La géothermie : « Le géant dormant des EnR »
Dans cet entretien croisé, Jean-Loup Lacroix, président directeur général de StratéGéO Conseil, et Christophe Luttmann, Directeur commercial de DRILLHEAT et Vice Président de l’AFPG, reviennent sur les avantages de la géothermie en termes d’indépendance énergétique et de neutralité carbone.
L’eau et la géothermie sont un enjeu majeur du XXIe siècle, mais aussi au cœur des préoccupations de StratéGéO. Dites-nous en plus.
Jean-Loup Lacroix : StratéGéO Conseil, bureau d’étude de 15 personnes créé en 2016, a développé son expertise dans trois métiers : la géothermie, l’hydrogéologie et la gestion des contraintes environnementales. Nos convictions nous poussent à accompagner les porteurs de projets dans une gestion raisonnée de l’eau et sa valorisation énergétique pour rendre nos bâtiments résilients face au changement climatique.
Avec plus de 50 opérations de géothermie en cours dans toute la France, nous sommes devenus un acteur incontournable de la transition énergétique et ce par une pensée nouvelle ! La géothermie peut s’adapter à tout type de projet, du petit groupe scolaire de 11 classes de Miramas (13) à l’écoquartier du Village Olympique et Paralympique des JO 2024 à Saint-Denis (93). À chaque projet, sa géothermie ! Nous sommes aussi membres actifs du Syndicat des énergies renouvelables (SER) et de l’association française des professionnels de la géothermie (AFPG).
D’ailleurs, qu’est-ce que l’AFPG et son rôle ?
Christophe Luttmann : L’AFPG est une association Loi 1901 qui fédère une centaine d’adhérents (foreurs, bureaux d’études, fabricants de PAC, pôles de compétitivité, syndicats, universitaires) qui fêtera ses 12 ans au mois de juin. Ses objectifs principaux sont de créer des outils pour promouvoir le recours à la géothermie, fédérer la profession et assurer la communication avec les ministères par le biais de divers groupes de travail et audits sur la filière et son potentiel.
Concrètement, qu’est-ce que la géothermie superficielle et quels sont ses avantages ?
J‑L.L. : La géothermie superficielle consiste à utiliser l’inertie du sous-sol/eau pour prélever/injecter de l’énergie et de la connecter au bâtiment juste au-dessus grâce à une pompe à chaleur. L’intérêt réside sur la température du sous-sol qui reste constante toute l’année (13°C environ à 100 m de profondeur) et donc permet à la pompe à chaleur d’atteindre des rendements saisonniers de 500 à 700 %, là où les climatiseurs à air atteignent 200 à 250 % car ils sont soumis à la température de l’air extérieur.
On réduit donc les consommations électriques pour chauffer/rafraîchir nos bâtiments, en réduisant nos émissions de CO2 et en luttant contre le réchauffement climatique, et tout cela juste sous nos pieds.
Pourquoi la géothermie peut-elle permettre de viser la neutralité carbone à horizon 2050 ? Dans cette démarche, quels sont les freins actuels ?
J‑L.L. : Les principaux freins identifiés sont, d’un côté, le manque de compétence et la méconnaissance de la géothermie auprès des bureaux d’études et architectes, et, de l’autre côté, le manque d’entreprises d’exécution (installateurs CVC et foreurs géothermiques). Bien entendu le coût des travaux est aussi un frein évident, bien que cette différence tende à s’amoindrir vis-à-vis du gaz.
La géothermie est d’ailleurs une réponse évidente aux problèmes d’approvisionnement du gaz russe liés à la crise ukrainienne. L’exploitation de l’abondance géothermique disponible partout sous nos pieds permettrait une transition efficace et sereine, en phase avec les objectifs du nouveau gouvernement et la recherche de notre souveraineté énergétique.
Peut-on faire de la géothermie partout ? Quel est son potentiel en France ?
C.L. : La géothermie est qualifiée comme étant le géant dormant des EnR. Son potentiel est gargantuesque car il est présent sur tout le territoire, sous nos pieds entre 0 et 200 m. Tous les sous-sols sont forables et géothermiquement exploitables.
J‑L.L. : Il existe une multitude de technologie de géothermie pouvant permettre de valoriser le sous-sol partout en France !
“Misez sur l’indépendance énergétique par la géothermie superficielle et ainsi atteindre la neutralité carbone et notre résilience.”
Avec ces dernières années aux étés caniculaires, et la nouvelle réglementation environnementale 2020 en cours d’adoption, la question de la résilience des projets de construction ou d’aménagement prend de plus en plus d’importance dans la conception.
La géothermie devrait donc pouvoir trouver toute sa place dans l’évolution des pensées notamment par sa capacité à produire du froid gratuit. Pourtant, elle reste trop peu étudiée et rarement intégrée aux projets de construction, notamment pour des raisons présumées de coûts et de délais importants. Or, cette ressource présente un coût global très avantageux sur la durée de vie totale du bâtiment (50 ans) et n’induit pas de délais supplémentaires de mise en œuvre. Il est bon de rappeler que le surcoût initial est souvent rentabilisé dès 8 à 12 ans d’exploitation, et génère ensuite des économies pour le maître d’ouvrage.
Où en est la France sur cette énergie ?
C.L. : Adoptée en 2015, la stratégie nationale bas carbone (SNBC) vise la neutralité carbone en 2050, à savoir une réduction de 70 % des émissions de GES par rapport à l’année 1970. Pour atteindre cette neutralité carbone, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) fixe un objectif de production thermique renouvelable des PAC géothermiques à 7TWh/a en 2028 et 10TWh/a en 2033. L’AFPG estime que le potentiel des PAC géothermiques s’élève à plus de 100 TWh/a d’ici 2040 si une politique ambitieuse est mise en place.
Donc à ce jour, nous sommes très confiants sur l’atteinte de l’objectif de la PPE car il est manifestement trop modeste. Il nous semble indispensable de fixer des objectifs nettement supérieurs si l’on souhaite développer massivement cette solution énergétique et si l’on veut décarboner nos bâtiments dont le chauffage représente plus de 400 TWh/a (hors industrie).
Avez-vous un projet emblématique en géothermie à nous présenter ?
J‑L.L. : Nous avons de nombreux projets en cours autour des JO 2024 ou de décarbonations de chaufferie sur des bâtiments publics patrimoniaux d’importance. Toutefois, à mon sens, notre projet le plus emblématique qui montre la pertinence de la géothermie est le nouveau centre aquatique de Bordeaux Métropole qui comporte 11 bassins pour le loisir et l’activité sportive nautique. Avec plus de 2 600 kWh/a m² de bassin pour le chauffage, la géothermie sur nappe couplée à une thermofrigopompe fût un choix logique pour l’équipe retenue pour ce projet (Eiffage, Dalkia, Banque de Territoires, Chabanne archi&Ingé…). Ce dispositif permettra donc de couvrir près de 60 % des besoins en chauffage avec un rendement supérieur à 500 %. Le réseau de chaleur urbain biomasse viendra faire le complément en plus de la récupération d’apports internes. Le taux EnR visé sera donc de 78 % et une réduction de 460 tonnes de CO2 par an.
La géothermie en berf
- Un potentiel présent partout sous nos pieds (ou sur 99 % du territoire) entre 10 et 200 m de profondeur
- Une énergie économique, moins gourmande en électricité
- Une énergie renouvelable non carbonée pour réduire les émissions de GES pouvant faire du chauffage, de l’ECS, de la climatisation mais aussi du rafraîchissement
- Une exploitation à haut rendement, conforme aux plus hauts standards environnementaux
- L’absence d’impact visuel pour des projets architecturaux innovants