La gestion des connaissances et les technologies e‑business
La gestion des connaissances
Les principales approches théoriques
Partant du constat que de plus en plus de sociétés intervenant dans le domaine des nouvelles technologies se trouvaient avoir un décalage substantiel entre leur valeur économique et leur valeur comptable, les tenants de l’approche de la gestion des connaissances comme la gestion du capital immatériel expliquent cette différence de valorisation des actifs par :
- la compétence des collaborateurs (capacité à agir dans des circonstances variées),
- la composante interne (concepts de produits, brevets, modes de fonctionnement, système informatique…),
- la composante externe (relations avec les clients et les fournisseurs, notoriété de la société…).
Ils identifient le management des connaissances à l’ensemble des analyses, techniques et outils qui permettent de valoriser au mieux les actifs immatériels des sociétés. Les éléments d’analyse comptable contenue dans cette approche apportent un éclairage qui permet de faire partager les problématiques du management des connaissances à une population peu sensibilisée à ces sujets, les financiers.
Une autre approche, celle de gestion du système de connaissances, a pour base deux hypothèses sur la connaissance, elle se perçoit d’une part comme un élément qui contient de l’information avec un certain sens, dans un contexte précis et d’autre part comme un système global qui doit être analysé avec trois points de vue principaux, la structure, la fonction et la dynamique. Le management des connaissances consiste alors à analyser les connaissances du domaine considéré au travers de cet ensemble de points de vue de manière à en produire une modélisation complète.
Cette approche s’insère dans l’école de pensée systémique. Utilisée avec succès dans un certain nombre de projets, elle semble néanmoins plus adaptée aux grands organismes nationaux qu’aux entreprises du monde concurrentiel.
La définition du management des connaissances comme la gestion de la mémoire de l’entreprise est une autre approche. Elle consiste à définir le management des connaissances comme la gestion d’un réservoir de taille plus ou moins importante rassemblant les connaissances de l’entreprise. La taille la plus petite correspond à une mémoire individuelle, celle d’un expert d’un domaine donné, la taille la plus grande correspondant à la mémoire de la société et rassemblant à ce titre l’ensemble des connaissances sur les activités, les produits, l’organisation… de la société.
Même si ses tenants insèrent des méthodes et outils dans leur présentation, cette approche semble être plus un concept qu’une réelle démarche opérationnelle.
L’insertion du management des connaissances dans une approche de gestion des compétences correspond à l’évolution du management des collaborateurs au sein des entreprises. Il est ainsi, en quelques années, passé de la responsabilité du personnel à la gestion stratégique des compétences, en passant par la fonction ressources humaines.
Pour être en accord avec cette approche, le management des connaissances ne peut passer à côté de cette évolution, il doit intégrer dans ses projets de mise en œuvre la formalisation et l’institutionnalisation des savoirs et savoir-faire dans le cadre plus général de la définition des profils de compétences, des qualifications et, finalement, des postes. Le management des connaissances ne peut cependant se réduire à cet aspect.
Toutes ces approches ont eu et ont leur intérêt, mais avec le développement des besoins des entreprises dans ce domaine, les sociétés ont plus mis l’accent sur l’opérationnalité et la valeur ajoutée de l’approche que sur sa rigueur conceptuelle.
Les processus de création des connaissances au sein des entreprises
Aujourd’hui, les praticiens comme les universitaires s’accordent à dire que le management des connaissances est un mode de gestion systématique des savoir-faire et des connaissances dans les organisations dont la finalité est de leur permettre d’obtenir un avantage compétitif.
Il est ainsi reconnu que les organisations développent leurs savoir-faire et connaissances au travers de quatre grands processus de transformation de l’état des connaissances :
- la socialisation (partage de connaissances tacites),
- la formalisation (transformation des connaissances tacites en connaissances explicites),
- l’intériorisation (transformation des connaissances explicites en connaissances implicites),
- la combinaison (réarrangement de connaissances explicites).
De manière plus précise, le processus de socialisation ou de partage des connaissances tacites permet de décrire la manière dont les professionnels échangent leur savoir-faire et connaissances dans le cadre des processus de l’entreprise. Par exemple, le processus d’achats d’un équipement industriel va faire collaborer des techniciens de méthodes, de qualité, de maintenance… ainsi que des acheteurs et tous vont échanger leur savoir-faire et connaissances de manière à réaliser une acquisition au meilleur coût de possession.
Le processus de formalisation ou de transformation des connaissances tacites en connaissances explicites vise à décrire le phénomène par lequel les professionnels, éventuellement experts dans un domaine de l’entreprise, structurent et mettent en forme dans des documents leurs savoir-faire et connaissances de manière à les rendre accessibles aux collaborateurs de l’entreprise. Par exemple, la mise en place des référentiels qualité avec leur fameux « Écrire ce que l’on fait » s’inscrit dans ce processus.
Avec le processus d’intériorisation ou de transformation des connaissances explicites en connaissances implicites, il s’agit simplement de décrire comment l’organisation et ses collaborateurs identifient et intègrent dans leurs pratiques professionnelles des connaissances externes à leur environnement quotidien. Un exemple est fourni par la mise en œuvre de la veille, qu’il s’agisse de veille technologique, concurrentielle ou commerciale.
Le processus de combinaison ou de réarrangement de connaissances explicites est celui qui est couramment à l’œuvre chez les entreprises dans leurs différents processus de gestion. Le processus de développement des nouveaux produits avec l’échange de documents qu’il réalise, depuis le cahier des charges marketing jusqu’aux standards de destruction illustre bien ce type de processus.
Les approches opérationnelles
L’analyse des projets de mise en œuvre du management des connaissances, qu’il s’agisse de mise en place d’un système automatisé de conduite des hauts fourneaux, de fixation et de mise à disposition des éléments réutilisables des opérations, de mise en œuvre d’atelier de peinture ou encore d’organisation et d’outillage du partage des savoir-faire et acquis techniques, amène à distinguer deux approches de la gestion des connaissances : l’approche de modélisation et l’approche de collaboration.
L’approche de modélisation se rapporte au processus de transformation des connaissances tacites en connaissances explicites. De manière opérationnelle, il s’agit avec cette approche de recueillir, mettre en forme et rendre disponibles les savoir-faire et les connaissances de collaborateurs.
Il peut s’agir d’experts au sens strict du mot, mais des professionnels disposant de savoir-faire non codifiés et pourtant critiques pour l’organisation peuvent aussi être sollicités, comme des techniciens de maintenance, des conducteurs de ligne de production…
Les savoir-faire et connaissances étant techniques et complexes, il n’est pas possible de les formaliser en utilisant seulement les mots usuels. Des techniques de modélisation et des modèles, même s’ils peuvent paraître abscons, sont nécessaires.
Ces travaux de modélisation et de mise en forme se concrétisent dans des livres de connaissances ou des référentiels métiers.
Les livres de connaissances sont des documents qui fournissent une vue complète des savoir-faire et connaissances d’un domaine à partir de plusieurs approches analytiques et les mettent en forme dans une structure le plus exhaustive possible.
Les référentiels métiers sont des descriptifs formels d’un métier d’un professionnel (acheteur, comptable…) dans le contexte précis d’une entreprise. Exprimé autrement, il s’agit d’une formalisation des activités d’un professionnel qui est au carrefour de la définition de fonctions et de la mise en forme des processus.
L’approche de collaboration se rapporte au processus de partage des connaissances tacites.
De manière opérationnelle, il s’agit avec cette approche d’identifier au sein de l’organisation les communautés de pratique et de définir le mode de satisfaction de leurs besoins d’échange et de partage.
Une présentation des communautés de pratique
Les communautés de pratique sont l’aboutissement d’un mouvement international qui a débuté au milieu des années quatre-vingt-dix, porté par les entreprises, les consultants et les universitaires, et qui visait à réaliser des projets, comme à définir des modèles, pour rendre accessibles et valoriser les savoir-faire des collaborateurs dans les organisations.
Une communauté de pratique est un groupe de professionnels, de taille variable, qui partage des connaissances, travaille ensemble, crée des pratiques communes, enrichit ses savoir-faire sur un domaine d’intérêt commun (expertise, compétences, processus…) qui est l’objet de leur engagement mutuel.
Une communauté de pratique est différente d’un service ou d’un département car elle établit une collégialité entre ses membres et ne vise pas à en opérer le management, d’une équipe de projet car elle fonctionne autour d’intérêts réciproques et non de la réalisation des tâches et la fourniture des livrables comme un projet, d’un réseau, car elle n’est pas fondée sur un ensemble de relations interpersonnelles mais se positionne sur un autre registre, la fédération de professionnels autour d’un ou plusieurs sujets qui les préoccupent.
Il existe plusieurs niveaux de participation à une communauté de pratique, de membre à part entière à collaborateur informé des travaux.
Il est possible de décrire une communauté de pratique à partir des éléments suivants :
- le domaine qui décrit le thème de la communauté,
- la communauté qui permet de préciser les membres du groupe,
- la pratique qui assure la description des activité, échanges… de la communauté
Le cas d’un grand groupe industriel international qui a mis en place une communauté de pratique d’achats (domaine) pour les acheteurs et responsables d’achats de l’ensemble des pays où il intervient (communauté) est intéressant à noter par les éléments qui ont été mis en partage (pratiques) :
- référentiels métiers,
- localisation des expertises d’achats,
- connaissance des marchés, des fournisseurs et de leurs actualités,
- consolidation des négociations,
- partage des retours d’expérience et des bonnes pratiques d’achats,
- analyse des performances des fournisseurs,
- suivi des améliorations de la performance achats,
- éléments documentaires pour la réalisation des achats.
Une communauté de pratique a besoin, pour fonctionner, de ressources internes et d’un support externe. Pour ce qui concerne les ressources internes, la communauté de pratique doit disposer d’un facilitateur, d’un documentaliste, d’experts thématiques et bien entendu de membres de base.
Le support externe doit principalement être fourni par un facilitateur global qui va s’attacher à bien insérer la communauté dans l’organisation et assurer la cohérence entre les différentes communautés de pratique existantes.
Il peut exister des communautés de pratique, formelles ou informelles, réelles ou virtuelles, mono ou multifonctionnelles, internes à l’entreprise ou incluant fournisseurs, clients et partenaires, nationales ou internationales… Le schéma ci-dessous en donne une représentation graphique.
Un autre exemple est celui d’un industriel constructeur de navires qui a mis en place une communauté de pratique autour des activités de conception (domaine) pour les techniciens, ingénieurs, responsables des bureaux d’études et d’industrialisation du donneur d’ordre et de ses équipementiers (communauté) pour mettre en commun les éléments suivants (pratiques) :
- veille technologique,
- localisation des compétences et savoir-faire techniques,
- brevets utilisés et à déposer,
- capitalisation des bonnes pratiques de conception,
- retour d’expérience sur les modes de fonctionnement entre le donneur d’ordre et les équipementiers,
- référentiel documentaire.
Ces exemples illustrent l’intérêt des sociétés pour la mise en œuvre des communautés de pratique. Leurs apports ont d’ailleurs pu être analysés de manière précise.
Rôle des technologies e‑business
Même si la mise en œuvre de la gestion des connaissances et en particulier des communautés de pratique n’est pas une question de systèmes, il est nécessaire d’examiner comment les technologies e‑business le supportent.
En termes de systèmes, les principaux besoins des communautés de pratique sont :
- un carnet d’adresses,
- des espaces d’échange et de discussion,
- un système de gestion de documents,
- un planning et un calendrier des événements prévus,
- des éléments d’aide à la décision,
- un glossaire.
Pour répondre à ces besoins, il est clair que le mél, la ged et le groupware ne sont plus suffisants, il faut une nouvelle génération d’outils que sont les portails d’entreprise.
Le schéma suivant présente les fonctions de base des portails d’entreprise.
La fonction de « Login unique » a pour objectif de permettre aux utilisateurs de ne se déclarer qu’une fois et ensuite de naviguer entre les différentes applications auxquelles ils ont droit sans avoir à se réidentifier.
La fonctionnalité de « Personnalisation » permet de fournir un accès spécifique au collaborateur connecté et de lui mettre à disposition l’ensemble des services auxquels il a droit.
Avec le service de « Communauté », il s’agit d’assurer la gestion des différentes communautés définies au sein du portail.
Le service de « Validation » concerne les documents qui sont susceptibles d’être mis à disposition sur le portail et exprime le processus d’approbation qui peut leur être attaché (Workflow).
La fonction de « Publication » concrétise la mise à disposition dans les espaces dédiés des documents validés.
La fonctionnalité de « Catégorisation » permet d’assurer le classement statique ou dynamique des contenus auxquels le portail fournit un accès.
Le service « Alerte » fournit aux collaborateurs qui l’ont demandé une information lors de la publication dans un espace dédié (Push).
Avec la fonction de « Recherche », il s’agit d’offrir l’ensemble des possibilités d’un moteur de recherche plus ou moins sophistiqué.
La fonctionnalité « Décisionnel » offre des éléments de pilotage sur l’utilisation du portail.
Dans le cas du service « Intégration », il faut comprendre la capacité du portail à intégrer des applicatifs et permettre la réalisation de transactions.
Il existe à l’heure actuelle deux grandes catégories de portails d’entreprise :
- les portails collaboratifs et documentaires,
- les portails applicatifs.
Les premiers gèrent les documents et leur partage, ils intègrent le plus souvent des fonctionnalités de gestion des contenus multimédias.
Les seconds assurent la connexion aux applicatifs et permettent la réalisation de transactions.
Dans la première catégorie les produits phares sont les logiciels de Microsoft, Hummingbird, Open Text.
Pour ce qui concerne les portails applicatifs, les produits phares sont les produits de SAP, Plumtree, IBM et BEA.
Présentation et retour d’expérience d’un cas concret
Avec plus de 6 millions de clients et un réseau couvrant 98 % de la population française, cet opérateur s’affirme comme un acteur dynamique et innovant sur le marché de la téléphonie mobile en France. Comme pour la plupart des grandes entreprises, cette société est confrontée aux problèmes de gestion optimale de l’information et des connaissances.
Fin 2000, la société a entamé une réflexion pour mutualiser ses savoirs. Après plusieurs études, les projets proposés s’avèrent lourds à gérer comme à déployer et très coûteux. Un appel d’offres est donc lancé. Sont finalement retenus un groupe de conseil, possédant une expertise dans le domaine du management des connaissances, et l’outil de portail de Microsoft. Ce produit a été retenu pour répondre aux différentes exigences de l’activité de la société, grâce à son aisance de mise en œuvre et sa grande souplesse.
C’est sur le principal critère de la rapidité d’exécution qui était un facteur déterminant qu’a été choisi le groupe de conseil international.
Dans une première étape, deux projets ont été définis : le premier a pour objet de favoriser l’échange des bonnes pratiques d’utilisation de SAP entre les différents utilisateurs du logiciel et le second, d’améliorer le transfert des connaissances sur les projets innovants entre l’entité qui les a initialisés, la division Stratégie et Planification des Technologies et les divisions opérationnelles qui doivent les mettre en œuvre.
La conception et la mise en œuvre de ces deux communautés sur le portail de Microsoft ont été réalisées en quelques semaines.
Il faut noter que même si la nécessité de ces projets était établie, des opérations d’incitation à changer les modes de fonctionnement ont été obligatoires.
Lors des entretiens pour la conception de ces premières bases de connaissances deux nouveaux besoins sont remontés du terrain : il s’agit pour le premier de constituer, de manière collaborative, un référentiel technique pour la maintenance des équipements sur site et pour le second de mettre en place une veille collaborative sur les technologies des systèmes d’information.
Dans la perspective de favoriser le déploiement des communautés de pratique dans la société, il a été décidé d’un commun accord entre celle-ci et son prestataire, d’intégrer ces nouveaux sujets au projet.
De ce premier déploiement des communautés de pratique dans une société jeune sur un secteur en continuelle évolution, il est possible de tirer des enseignements.
Le premier d’entre eux qui constitue l’axe de la démarche est le choix qu’a fait la société de réaliser rapidement un nombre limité de projets concrets à forte valeur ajoutée pour les communautés concernées. Avec cette démarche il s’agit de privilégier les objectifs et les résultats concrets, c’est une approche usuellement qualifiée de bottom-up.
Il est souhaitable d’organiser tout projet de mise en œuvre des communautés de pratique de cette manière même si, dans une seconde phase, une approche plus globale, top down, devient nécessaire.
Par ailleurs, le principal frein dans un projet de mise en place de communautés de pratique est son adoption par le personnel, c’est pourquoi un autre enseignement est de développer une conduite du changement adaptée en intégrant systématiquement et le plus rapidement possible les besoins remontés du terrain.
Un autre enseignement concerne le choix de l’outil qui doit supporter les communautés de pratique, il doit être simple, peu coûteux et rapide à mettre en œuvre, même si sa couverture fonctionnelle n’est pas exhaustive. Le portail qui a été retenu est un portail collaboratif et documentaire facile à mettre en œuvre et de faible coût, pour l’acquisition, pour le déploiement comme pour la maintenance.
Conclusion
La gestion des connaissances a quitté le domaine de la réflexion théorique pour passer à des projets opérationnels. C’est la mise en œuvre des communautés de pratique qui est le principal vecteur de cette transformation.
Même si cette opération n’est pas une question de systèmes, les technologies e‑business et plus précisément les portails d’entreprise lui fournissent un support efficace et permettent de se concentrer sur les problématiques de management qui sont souvent les plus critiques pour en réussir une mise en œuvre complète.