La gestion de programme : en finir avec les retards et les surcoûts !
La gestion de grands programmes, qu’il s’agisse de projets industriels, de projets de transformation d’entreprise ou encore de projets d’informatique ou de télécommunications, n’est pas une science nouvelle. Le taux d’échec, mesuré soit par des dépassements très significatifs des budgets, des délais ou l’abandon d’exigences essentielles (voire l’arrêt pur et simple du projet), reste pourtant étonnamment élevé : 30 % par exemple dans le domaine des systèmes d’informations, ratio quasiment stable depuis dix ans !
Quelles en sont les raisons et comment sécuriser le succès de tels programmes ?
La réalité d’un programme complexe
Les types de programmes auxquels nous faisons référence dans cet article peuvent être de nature très différente, s’agissant aussi bien :
- de programmes dans le domaine de l’aéronautique et la défense, tels que la réalisation de systèmes complexes de communication et de commandement ;
- de programmes liés aux nouvelles réglementations juridiques, comptables et financières, telles que l’application des normes BALE II pour les établissements bancaires ou l’application des lois Sarbanes-Oxley (ou équivalent) pour les entreprises ;
- de projets majeurs de refonte des systèmes d’informations, mettant en cause de multiples fonctions et processus de l’entreprise, des organisations éclatées et des infrastructures technologiques complexes ;
- des projets de développement de nouvelles plates-formes produits, à la fois complexes et risqués du fait des changements induits au niveau du marketing, de la technologie, de la logistique et de la finance.
Quels sont les principaux enseignements que nous pouvons tirer du retour d’expérience de ces grands projets, en particulier sur les causes essentielles de dérive ou d’échec ? Nous avons identifié trois problématiques essentielles, indépendantes non seulement du type de programme, mais également des méthodes et outils de gestion de projet mis en œuvre.
Il s’agit respectivement :
- du leadership et de l’organisation du programme,
- de la gestion de projet en mode collaboratif,
- des outils décisionnels de pilotage.
Leadership et gouvernance du programme
Quel que soit le niveau d’autorité des comités de pilotage existants et malgré la prolifération des outils et méthodes apportant un support à la gestion de projet, la faiblesse du leadership au niveau d’une direction de programme est la première cause d’échec. Plusieurs facteurs sont symptomatiques :
- un soutien insuffisant de la part du comité exécutif ou des instances de direction, généralement par un mauvais positionnement du projet, un business case peu convaincant, un manque de visibilité sur les leviers stratégiques et leurs incidences opérationnelles ;
- un déficit de communication, d’alignement et de cohérence : un temps considérable est bien souvent passé à construire et suivre les référentiels de gestion des délais, des livrables, des coûts, des risques, etc., sans qu’ils soient pour autant partagés et consolidés dans une vision globale ;
- enfin sans remettre en cause les compétences techniques et managériales des directions de programme et de leurs équipes, la gouvernance proprement dite peut être défaillante pour de multiples raisons : des processus de décision peu cadrés, une mauvaise anticipation des risques, des fonctions de planification et de suivi très éclatées. D’où l’importance d’une cellule d’assistance au pilotage de programme, non pas comme une » chambre d’enregistrement « , mais comme organe stratégique de pilotage au plus haut niveau.
Les principes évoqués ci-dessus constituent un prérequis essentiel pour sécuriser un programme, quelle que soit l’efficacité des modèles de planification et de gestion. Un second facteur-clé de succès est lié à la gestion en mode collaboratif, qui apporte une réponse opérationnelle et pragmatique aux besoins de communication et de pilotage multifonctions, multiorganisations, multisites et multisystèmes.
La gestion de projet en mode collaboratif
Les acteurs impliqués dans les grands programmes sont confrontés aujourd’hui à une réalité qui ne correspond plus aux fondamentaux de la gestion de projet classique, le fameux cycle en » V » de spécification-réalisation-déploiement-contrôle. Plusieurs raisons à cela :
- les » clients » (internes ou externes) ne raisonnent plus en termes de spécifications de solution, mais d’exigences à satisfaire : qu’il s’agisse par exemple de critères de performance attendus pour un produit ou un système, ou bien d’objectifs business à atteindre. Dans le domaine de l’aéronautique et de la défense par exemple, les équipementiers de premier rang évoluent de plus en plus vers un rôle d’intégrateur et de maître d’œuvre de grands systèmes, avec des engagements de performance et de disponibilité sur le cycle de vie complet des produits ;
- le mode de coordination avec les clients change également du fait que les exigences peuvent évoluer tout au long du cycle de vie du projet, rendant inacceptable le fameux effet » tunnel « . D’où la nécessité pour les directions de programme de disposer d’une visibilité de l’avancement du programme à tout instant et en fin d’exécution par rapport aux attentes des clients, de la capacité à arbitrer en permanence entre niveau de performance, délais et coûts ;
- notons en complément que les grands programmes n’impliquent plus seulement des métiers différents : ils fédèrent un réseau d’acteurs appartenant à des organisations et des cultures multiples, parfois concurrentes, localisés sur des sites éclatés. Cette tendance ne fait que se renforcer avec l’externalisation croissante des activités de conception et de réalisation et de support. Dans ce contexte, il devient illusoire de vouloir normaliser les méthodes et outils de gestion de projet et prétendre à un pilotage centralisé » top-down » de tous les acteurs ;
- enfin la consolidation des informations nécessaires au pilotage du programme est elle-même rendue beaucoup plus complexe, à la fois en raison des multiples systèmes sous-jacents (outils de gestion des exigences, outils de planification des délais, portails projets, outils de gestion documentaire…) et des infrastructures technologiques propres à chacun des partenaires. Il est d’ailleurs là aussi illusoire de prétendre déployer un système intégré et unique de gestion de programme, gérant l’intégralité des référentiels, des processus et des métiers impliqués.
Face à ce constat, la gestion de projet en mode collaboratif apporte une solution concrète et pragmatique, par la mise en place d’un espace projet commun » virtuel « , qui remplace l’organisation en plateau » physique » des années quatre-vingt-dix. Cependant le plateau projet » virtuel » n’est pas le simple portage sur Internet des processus traditionnels de gestion de projet. C’est une transformation profonde des modes de collaboration et des relations entre tous les acteurs :
- d’une part, le succès est lié à la capacité des acteurs à fonctionner en réseaux (« communautés ») transversaux et non hiérarchiques, par communautés d’intérêts, dans une logique d’objectifs partagés et non pas dans une logique d’appartenance à leur structure ou leur organisation d’origine ;
- d’autre part la cellule de pilotage (PMO – Program Management Office) que nous avons évoquée est un élément-clé du dispositif, afin d’assurer une coordination efficace des différentes communautés impliquées sur le programme, tant au niveau du partage des informations, que de l’évaluation et de la surveillance permanente des risques en fin de projet ;
- enfin, toutes les expériences ont montré que les freins ne viennent pas des technologies collaboratives, en général très simples et intuitives à utiliser, mais bien des changements induits sur les modes de travail : par exemple la notion de transparence des échanges, accessibles à tous les acteurs de la communauté et non pas par mail » one-to-one « , la notion d’alertes, les forums de prise de décision, etc.
Le schéma ci-après illustre les fonctionnalités de telles plates-formes collaboratives.
Les outils décisionnels en pilotage de programme
Une collaboration effective facilite la gestion des relations entre les acteurs au quotidien du projet et la circulation des informations, sans pour autant répondre à la totalité de la problématique d’un directeur de programme, notamment :
- comment piloter par anticipation ? quelle est la conséquence par exemple d’une nouvelle exigence du client ou bien d’un retard de telle opération sur mon délai en fin de projet ?
- comment réconcilier le réalisé et le planifié dans les dimensions multiples : délais, coûts, ressources, performance ?
- comment arbitrer entre le niveau de performance requis (ingénierie système par exemple), les délais et les coûts ?
- comment disposer d’une visibilité à tout instant de l’avancement du programme, à la fois par rapport au réalisé et par rapport à l’objectif (livrables, consommations des ressources, jalons délais) ;
- comment passer d’une logique » réactive » fondée sur le compte rendu à une logique » proactive » fondée sur le suivi des événements ?
Ces questions ne sont pas nouvelles mais sont devenues d’autant plus critiques dans le contexte des programmes que nous avons évoqué, avec des contraintes fortes et multiples (ressources, délais, budget, exigences clients, organisations), dans des environnements changeants et incertains.
Les indicateurs-clés sont également connus de longue date, que ce soit en pilotage des délais et des coûts (avec des niveaux plus ou moins élaborés tels que le » Earned Value Management ») ou en pilotage des ressources.
Dans ce domaine, l’apport des modèles et outils traditionnels de la gestion de projet est très limité, dans la mesure où ces solutions fournissent une visibilité partielle sur l’avancement des programmes (les jalons délais et les ressources au mieux), sans projection vers l’objectif à atteindre, et suivant des processus lourds de consolidation.
Les possibilités de simulation sont également très réduites et à notre sens peu fiables du fait des approches statistiques utilisées (de type » Monte-Carlo ») : les risques majeurs viennent précisément de discontinuités de délais, de ressources, de performance et non pas d’une distribution régulière d’aléas sur les tâches critiques.
Fort heureusement, de nouvelles technologies et de nouveaux outils décisionnels apportent aujourd’hui les solutions permettant de construire des » cockpits » de pilotage de programme grâce à un ensemble de fonctionnalités permettant :
- d’acquérir dynamiquement, en mode asynchrone et collaboratif, de l’information hétérogène venant d’autres environnements : outils de gestion de projets, outils de gestion des coûts, etc. ;
- de gérer dynamiquement et en temps réel les jalons-clés du programme en propageant toute information d’avancement, dès son intégration dans les référentiels projets, quelles que soient la taille et la complexité du projet ;
- de comparer instantanément le réalisé avec le prévu ;
- de noter l’historique de tous les événements qui surviennent, de manière à garder la mémoire du déroulement du projet pour une analyse à rebours ;
- de modifier dynamiquement les règles de gestion en fonction des événements et des décisions de gestion,
- d’obtenir des résultats sous forme de graphiques interactifs suivant de multiples vues.
Nous donnons ci-dessus une illustration de ce type de » cockpit » de programme.
Conclusion
Il n’y a pas de recettes simples mais les solutions existent pour en finir avec les retards, les surcoûts et les échecs de la gestion de programme. L’approche que nous préconisons s’appuie sur quatre dimensions-clés : l’architecture du programme, les compétences en management, la gestion collaborative et la mise en œuvre d’un cockpit décisionnel.