La gestion des incertitudes
Editorial
L’absence d’information, ou son insuffisance, pose souvent problème aux ingénieurs, qui doivent conseiller les décideurs : leur formation scientifique les pousse à suggérer de différer les décisions jusqu’à ce que l’information soit complète. Or l’information n’est jamais complète, et il arrive que la décision ne soit jamais prise. Dans le même ordre d’idées, les ingénieurs tendent à penser qu’il faut essayer de calculer le plus exactement possible. Or, quel que soit le domaine, il subsiste toujours une part d’incertitude dont il faut s’accommoder : la réduire au-delà de certaines limites n’est ni possible ni même souhaitable, tant les coûts deviennent prohibitifs, pour un bénéfice généralement très mince. Par exemple, dans le domaine de la sismologie, on peut multiplier les cartographies, les forages, les réseaux d’alerte, etc. Mais il est plus simple et moins coûteux d’adopter des normes de construction grossières, déduites d’estimations probabilistes.
L’importance de cette incertitude, la manière de la gérer dépendent des domaines. Certains ont recours à des méthodes dites « déterministes » ; d’autres à des méthodes dites « probabilistes » pour collecter l’information ou pour prendre les décisions. Ces méthodes restent évidemment imparfaites et critiquables. C’est ce qu’illustre le dossier qui fait le cœur du présent numéro. On constate en effet que, presque partout, les constructions intellectuelles seraient satisfaisantes si tout était connu, mais qu’elles sont défaillantes du fait des incertitudes : on saurait dimensionner correctement un réseau de transport si les horaires étaient respectés et les flux de voyageurs connus ; on saurait dimensionner correctement une construction si on savait ce que « séisme centennal » veut dire. La finalité de ce dossier est avant tout, en s’appuyant sur des exemples caractéristiques, d’éclairer des décideurs sur les limites des méthodes actuelles de gestion des risques.
Conclusion : Réflexions sur l’enseignement des incertitudes
Les ingénieurs, je l’ai dit dans mon article, n’aiment pas les incertitudes et je pense que cela vient de l’enseignement que nous avons reçu : pas seulement de l’enseignement scientifique, mais de l’enseignement en général, du primaire au supérieur. Je ne me rappelle pas, pendant mes études, avoir entendu un seul de mes professeurs mentionner que tel fait, telle donnée, telle information n’étaient pas connus avec certitude.
On nous a enseigné la chronologie des Pharaons, mais j’ai découvert par la suite que subsistaient des incertitudes de mille années ! De même, on prétend savoir déchiffrer les hiéroglyphes, reconstituer telle bataille, lire les dessins préhistoriques, dater les fossiles : mais ce ne sont là, si on y réfléchit un peu, que dires d’expert, sur lesquels on n’est même pas capable d’évaluer l’incertitude. Moi-même, pendant ma carrière d’enseignant, comme assistant à Polytechnique (1972−1975) puis comme professeur à l’université de Lyon (1976−1995), je ne me souviens pas avoir une seule fois parlé d’incertitudes, alors que j’enseignais les probabilités !
Il a fallu que je crée une entreprise, que je sois confronté aux problèmes de la vie réelle, pour me rendre compte que les incertitudes étaient un élément essentiel de tous les problèmes et, en réalité, le plus préoccupant de tous, réclamant des outils spécifiques, dont nous parlerons plus loin. Mais dans le domaine historique comme dans le domaine scientifique, retenons ceci : les incertitudes existent, et elles existent de manière fondamentale.
Toutes tentatives pour les éliminer par voie réglementaire : le GIEC qui déclare « il n’y a plus de place pour la discussion, le réchauffement est avéré », ou bien tel homme politique qui entend imposer sa vision de l’Histoire, sont inacceptables sur le plan scientifique. Sur n’importe quel sujet, historique comme scientifique, la discussion doit être ouverte et la remise en cause possible. Globalement, l’humanité n’a pas à être fière de ses certitudes ; elle ferait mieux de faire preuve d’un peu plus d’humilité. Voir, sur le sujet précis de l’histoire des explications cosmologiques, l’excellent livre d’Aldous Huxley Les Somnambules..
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http://www.laurent-duval.eu/
« Voir, sur le sujet précis de l’histoire des explications cosmologiques, l’excellent livre d’Aldous Huxley Les Somnambules.. » Parmi les incertitudes classiques, citons celle consistant à attribuer une œuvre à son auteur ; une vulgate trop classique attribuant « Les somnambules » à Arthur Koestler : http://en.wikipedia.org/wiki/The_Sleepwalkers Sachons remettre en cause les dogmes !