La France, première économie verte et décarbonée d’Europe ?
La réflexion sur le futur de l’économie française est indissociable de celle sur la décarbonation de notre pays, particulièrement en matière d’industrie. Le mouvement de réindustrialisation, qui commence à se matérialiser avec les résultats des investissements des plans France Relance puis France 2030, répond autant à un impératif de souveraineté, en sécurisant la production de biens stratégiques, qu’à une exigence de performance environnementale, en nous redonnant le contrôle sur les conditions de production des biens que nous consommons. La stratégie industrie verte déployée par l’État prend acte de ce constat et pose les jalons de l’ambition industrielle de la France, qui doit la positionner comme première économie verte d’Europe d’ici 2030.
La France a pour ambition d’être une grande Nation verte, tout en renforçant la souveraineté du pays. Les leviers principaux de cette ambition sont la réindustrialisation et la transition écologique, qu’il s’agit de faire aller de pair.
Produire en France est une évidence économique et géopolitique
Cela signifie l’atteinte d’objectifs ambitieux comme la neutralité carbone en 2050 via la réduction des émissions de CO2 et la préservation de la biodiversité à travers la protection de 30 % des terres et de 30 % des mers à échéance 2030. Quant à l’objectif de réindustrialisation, il s’incarne en particulier à travers le plan d’investissement France 2030 et la loi industrie verte dont l’ensemble des réformes pour la partie industrielle sont entrées en vigueur fin octobre.
Ces objectifs de transition écologique et de réindustrialisation sont compatibles : la démarche de contractualisation de la réduction des émissions de l’industrie engagée depuis 2021 permet de garantir que la décarbonation s’effectue sans perte de compétitivité pour les entreprises exposées à la concurrence internationale. En parallèle, la dynamique de réindustrialisation est tirée par les mutations de l’appareil productif, qu’il s’agisse de l’émergence de nouvelles chaînes de valeur nécessaires pour la transition – batteries, éolien en mer, hydrogène, capture et stockage de carbone – ou du développement de l’économie circulaire et du recyclage pour sécuriser les approvisionnements, par exemple en métaux critiques.
“Réindustrialiser, c’est déjà décarboner.”
Les objectifs de transition écologique et de réindustrialisation, en plus d’être compatibles, sont nécessaires pour la transition écologique à l’échelle planétaire et afin de reprendre le contrôle sur le contenu environnemental des produits que nous consommons. D’après l’Insee, pour chaque usine relocalisée en France, 1 Md€ de voltampères correspondrait à une baisse de l’empreinte carbone de 1 MtCO2. La cause est double : un mix électrique majoritairement décarboné et des normes environnementales exigeantes, qui ont encouragé l’industrie française à réduire ses émissions. Réindustrialiser, c’est déjà décarboner.
Les priorités de l’État pour la transformation économique
Pour répondre à cet enjeu de transformation de l’économie, l’action de l’État s’incarne dans trois priorités : la planification pour donner de la visibilité au marché, la décarbonation des industries existantes et enfin un soutien à l’offre afin d’effectuer cette transition avec des solutions produites en France.
Nous nous sommes d’abord fixé des objectifs ambitieux : réduire de 55 % les émissions européennes d’ici 2030 par rapport à 1990. C’est avec cette trajectoire Fit for 55 que l’État a décliné pour chaque secteur des cibles de réduction à atteindre. L’industrie, qui représente 20 % des émissions nationales, est le cas le plus abouti de ces travaux de planification écologique. Il s’agit aussi du secteur qui présente les coûts d’abattement parmi les plus avantageux en raison de la concentration des émissions, avec notamment un coût de soutien public moyen de 30 €/tCO2, bien inférieur à celui des transports et du résidentiel (100−200 €/tCO2). Pour donner un ordre de grandeur, le site le plus émetteur de France, le site de Grande-Synthe à Dunkerque, représentait seul, avant les projets de décarbonation qui sont en cours, 15 % des émissions industrielles soit 12 MtCO2/an.
Efficacité de la décarbonation industrielle
Décarboner l’industrie est donc efficace. Bien qu’elle nécessite un niveau d’investissements élevé (50 Md€ public-privé d’ici 2030), l’industrie reste le secteur le moins coûteux à décarboner. Un tiers des investissements, souvent liés à l’efficacité énergétique comme le calorifugeage des équipements, sont directement rentables pour les entreprises ; une rentabilité renforcée récemment par la hausse des prix de l’énergie.
Nous concentrons donc le soutien public sur les investissements qui nécessitent un cofinancement, avec un effet de levier prouvé : 5 % supplémentaires de réduction des émissions industrielles ont déjà été atteints grâce aux aides publiques et aux projets déclenchés depuis 2020.
Pour accélérer, 5 milliards d’euros via le plan d’investissement France 2030 ont été alloués à la décarbonation de l’industrie et un partenariat avec les 50 sites les plus émetteurs a été mis en place. Il en résulte, en 2024, 33 % de réductions d’émissions supplémentaires contractualisées (11,4 MtCO2eq) entre l’État et les industriels pour 2,2 Md€ de financement public. Il s’agit par exemple du remplacement d’un four verrier au gaz par un four électrique ou de la récupération du traitement d’air dans la fabrication de médicaments.
Dans un contexte où le prix de la tonne de carbone devrait continuer d’augmenter pour atteindre 150 €/tCO2 d’ici 2030, incitant les entreprises à adapter leurs modèles économiques, ces actions sont essentielles pour réussir la transition écologique tout en préservant la compétitivité industrielle.
“L’industrie est un démonstrateur de la faisabilité d’une transition écologique compatible avec la croissance et la compétitivité.”
L’industrie est aujourd’hui l’un des secteurs les plus avancés dans la planification écologique. Elle est un démonstrateur de la faisabilité d’une transition écologique compatible avec la croissance et la compétitivité.
En complément de la politique d’atténuation, l’État soutient aussi les entreprises dans l’adaptation au changement climatique qui est susceptible de les affecter dans leur capacité à maintenir leur activité. Le chantier le plus abouti est celui de la gestion de l’eau dans l’industrie : 55 sites se sont engagés dans une démarche volontaire de réduction de la quantité d’eau prélevée à l’horizon 2030, essentiellement via des changements de procédés industriels qui représentent une diminution de 13 % du prélèvement d’eau de ces sites. Nous les accompagnons.
Développer les nouvelles chaînes de valeur qui répondent à nos besoins
Le développement en France de capacités de production de technologies vertes répond à un double impératif, stratégique et économique.
Il doit d’abord permettre de sécuriser les approvisionnements français et européens dans les secteurs stratégiques, nécessaires à la réussite des transitions, écologique comme numérique. En parallèle, l’implantation de ces sites industriels nouveaux ou le renforcement des sites existants permet aux économies européennes de capter la valeur créée par le développement de ces nouveaux marchés.
À titre d’exemple, d’ici 2030 la taille du marché mondial des semi-conducteurs devrait doubler, pour atteindre 1 200 Md€, notamment pour répondre à une demande toujours croissante de composants électroniques, portée par l’électrification de l’économie et le développement de l’intelligence artificielle. La dynamique est la même dans le secteur de l’éolien en mer, qui pourrait passer de 125 à près de 260 Md€ à l’horizon 2030.
« L’État soutient activement le déploiement de capacités de production d’énergies renouvelables, dont il facilite le financement, notamment avec le crédit d’impôt industrie verte. »
Sur ces marchés, le déploiement de capacités de production sur le sol européen est un vecteur d’amélioration du solde commercial, aujourd’hui fortement déficitaire, notamment du fait d’une forte concentration de la production de ces technologies en Asie. Pour constituer ces chaînes de valeur, l’État agit en concentrant les efforts d’investissement sur les maillons de la chaîne de valeur pour lesquels une réindustrialisation est possible et stratégique. Pour maximiser l’effet de levier et la cohérence de notre action, nous le faisons en associant étroitement les niveaux d’intervention européens et nationaux.
Cette ambition est particulièrement marquée dans les secteurs des équipementiers énergétiques. Pour l’hydrogène, la France disposera d’ici 2028 de capacités de production de 4 GW d’électrolyseurs par an, dont 50 % seront tournées vers l’export d’ici 2030. Dans la production énergétique, au-delà du nucléaire, l’État soutient activement le déploiement de capacités de production d’énergies renouvelables, dont il facilite le financement, notamment avec le crédit d’impôt industrie verte, qui permet de financer les projets d’usines de production de pompes à chaleur, d’éoliennes, de panneaux photovoltaïques et de batteries, ainsi que sur l’aval les projets de recyclage.
Coordination européenne pour la filière des batteries
L’exemple de la batterie est parmi les plus avancés. Le développement de la filière répond à un double enjeu. D’une part, il s’agit d’un enjeu économique et de création d’emplois, la batterie représentant environ 30 % de la valeur d’un véhicule électrique. D’autre part, d’un enjeu d’autonomie stratégique, car le développement de cette chaîne de valeur est central pour atteindre nos objectifs en termes d’électrification de la mobilité.
Pour cette raison, nous avons mis en place un Projet important d’intérêt européen commun (PIIEC) coordonné par la France en liaison avec l’Allemagne, qui couvre l’ensemble de la chaîne de valeur, allant de l’extraction des matières premières, de la conception et de la fabrication des cellules et des packs de batteries, au recyclage et à l’élimination des déchets.
Cette volonté d’agir et de concentrer les efforts sur cette filière a permis de combler le déficit de financement des projets et d’entraîner les financements privés, tout en garantissant le niveau de compétitivité face à la concurrence internationale. Le PIIEC batteries a bénéficié à plus de 50 entreprises travaillant avec 150 partenaires extérieurs (entreprises et laboratoires) mobilisant 14 milliards d’euros d’investissements privés.
C’est dans ce cadre que le développement d’une offre française de batteries est en passe d’être concrétisé grâce à 5 projets de gigafactories lancés depuis 2019. Il permettra de passer d’une dépendance totale aux importations extra-européennes en 2019 à une couverture des besoins nationaux d’ici 2027.
Renforcement des composantes du cadre d’investissement
Pour parvenir à nos objectifs, préserver la compétitivité de l’industrie et favoriser son verdissement, plusieurs composantes du cadre d’investissement doivent être renforcées.
La disponibilité du foncier d’abord : le succès de la politique de réindustrialisation et la multiplication des implantations font de l’accès au foncier industriel et logistique un sujet prioritaire. Dans le contexte du « zéro artificialisation nette » et de besoins estimés à 22 000 hectares supplémentaires pour soutenir l’effort de réindustrialisation, l’action de l’État se concentre sur deux priorités, la libération de nouveaux terrains et leur préparation pour l’accueil accéléré d’implantations industrielles. Ces derniers mois, la loi industrie verte et le dispositif « 50 sites clés en main » ont porté des mesures ambitieuses dans ce sens, notamment en facilitant la réhabilitation et la dépollution des friches industrielles et en accélérant les procédures d’autorisation environnementale et de raccordement aux utilités (eau, électricité).
« La loi industrie verte et le dispositif « 50 sites clés en main » facilitent la réhabilitation et la dépollution des friches industrielles. »
Le développement des compétences ensuite, pour s’inscrire dans la durée, qui suppose aussi un renforcement de l’attractivité des métiers industriels : pour répondre à la demande et assurer les appariements, une coopération forte avec les fédérations industrielles, notamment au sein du conseil national de l’industrie, permet de construire des dispositifs de formation et de valorisation des métiers industriels calibrés au plus près des besoins des entreprises.
Enfin, le soutien continu à l’innovation : l’intensité de la concurrence internationale sur les marchés des technologies vertes requiert un effort d’investissement massif de la part des entreprises qui s’y positionnent. Sur ces marchés, l’innovation est centrale en ce qu’elle remet à plat des avantages comparatifs établis et permet d’en créer de nouveaux, sur lesquels la France est capable de se distinguer. L’écosystème français des greentech, que nous soutenons activement dans le cadre du plan France 2030, est aujourd’hui le secteur le plus dynamique de la French Tech, concentrant la moitié des levées de fonds l’an dernier et proposant des solutions dans tous les segments allant de la production de ciment bas carbone à la conception de réacteurs nucléaires modulables.
Pour une concurrence équitable au sein du marché européen
Le dernier levier est d’ordre réglementaire. Il consiste à rétablir une concurrence équitable en accordant une attention particulière au contenu environnemental des produits accédant au marché européen.
Dans l’industrie pharmaceutique, produire en France, c’est en moyenne 40 % de carbone en moins mais 20 à 40 % plus cher que de produire en Asie.
Afin de valoriser l’excellence environnementale des industries européennes et face à des concurrents disposant d’une énergie à bas coût fortement carbonée et de réglementations environnementales plus souples, l’Union européenne doit se doter d’instruments capables de recréer un level playing field, pour maintenir une concurrence équitable et in fine la compétitivité de ses entreprises industrielles. La France portera cet objectif dans le cadre de l’élaboration du nouveau Clean Industrial Deal annoncé par la Commission.
Déjà, des mesures sur l’accès des produits au marché permettent d’agir en ce sens comme les règlements batteries et écoconception (ESPR). Le premier impose par exemple des objectifs de réincorporation de métaux recyclés dans la fabrication des batteries à partir de 2031 pour pouvoir les commercialiser en Europe ; le second vise à généraliser cette démarche afin que tous les produits mis sur le marché européen, y compris les produits importés, respectent des critères minimaux en matière environnementale et de circularité.
« Au niveau européen, la négociation du règlement Net Zero Industry Act a permis de faire évoluer les critères d’éligibilité et de notation dans le déploiement des parcs éoliens et solaires pour y introduire davantage de critères hors prix. »
Une évolution des dispositifs de soutien public, pour mieux valoriser le contenu environnemental, est également possible. La réforme du bonus automobile réalisée l’an dernier permet ainsi de mieux tenir compte de l’empreinte environnementale de la production des véhicules électriques bénéficiaires. Celle-ci a eu un impact direct et significatif sur la part de véhicules immatriculés produits en France et en Europe, dont le contenu environnemental est en moyenne meilleur. Au niveau européen, la négociation du règlement Net Zero Industry Act a permis de faire évoluer les critères d’éligibilité et de notation dans le déploiement des parcs éoliens et solaires pour y introduire davantage de critères hors prix. Nous travaillons avec les industriels de la filière pour les mettre en œuvre dans les futurs appels d’offres.
Le deuxième axe d’action concerne le champ douanier, avec notamment la mise en place du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), visant à instaurer un prix carbone équivalent pour les productions importées en Europe. Adopté en mai 2023, ce mécanisme a pour objectif de répondre au risque de fuite de carbone, phénomène par lequel des industries fortement émettrices de gaz à effet de serre délocalisent leur production pour échapper à des réglementations plus strictes en Europe. En complément, une meilleure utilisation des instruments de défense commerciale paraît nécessaire pour lutter efficacement contre les pratiques de dumping. Plusieurs enquêtes sont en cours dans la chimie par exemple.
La stratégie industrie verte : un plan d’action complet à l’horizon 2030
L’État adopte ici une approche holistique qui intègre les enjeux industriels, de souveraineté, de décarbonation et d’accès au marché. Avec des objectifs chiffrés par filière, une programmation pluriannuelle adaptée à la durée des projets industriels et un financement structuré via le plan France 2030, la stratégie industrie verte vise à soutenir une transition durable et compétitive pour les industries françaises.