La gestion de programme : en finir avec les retards et les surcoûts !

Dossier : Entreprise et managementMagazine N°608 Octobre 2005
Par Hervé HILLION (80)

La ges­tion de grands pro­grammes, qu’il s’a­gisse de pro­jets indus­triels, de pro­jets de trans­for­ma­tion d’en­tre­prise ou encore de pro­jets d’in­for­ma­tique ou de télé­com­mu­ni­ca­tions, n’est pas une science nou­velle. Le taux d’é­chec, mesu­ré soit par des dépas­se­ments très signi­fi­ca­tifs des bud­gets, des délais ou l’a­ban­don d’exi­gences essen­tielles (voire l’ar­rêt pur et simple du pro­jet), reste pour­tant éton­nam­ment éle­vé : 30 % par exemple dans le domaine des sys­tèmes d’in­for­ma­tions, ratio qua­si­ment stable depuis dix ans !
Quelles en sont les rai­sons et com­ment sécu­ri­ser le suc­cès de tels programmes ?

La réalité d’un programme complexe

Les types de pro­grammes aux­quels nous fai­sons réfé­rence dans cet article peuvent être de nature très dif­fé­rente, s’a­gis­sant aus­si bien :

  • de pro­grammes dans le domaine de l’aé­ro­nau­tique et la défense, tels que la réa­li­sa­tion de sys­tèmes com­plexes de com­mu­ni­ca­tion et de commandement ;
  • de pro­grammes liés aux nou­velles régle­men­ta­tions juri­diques, comp­tables et finan­cières, telles que l’ap­pli­ca­tion des normes BALE II pour les éta­blis­se­ments ban­caires ou l’ap­pli­ca­tion des lois Sar­banes-Oxley (ou équi­valent) pour les entreprises ;
  • de pro­jets majeurs de refonte des sys­tèmes d’in­for­ma­tions, met­tant en cause de mul­tiples fonc­tions et pro­ces­sus de l’en­tre­prise, des orga­ni­sa­tions écla­tées et des infra­struc­tures tech­no­lo­giques complexes ;
  • des pro­jets de déve­lop­pe­ment de nou­velles plates-formes pro­duits, à la fois com­plexes et ris­qués du fait des chan­ge­ments induits au niveau du mar­ke­ting, de la tech­no­lo­gie, de la logis­tique et de la finance.

Quels sont les prin­ci­paux ensei­gne­ments que nous pou­vons tirer du retour d’ex­pé­rience de ces grands pro­jets, en par­ti­cu­lier sur les causes essen­tielles de dérive ou d’é­chec ? Nous avons iden­ti­fié trois pro­blé­ma­tiques essen­tielles, indé­pen­dantes non seule­ment du type de pro­gramme, mais éga­le­ment des méthodes et outils de ges­tion de pro­jet mis en œuvre.

Il s’a­git respectivement :

  • du lea­der­ship et de l’or­ga­ni­sa­tion du programme,
  • de la ges­tion de pro­jet en mode collaboratif,
  • des outils déci­sion­nels de pilotage.

Leadership et gouvernance du programme

Quel que soit le niveau d’au­to­ri­té des comi­tés de pilo­tage exis­tants et mal­gré la pro­li­fé­ra­tion des outils et méthodes appor­tant un sup­port à la ges­tion de pro­jet, la fai­blesse du lea­der­ship au niveau d’une direc­tion de pro­gramme est la pre­mière cause d’é­chec. Plu­sieurs fac­teurs sont symptomatiques :

  • un sou­tien insuf­fi­sant de la part du comi­té exé­cu­tif ou des ins­tances de direc­tion, géné­ra­le­ment par un mau­vais posi­tion­ne­ment du pro­jet, un busi­ness case peu convain­cant, un manque de visi­bi­li­té sur les leviers stra­té­giques et leurs inci­dences opérationnelles ;
  • un défi­cit de com­mu­ni­ca­tion, d’a­li­gne­ment et de cohé­rence : un temps consi­dé­rable est bien sou­vent pas­sé à construire et suivre les réfé­ren­tiels de ges­tion des délais, des livrables, des coûts, des risques, etc., sans qu’ils soient pour autant par­ta­gés et conso­li­dés dans une vision globale ;
  • enfin sans remettre en cause les com­pé­tences tech­niques et mana­gé­riales des direc­tions de pro­gramme et de leurs équipes, la gou­ver­nance pro­pre­ment dite peut être défaillante pour de mul­tiples rai­sons : des pro­ces­sus de déci­sion peu cadrés, une mau­vaise anti­ci­pa­tion des risques, des fonc­tions de pla­ni­fi­ca­tion et de sui­vi très écla­tées. D’où l’im­por­tance d’une cel­lule d’as­sis­tance au pilo­tage de pro­gramme, non pas comme une » chambre d’en­re­gis­tre­ment « , mais comme organe stra­té­gique de pilo­tage au plus haut niveau.

Les prin­cipes évo­qués ci-des­sus consti­tuent un pré­re­quis essen­tiel pour sécu­ri­ser un pro­gramme, quelle que soit l’ef­fi­ca­ci­té des modèles de pla­ni­fi­ca­tion et de ges­tion. Un second fac­teur-clé de suc­cès est lié à la ges­tion en mode col­la­bo­ra­tif, qui apporte une réponse opé­ra­tion­nelle et prag­ma­tique aux besoins de com­mu­ni­ca­tion et de pilo­tage mul­ti­fonc­tions, mul­tior­ga­ni­sa­tions, mul­ti­sites et multisystèmes.

La gestion de projet en mode collaboratif

Les acteurs impli­qués dans les grands pro­grammes sont confron­tés aujourd’­hui à une réa­li­té qui ne cor­res­pond plus aux fon­da­men­taux de la ges­tion de pro­jet clas­sique, le fameux cycle en » V » de spé­ci­fi­ca­tion-réa­li­sa­tion-déploie­ment-contrôle. Plu­sieurs rai­sons à cela :

  • les » clients » (internes ou externes) ne rai­sonnent plus en termes de spé­ci­fi­ca­tions de solu­tion, mais d’exi­gences à satis­faire : qu’il s’a­gisse par exemple de cri­tères de per­for­mance atten­dus pour un pro­duit ou un sys­tème, ou bien d’ob­jec­tifs busi­ness à atteindre. Dans le domaine de l’aé­ro­nau­tique et de la défense par exemple, les équi­pe­men­tiers de pre­mier rang évo­luent de plus en plus vers un rôle d’in­té­gra­teur et de maître d’œuvre de grands sys­tèmes, avec des enga­ge­ments de per­for­mance et de dis­po­ni­bi­li­té sur le cycle de vie com­plet des produits ;
  • le mode de coor­di­na­tion avec les clients change éga­le­ment du fait que les exi­gences peuvent évo­luer tout au long du cycle de vie du pro­jet, ren­dant inac­cep­table le fameux effet » tun­nel « . D’où la néces­si­té pour les direc­tions de pro­gramme de dis­po­ser d’une visi­bi­li­té de l’a­van­ce­ment du pro­gramme à tout ins­tant et en fin d’exé­cu­tion par rap­port aux attentes des clients, de la capa­ci­té à arbi­trer en per­ma­nence entre niveau de per­for­mance, délais et coûts ;
  • notons en com­plé­ment que les grands pro­grammes n’im­pliquent plus seule­ment des métiers dif­fé­rents : ils fédèrent un réseau d’ac­teurs appar­te­nant à des orga­ni­sa­tions et des cultures mul­tiples, par­fois concur­rentes, loca­li­sés sur des sites écla­tés. Cette ten­dance ne fait que se ren­for­cer avec l’ex­ter­na­li­sa­tion crois­sante des acti­vi­tés de concep­tion et de réa­li­sa­tion et de sup­port. Dans ce contexte, il devient illu­soire de vou­loir nor­ma­li­ser les méthodes et outils de ges­tion de pro­jet et pré­tendre à un pilo­tage cen­tra­li­sé » top-down » de tous les acteurs ;
  • enfin la conso­li­da­tion des infor­ma­tions néces­saires au pilo­tage du pro­gramme est elle-même ren­due beau­coup plus com­plexe, à la fois en rai­son des mul­tiples sys­tèmes sous-jacents (outils de ges­tion des exi­gences, outils de pla­ni­fi­ca­tion des délais, por­tails pro­jets, outils de ges­tion docu­men­taire…) et des infra­struc­tures tech­no­lo­giques propres à cha­cun des par­te­naires. Il est d’ailleurs là aus­si illu­soire de pré­tendre déployer un sys­tème inté­gré et unique de ges­tion de pro­gramme, gérant l’in­té­gra­li­té des réfé­ren­tiels, des pro­ces­sus et des métiers impliqués.

Face à ce constat, la ges­tion de pro­jet en mode col­la­bo­ra­tif apporte une solu­tion concrète et prag­ma­tique, par la mise en place d’un espace pro­jet com­mun » vir­tuel « , qui rem­place l’or­ga­ni­sa­tion en pla­teau » phy­sique » des années quatre-vingt-dix. Cepen­dant le pla­teau pro­jet » vir­tuel » n’est pas le simple por­tage sur Inter­net des pro­ces­sus tra­di­tion­nels de ges­tion de pro­jet. C’est une trans­for­ma­tion pro­fonde des modes de col­la­bo­ra­tion et des rela­tions entre tous les acteurs :

  • d’une part, le suc­cès est lié à la capa­ci­té des acteurs à fonc­tion­ner en réseaux (« com­mu­nau­tés ») trans­ver­saux et non hié­rar­chiques, par com­mu­nau­tés d’in­té­rêts, dans une logique d’ob­jec­tifs par­ta­gés et non pas dans une logique d’ap­par­te­nance à leur struc­ture ou leur orga­ni­sa­tion d’origine ;
  • d’autre part la cel­lule de pilo­tage (PMO – Pro­gram Mana­ge­ment Office) que nous avons évo­quée est un élé­ment-clé du dis­po­si­tif, afin d’as­su­rer une coor­di­na­tion effi­cace des dif­fé­rentes com­mu­nau­tés impli­quées sur le pro­gramme, tant au niveau du par­tage des infor­ma­tions, que de l’é­va­lua­tion et de la sur­veillance per­ma­nente des risques en fin de projet ;
  • enfin, toutes les expé­riences ont mon­tré que les freins ne viennent pas des tech­no­lo­gies col­la­bo­ra­tives, en géné­ral très simples et intui­tives à uti­li­ser, mais bien des chan­ge­ments induits sur les modes de tra­vail : par exemple la notion de trans­pa­rence des échanges, acces­sibles à tous les acteurs de la com­mu­nau­té et non pas par mail » one-to-one « , la notion d’a­lertes, les forums de prise de déci­sion, etc.

Le sché­ma ci-après illustre les fonc­tion­na­li­tés de telles plates-formes collaboratives.

Les outils décisionnels en pilotage de programme

Une col­la­bo­ra­tion effec­tive faci­lite la ges­tion des rela­tions entre les acteurs au quo­ti­dien du pro­jet et la cir­cu­la­tion des infor­ma­tions, sans pour autant répondre à la tota­li­té de la pro­blé­ma­tique d’un direc­teur de pro­gramme, notamment :

  • com­ment pilo­ter par anti­ci­pa­tion ? quelle est la consé­quence par exemple d’une nou­velle exi­gence du client ou bien d’un retard de telle opé­ra­tion sur mon délai en fin de projet ?
  • com­ment récon­ci­lier le réa­li­sé et le pla­ni­fié dans les dimen­sions mul­tiples : délais, coûts, res­sources, performance ?
  • com­ment arbi­trer entre le niveau de per­for­mance requis (ingé­nie­rie sys­tème par exemple), les délais et les coûts ?
  • com­ment dis­po­ser d’une visi­bi­li­té à tout ins­tant de l’a­van­ce­ment du pro­gramme, à la fois par rap­port au réa­li­sé et par rap­port à l’ob­jec­tif (livrables, consom­ma­tions des res­sources, jalons délais) ;
  • com­ment pas­ser d’une logique » réac­tive » fon­dée sur le compte ren­du à une logique » proac­tive » fon­dée sur le sui­vi des événements ?

Ces ques­tions ne sont pas nou­velles mais sont deve­nues d’au­tant plus cri­tiques dans le contexte des pro­grammes que nous avons évo­qué, avec des contraintes fortes et mul­tiples (res­sources, délais, bud­get, exi­gences clients, orga­ni­sa­tions), dans des envi­ron­ne­ments chan­geants et incertains.

Les indi­ca­teurs-clés sont éga­le­ment connus de longue date, que ce soit en pilo­tage des délais et des coûts (avec des niveaux plus ou moins éla­bo­rés tels que le » Ear­ned Value Mana­ge­ment ») ou en pilo­tage des ressources.

Dans ce domaine, l’ap­port des modèles et outils tra­di­tion­nels de la ges­tion de pro­jet est très limi­té, dans la mesure où ces solu­tions four­nissent une visi­bi­li­té par­tielle sur l’a­van­ce­ment des pro­grammes (les jalons délais et les res­sources au mieux), sans pro­jec­tion vers l’ob­jec­tif à atteindre, et sui­vant des pro­ces­sus lourds de consolidation.

Les pos­si­bi­li­tés de simu­la­tion sont éga­le­ment très réduites et à notre sens peu fiables du fait des approches sta­tis­tiques uti­li­sées (de type » Monte-Car­lo ») : les risques majeurs viennent pré­ci­sé­ment de dis­con­ti­nui­tés de délais, de res­sources, de per­for­mance et non pas d’une dis­tri­bu­tion régu­lière d’a­léas sur les tâches critiques.

Fort heu­reu­se­ment, de nou­velles tech­no­lo­gies et de nou­veaux outils déci­sion­nels apportent aujourd’­hui les solu­tions per­met­tant de construire des » cock­pits » de pilo­tage de pro­gramme grâce à un ensemble de fonc­tion­na­li­tés permettant :

  • d’ac­qué­rir dyna­mi­que­ment, en mode asyn­chrone et col­la­bo­ra­tif, de l’in­for­ma­tion hété­ro­gène venant d’autres envi­ron­ne­ments : outils de ges­tion de pro­jets, outils de ges­tion des coûts, etc. ;
  • de gérer dyna­mi­que­ment et en temps réel les jalons-clés du pro­gramme en pro­pa­geant toute infor­ma­tion d’a­van­ce­ment, dès son inté­gra­tion dans les réfé­ren­tiels pro­jets, quelles que soient la taille et la com­plexi­té du projet ;
  • de com­pa­rer ins­tan­ta­né­ment le réa­li­sé avec le prévu ;
  • de noter l’his­to­rique de tous les évé­ne­ments qui sur­viennent, de manière à gar­der la mémoire du dérou­le­ment du pro­jet pour une ana­lyse à rebours ;
  • de modi­fier dyna­mi­que­ment les règles de ges­tion en fonc­tion des évé­ne­ments et des déci­sions de gestion,
  • d’ob­te­nir des résul­tats sous forme de gra­phiques inter­ac­tifs sui­vant de mul­tiples vues.

Nous don­nons ci-des­sus une illus­tra­tion de ce type de » cock­pit » de programme.

Conclusion

Il n’y a pas de recettes simples mais les solu­tions existent pour en finir avec les retards, les sur­coûts et les échecs de la ges­tion de pro­gramme. L’ap­proche que nous pré­co­ni­sons s’ap­puie sur quatre dimen­sions-clés : l’ar­chi­tec­ture du pro­gramme, les com­pé­tences en mana­ge­ment, la ges­tion col­la­bo­ra­tive et la mise en œuvre d’un cock­pit décisionnel.

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