La gestion déléguée des établissements pénitentiaires
La loi du 22 juin 1987, appelée plus communément loi Chalandon, permet de confier la construction et la mise en service des prisons françaises à des sociétés privées. C’est un modèle d’externalisation dans lequel une partie des missions peut être déléguée à des entreprises du secteur privé, l’administration gardant un noyau dur de compétences » intransférables « .
Thierry Mozimann : La loi du 22 juin 1987, dite loi Chalandon, fut la première étape de la coopération entre l’Administration pénitentiaire et le secteur privé. Cette loi nous a ainsi permis de mettre en place le dispositif de la gestion déléguée que nous connaissons actuellement et qui permet de confier à un seul et unique interlocuteur du secteur privé toute une palette de prestations. Les collectivités » externalisaient » déjà un certain nombre de prestations mais pas à un seul et unique partenaire. En 2002, l’État a franchi une étape de plus en confiant au secteur privé non plus seulement la construction d’ouvrages publics mais également leur entretien et leur maintenance.
La clé de la réussite réside dans la définition, dès le départ, d’objectifs très précis
Augustin Honorat : L’important, c’était cette notion de prestations accompagnées de la culture du service public. Aujourd’hui encore, il existe assez peu d’administrations qui se sont lancées dans l’expérience de la gestion déléguée.
Plus efficace et moins cher
TM : La gestion déléguée, c’est d’abord des services en matière de bâtiment, la maintenance, l’entretien, mais aussi des services à la personne comme la restauration, l’hôtellerie-blanchisserie, le transport et enfin deux fonctions d’appui à la réinsertion : la recherche de travail pénitentiaire et la formation professionnelle. Nous poursuivons avec ce modèle, parce que nous avons constaté que le recours au secteur privé se révèle plus efficace et moins cher que la gestion publique.
AH : Aujourd’hui, les cultures du privé et du public convergent vers des intérêts communs : la mission de service public et la recherche de performance propre à toute entreprise privée. C’est le mariage de ces deux cultures qui explique le succès du dispositif de la gestion déléguée au sein des établissements pénitentiaires.
Un interlocuteur unique
Le programme » treize mille deux cents »
Ce programme prévoit la construction de 13 200 places de détention : un volet achevé spécifiquement dédié aux mineurs, comportant 420 places ; un volet » quartiers courtes peines » comportant 2 000 places, dont 300 places déjà terminées ; un volet pour majeurs avec 11 580 places, dont 10 établissements construits en PPP (environ 7 500 places). L’Administration pénitentiaire a décidé de recourir de façon quasi systématique à la gestion déléguée pour la construction de nouveaux établissements.
TM : Le cœur de métier de l’Administration pénitentiaire comprend la garde des détenus et leur préparation à leur sortie et à leur réinsertion. Autour de ces deux missions essentielles, il existe un ensemble d’autres fonctions, la restauration, l’hôtellerie, l’entretien du patrimoine, le transport, la recherche d’emploi, etc. Or, la sphère publique n’est pas bien armée pour les prendre en charge. Trois avantages sont à retenir :
– d’abord, un avantage budgétaire. Nous observons sur une longue période une cohérence des prix. Compte tenu du fait que l’État récupère la TVA sur les marchés de gestion déléguée, cette dernière coûte moins cher à l’État ;
– ensuite, un avantage en termes de performance. Lorsque l’on travaille avec un prestataire privé, nous nous organisons pour veiller à ce que les clauses contractuelles nous liant soient respectées ;
– enfin, un avantage organisationnel. Recourir au secteur privé signifie avoir un interlocuteur unique vers lequel nous pouvons nous tourner lorsque nous rencontrons des difficultés.
AH : Le rapport des comptes de 2006 avait relevé que, d’un point de vue qualitatif, les entreprises privées extérieures avaient apporté une professionnalisation sur certains métiers avec l’apport de standards professionnels. C’est le cas, par exemple, avec les normes de sécurité alimentaire, de diététique, les nouveaux outils de maintenance. Cela a eu un effet d’entraînement et a permis à l’innovation de dépasser les murs des prisons et de faire progresser globalement le système.
Des fonctions » intransférables » d’ordre public
TM : Garder un détenu est une fonction d’ordre public, exercée par la police et la gendarmerie nationale. L’Administration pénitentiaire est la troisième force d’ordre public en France. Les fonctions d’insertion et de probation, consistant à prévenir la récidive, sont le prolongement naturel de la garde et ces compétences restent et resteront notre propre mission.
AH : Concernant la réinsertion, les partenaires privés jouent un rôle direct.
Les exigences en matière de qualité sont plus faciles à exiger d’un prestataire privé
Au travers de la formation professionnelle, nous contribuons à la mission de réinsertion de l’Administration pénitentiaire à travers notre cahier des charges. Au sein de chaque établissement, un » tuteur » est chargé de suivre individuellement les détenus, de la phase d’accueil dans l’établissement jusqu’à la phase de sortie, voire au-delà. Nous les aidons ainsi à construire un projet professionnel leur permettant d’identifier leurs besoins en formation ou de travail à l’intérieur des murs et nous les accompagnons dans la préparation de leur sortie en contactant, par exemple, des entreprises susceptibles de leur offrir un stage ou un emploi.
Des indicateurs de performance
Un modèle pour l’étranger
Ce modèle qui est en quelque sorte une » exception française » est pris comme exemple par les systèmes pénitentiaires étrangers. De nombreuses délégations viennent nous voir et c’est la raison pour laquelle il est amené à prospérer rapidement dans l’Union européenne. Plusieurs pays réfléchissent actuellement à ce modèle intermédiaire que nous développons et qui se situe entre une gestion totalement classique et entre un modèle anglo-saxon qui consiste à déléguer l’ensemble des activités pénitentiaires, y compris la surveillance, à un seul et unique acteur privé.
AH : Il existe aujourd’hui, au sein des établissements, un système d’évaluation et de recherche de la performance qui est beaucoup mieux formalisé et plus objectif qu’auparavant. Aujourd’hui, nous dénombrons pas moins de 100 indicateurs de performance couvrant la totalité du périmètre des services. Notons que l’Administration pénitentiaire s’est, elle aussi, renforcée en termes de moyens pour assurer ces contrôles grâce à des équipes dédiées, nous permettant ainsi d’entretenir un dialogue plus fréquent et donc plus constructif.
TM : Ce sont des indicateurs très objectifs comme des transmissions ou des éclairages qui ne fonctionnent pas, des taches sur les murs, un mauvais entretien des sols. Une chose est sûre : nous avons appris en marchant. La première génération des PPP, conclus à la fin des années quatre-vingt, comprenait peu de dispositifs de contrôle. La seconde génération en comportait sur deux types de prestations : le travail et la formation. Enfin, la dernière génération, celle qui va voir naître les futurs établissements via le programme » 13 200 « , est beaucoup plus précise. Par ailleurs, elle repose sur l’autocontrôle et sur une interface informatique facilitant justement cette gestion des contrôles.
Confier du travail aux détenus
TM : Pour l’Administration pénitentiaire, le principal impact est la difficulté des prestataires privés à honorer, au niveau que l’on souhaite, leurs prestations en recherche de travail.
AH : L’un des rôles du prestataire est, en effet, de trouver des entreprises à même de confier du travail aux détenus. Ce sont en général des secteurs très contrôlés comme l’automobile, l’aéronautique ou la mécanique de précision. Notons que les respects de délais et de niveau de qualité, imputables à toute entreprise privée, sont exactement les mêmes à l’intérieur des murs qu’à l’extérieur. Dans le contexte de crise actuel, quand les entreprises sont en difficulté et limitent leur production, il est donc certain que les emplois se font plus rares.
L’hôpital ou l’armée
AH : Ce mode de gestion n’a cessé de se développer depuis plus de vingt ans et je pense même qu’il est amené à dépasser le cadre de l’Administration pénitentiaire avec, par exemple, la gestion d’un hôpital qui se révèle assez similaire. L’armée commence également à réfléchir à l’éventualité d’une gestion déléguée. Lorsque les administrations regardent de plus près comment les choses fonctionnent dans les prisons, elles se montrent très intéressées.
Gepsa
Filiale d’Elyo (groupe Suez), Gepsa (Gestion d’établissements pénitentiaires services auxiliaires) se spécialise dans les activités de Facility Management en environnement à fort contenu de service public. Gepsa participe au fonctionnement de 15 établissements pénitentiaires en France.