­mie mari­time a les moyens de croître bien plus encore, main­te­nant qu’elle s’est mise en mou­ve­ment et veut de plus en être un » clus­ter » au sens du Livre vert de la Com­mis­sion euro­péenne, autre­ment dit un ensemble plus soli­daire, mieux res­pec­té, plus écou­té ! La France peut conqué­rir de nou­velles posi­tions inter­na­tio­nales dans qua­si­ment tous les domaines, comme le démontre à l’en­vi ce que ses meilleurs opé­ra­teurs ont déjà réus­si à bâtir, seuls ou qua­si­ment face à la com­pé­ti­tion mon­diale, c’est-à-dire sans que jouent vrai­ment les soli­da­ri­tés mari­times natio­nales, volon­ta­ristes, certes nais­santes chez nous mais mises en pra­tique avec constance et depuis des années par et chez nos grands voi­sins anglo-saxons, vikings ou italiens.

Le poli­tique fran­çais semble désor­mais s’intéresser au fait maritime

Ajou­tons que le Clus­ter mari­time natio­nal a pâti long­temps de notre indé­niable tem­pé­ra­ment gau­lois, qui nous pousse à agir d’a­bord indi­vi­duel­le­ment, en oubliant trop sou­vent que l’u­nion – quand elle est incon­tes­table, fon­dée sur des réa­li­tés éco­no­miques et s’ap­puie sur une recherche d’i­ni­tia­tives com­munes concrètes – peut faire la force, en l’oc­cur­rence la force d’une vraie » place mari­time fran­çaise « , force qui peut et pour­ra elle-même pro­fi­ter en retour à cha­cun des acteurs mari­times qui y contribuent.

Un souffle nouveau

Le poids cultu­rel de la terre
Dans un pays dont l’his­toire et la puis­sance se rat­tachent avant tout à la terre, au fief (et dont la culture sécu­laire est mar­quée par la richesse, la diver­si­té et la soli­di­té du sol, et donc par la puis­sance tra­di­tion­nelle de sa pay­san­ne­rie puis de son indus­trie), le sec­teur mari­time fran­çais a long­temps souf­fert de la méfiance naïve, cou­pable, étroite, qu’ins­pirent encore confu­sé­ment et trop sou­vent chez nous » le com­merce » et l’ou­ver­ture vers le grand large. Sans par­ler de l’i­mage – fausse bien sûr, et per­verse – que négoce et trans­port sont des acti­vi­tés non pas subal­ternes (quoique !) mais en tout cas moins éthiques, moins sociales, et pour tout dire moins nobles. Une excep­tion fran­çaise, heu­reu­se­ment en train de chan­ger, mais qui a long­temps réjoui et fait sou­rire bien des pays amis, pour­tant tout aus­si sou­cieux que le nôtre du bien-être et de l’emploi de leurs citoyens à l’ère de la mondialisation !

Ces pers­pec­tives ont ame­né les pro­fes­sion­nels du mari­time à bou­ger. Avec tout le poids de leur éco­no­mie, ils veulent être plus et mieux enten­dus, et c’est pour cela qu’ils se sont asso­ciés avec enthou­siasme et effi­ca­ci­té aux Assises de l’é­co­no­mie mari­time en décembre 2007 à Mar­seille et les 2 et 3 décembre 2008 au Havre, deve­nues des ren­dez-vous aus­si incon­tour­nables pour les Pou­voirs publics mari­times fran­çais et euro­péens que pour les acteurs éco­no­miques mari­times eux-mêmes.

Plus qu’un signe.
Car, autre évo­lu­tion mar­quante, le poli­tique fran­çais semble désor­mais s’in­té­res­ser au fait mari­time. Naguère, le rap­port du groupe Poséi­don, com­man­dé par le Pre­mier ministre, et s’in­ti­tu­lant Une ambi­tion mari­time pour la France, avait sem­blé mar­quer le début d’une réflexion pour une poli­tique mari­time inté­grée et synergique.

Las, le gou­ver­ne­ment ne s’en était jamais vrai­ment » empa­ré » et il est vite tom­bé aux oubliettes. Or l’an­née 2008 a bien été l’a­morce d’un tour­nant, démon­trée par des ini­tia­tives impor­tantes lan­cées sur dif­fé­rents fronts : la réor­ga­ni­sa­tion du grand minis­tère MEEDAT et sur­tout la réforme por­tuaire bien sûr, mais aus­si la fin posi­tive de la concer­ta­tion sur la réforme de l’en­sei­gne­ment mari­time et l’an­nonce de la créa­tion d’un grand éta­blis­se­ment d’en­ver­gure inter­na­tio­nale ; le com­bat mené par la France en Europe sur la res­pon­sa­bi­li­té du pavillon ; la recon­nais­sance don­née à la construc­tion navale civile et mili­taire ; la cla­ri­fi­ca­tion des règles de res­pon­sa­bi­li­té en par­ti­cu­lier pour les arma­teurs ; cer­tains aspects – encore à pré­ci­ser et à amé­lio­rer – du Gre­nelle de l’en­vi­ron­ne­ment ; le dia­logue avec l’in­dus­trie nau­tique, les choix dif­fi­ciles enfin faits en matière de Défense (avec l’es­poir que le deuxième porte-avions ne soit pas com­plè­te­ment aban­don­né) ; les ini­tia­tives saluées de l’É­tat et de la » Royale » en matière de pro­tec­tion des routes maritimes.

Hor­mis la pêche, où la situa­tion des pro­fes­sion­nels est encore dété­rio­rée par les inter­fé­rences euro­péennes, on peut dire objec­ti­ve­ment que le cru 2008 a été trans­ver­sa­le­ment et glo­ba­le­ment satis­fai­sant, et ce pour la pre­mière fois depuis des lustres.

POIDS DU MARITIME DANS L’ECONOMIE FRANCAISE
Domaine d’ac­ti­vi­té Emplois directs Valeur (Mds Euro) Pré­ci­sions
Flotte de commerce 19 500 12 102 mil­lions de tonnes de mar­chan­dise et 15 mil­lions de pas­sa­gers par an
Ports 40 000 4,5 41% du com­merce exté­rieur total (en volume)
Construc­tions navales et équi­pe­men­tiers marins 39 000 6,2 Un posi­tion­ne­ment sur les navires à forte valeur ajou­tée (paque­bots, navires furtifs…)
Para­pé­tro­lier off­shore 27 100 8,5 Exploi­ta­tion des hydro­car­bures jus­qu’à 2000 m. de profondeur
Indus­trie nautique 46 000 5 4 mil­lions de plai­san­ciers en 2007
Pêche et pro­duits de la mer 59 750 7,6 7732 bateaux (et 2500 pour les DOM) 751 900 tonnes de pro­duits vendus
Action de l’é­tat en mer 56 000 6,3 Du sau­ve­tage en mer aux porte-avions
Ins­ti­tuts de recherche 3 300 1 Des pôles aux grandes profondeurs
Orga­nismes et formation 6 000 0,6 Pré­pa­rer les hommes
Autres acti­vi­tés** 11 000 2 Le sou­tien des autres branches
Admi­nis­tra­tions mari­times (DAM) 4 000 La fonc­tion publique au ser­vice de la mer
TOTAL 211 650 53,7*
* Total dont achats croisés.
** Incluant des chiffres non recou­pés par les emplois et la valeur de pro­duc­tion d’activités émergentes.

Étant don­né la dis­per­sion des don­nées sta­tis­tiques, ces chiffres sont des éva­lua­tions. Cepen­dant, ce tableau s’en tient de façon res­tric­tive aux emplois dépen­dant de façon qua­si exclu­sive de la mer. Ain­si les acti­vi­tés du tou­risme lit­to­ral, qui pèsent à elles seules 21 Mds d’euros et 240000 emplois, n’ont pas été inté­grées au Clus­ter. De même les acti­vi­tés por­tuaires à pro­pre­ment par­ler ne tiennent pas compte des emplois indi­rects, comme ceux des zones indus­trielles por­tuaires ou des emplois induits dans le com­merce, qui équi­valent à eux seuls à 300000 emplois.

Le Clus­ter des indus­tries mari­times repré­sente envi­ron 1,5 % de la popu­la­tion active tan­dis que la pro­duc­tion (hors comptes doubles, c’est-à-dire nette d’échanges internes entre les sec­teurs du Clus­ter) pèse entre 2 et 2,5 % du pro­duit natio­nal brut.

photo Gros paquebot

La nécessité d’une vision à long terme

En fait, la France a enfin bou­gé certes, mais elle a doré­na­vant impé­ra­ti­ve­ment besoin d’une stra­té­gie mari­time inté­grée, ou plus encore d’une vision mari­time cla­ri­fiant les choix de l’É­tat à long terme et le cadre pérenne dans lequel les opé­ra­teurs fran­çais peuvent et pour­ront se développer.

La Marine natio­nale aide au rayon­ne­ment des talents mari­times français

En Alle­magne, en Nor­vège, au Dane­mark et en Hol­lande les États eux-mêmes, conscients de cette néces­si­té depuis quelques années, ont sus­ci­té voire assurent direc­te­ment la coor­di­na­tion des clus­ters de la mer. Or le Clus­ter mari­time fran­çais a lan­cé un groupe de tra­vail syner­gique » Attrac­ti­vi­té de la France mari­time » qui s’est réuni pen­dant treize mois avec de nom­breux pro­fes­sion­nels de tous hori­zons, qui a ter­mi­né ses tra­vaux fin novembre et a coré­di­gé un rap­port jus­te­ment inti­tu­lé Pour que la France ait une vision mari­time. Ses phrases les plus impor­tantes sont » L’af­fi­chage d’une vision mari­time à long terme (par l’É­tat) est une prio­ri­té et même un préa­lable » et » (Le besoin fon­da­men­tal pour aller de l’a­vant) est la défi­ni­tion d’une vision à long terme par l’É­tat afin de démul­ti­plier les efforts des acteurs privés. »

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